Se concilier pour se réconcilier

Hier nuit j’ai réveillé mon fils pour lui dire que j’avais tort et qu’il me pardonne d’avoir été maladroitement sévère. Il avait tort, c’est vrai, mais les coups de mon courroux étaient plus forts que son tort et j’ai eu des remords. Mes mots n’ont pas effacé ses maux mais ils ont eu le mérite de lui montrer que trop de pouvoir affaiblit le pouvoir quand la force du pouvoir outrepasse les limites du devoir.

Chacun peut apprendre de ses excès, parce que trop, c’est un défaut. On peut combler le vide de ses carences en cultivant la tempérance et la tolérance. En dépit de nos âges et de nos rangs, nous nous sentons parfois tout petits et si minables devant nous-mêmes face à un impair qui entache nos propres repères. Il ne suffit pas d’être le mystère ou l’austère qui joue au cerbère ; il faut être un vrai père qui coopère. Je me suis senti soulagé d’avoir fait le pas de la culpabilité, marcher sur ma fierté, sans perdre un peu de mon poids de titan, sans la moindre faille dans ma taille.

Hier nuit, j’ai retiré une paille de mon œil ! Mon fils m’a fixé avec un innocent regard d’enfant coupable en secouant sa tête de mule pendant que je contemplais en lui l’homme de demain que je me forge à sculpter à deux mains. Mon père disait que la grandeur passe parfois par la douleur pour avoir de la hauteur et être à l’honneur. L’éducation n’est pas toujours faite de sanction au bâton ; elle est aussi faite de concession dans la soumission, de compréhension dans l’acceptation, sans compromission.

Eduquer, c’est inculquer des valeurs plus que de la terreur ; on peut se méprendre, reprendre et apprendre de soi pour mieux comprendre. Peu importe qui nous sommes, nous restons des hommes confrontés aux méfaits de l’imparfait qui se conjugue en nous. J’ai demandé pardon à mon fils. Je me suis réconcilié avec moi-même pour être en paix avec lui. Il y a des gens qui s’usent quand ils s’excusent ; ils abusent des autres et rusent avec leur propre faute sans se remettre en cause devant les faits qui les récusent.

Il y a des hommes pour qui demander pardon est une maldonne. Les âmes de cet acabit sont de véritables monstres froids au regard parfois doux. Ils vivent de la rancœur et savent toujours bien garder les rancunes ; ils en font même une cantine de tontines de douleurs qu’ils ruminent en gardant la bonne mine. Pour ces gens, le tort causé au prochain n’est rien d’autre qu’un banal épiphénomène de la nature humaine.

Ainsi, on marchera sur le pied de l’autre sans exprimer l’excuse de la méprise ; la grosse cylindrée éclaboussera d’eau sale le cycliste ou le piéton, sans ralentir et s’excuser de la main ; le bolide au moteur enragé écrasera au petit matin la pauvre balayeuse de rue sans daigner s’arrêter et porter secours ou au pire des cas, s’incliner sur l’inerte butin de son incurie et reconnaître les faits quel qu’en soit le prix à payer.

Il y en a qui iront jusqu’à planifier et à exécuter leur semblables, pour des intérêts personnels et marcher chaque jour avec le fantôme pleurnichard de leur victime, sans exprimer le moindre acte de contrition. Tous ces hommes marchent avec des fardeaux dans le silence de leur âme qui crame sous les flammes de leurs propres blâmes. Il suffit parfois d’un peu d’humilité pour être en paix avec soi et les autres.

Ce soir même, j’irai frapper à la porte de mon voisin mesquin pour lui dire que nous n’avons pas besoin d’attendre le ministre, le président ou le pape pour nous parler et nous réconcilier. Parce que quand on veut vraiment se réconcilier, on écoute plus le cœur qui bourdonne que le chœur qui chantonne ; on se concilie avec sa propre conscience. La réconciliation, c’est d’abord le combat silencieux que l’on mène avec soi-même ; ce n’est pas le boucan du branle-bas de combat aux allures d’ébats et de débats stériles.

On va à la reconciliation d’un bon pied et sur la pointe des pieds, pied à pied, sans prendre son pied ; on ne ressort pas victorieux ou gagnant d’une réconciliation ; on y ressort la tête baissée par l’humilité mais l’âme grandie par la sincérité. La paix est d’abord un état de tranquillité intérieure et on n’a même pas besoin de la chercher.

Combien sans être fous, se détestent-ils eux-mêmes au point de se poignarder chaque matin avant de sortir ? Combien se cognent-ils la tête contre le mur pour se faire mal et du mal juste par pure haine d’eux-mêmes contre eux-mêmes ? Pourrons-nous faire la paix sans être vraiment en paix avec nous-mêmes ? La paix est en nous, malheureusement nous ne l’ignorons pas, nous calculons !

Clément ZONGO

clmentzongo@yahoo.fr

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