Terrorisme et troubles psychiques: Les martyrs sombrent dans le silence

Dans la région du Centre-Nord, des Personnes déplacées internes (PDI) sont victimes de traumatismes consécutifs aux exactions commises par des groupes armés terroristes. Le choc subi est souvent si intense que certaines PDI sombrent dans la folie. D’autres encore préfèrent mettre fin à leur vie pour soulager leur conscience.

 Pousbila Zabré est un ressortissant de Bouroum, dans la province du Namentenga, région du Centre-Nord. Dépouillé et traqué à maintes reprises par des assaillants, le quadragénaire, orpailleur de profession,  finit par trouver refuge dans la zone non lotie de Bollé, quartier du secteur 6 de Kaya où il y réside depuis février 2020. Les jours, pour lui, se suivent et se ressemblent : sombres, teintés de peines et sans joie. Les dures épreuves, notamment la perte de son bétail, une centaine et de ses fonds d’achat de l’or chiffrés à des millions de francs CFA que lui ont fait subir les terroristes sont prégnantes dans ses pensées. A maintes reprises, le natif de Barsalogho a tenté de reprendre son contrôle en vain. De jour en jour, sa santé physique et surtout mentale se dégrade. Il tente alors de se confier aux services de la Direction provinciale en charge de l’action humanitaire du Sanmatenga (DPAH/S), dans l’espoir de se libérer de sa « prison » mentale.  En dépit de ses efforts, il ne rencontre  pas d’oreilles attentives dans lesdits services administratifs, révèle sa tante M. S., avec qui il partageait son quotidien. Las de ses appels à secours infructueux, Pousbila se résigne à mettre fin à ses jours. Alors, il achète une corde, se réfugie dans une maisonnette au quartier Bollé et amorce  son voyage ad patres. Le lendemain, dans la matinée du lundi 21 septembre 2021, les riverains le retrouvent sans vie.  La nouvelle crée une onde de choc. C’est la désolation et la consternation dans toute la ville. Déboussolé, l’oncle maternel du défunt, S. S., est catégorique sur la cause de cette fin tragique de Pousbila : « c’est la déception et le manque de moyens pour subvenir aux besoins familiaux qui l’ont conduit à ce suicide ». Dans ses derniers instants de vie, Pousbila s’était entretenu avec lui sur ses peines. « La veille, dans la  nuit, il est venu me dire qu’il est difficile de vivre ici à Kaya.  Il se demandait si ce n’était pas mieux de sortir chercher des terres cultivables. Et je lui ai répondu que sans soutien, il sera difficile que nous puissions bien exploiter ces terres. Sur le coup, il a approuvé. Puis, il a pris congé de moi en me donnant rendez-vous le matin pour que nous allions, une fois de plus, faire le tour de la ville dans l’espoir de s’enrôler sur une liste de dotation en vivres. J’étais loin de me douter que je ne le reverrai plus», se remémore-t-il, un brin triste. Après les constatations d’usage par le médecin légiste, la police judiciaire et les autorités communales, Pousbila  repose désormais au cimetière de Tigtinga, laissant inconsolables ses deux veuves, ses 12 enfants et sa mère biologique que nous avons rencontrés, le 14 mai 2022, dans la cour familiale du défunt. Son cas n’est, cependant, pas singulier. Tonka Sawadogo a, elle aussi, connu une fin tragique des suites d’une crise cardiaque.

Des clichés horribles

Ressortissante de Lilgomdé, dans la commune d’Arbinda, province du Soum, région du Sahel, son cœur l’a lâchée, ne pouvant plus suivre le rythme de ses « sombres » pensées qui la hantent quotidiennement. C’est dans la zone non lotie du secteur 4 de Kaya qu’elle avait établi ses pénates après avoir fui l’« enfer ». Les groupes armés terroristes faisaient la loi dans son village d’origine, maltraitant la population : bastonnades, assassinats, viols des femmes et des filles. Leurs incursions répétitives et violentes ont poussé les habitants à déserter le village, en mai 2019. Dans sa fuite avec les siens et malgré sa grossesse presque à terme, elle verra  des clichés « horribles » et des scènes  qu’elle ne pourra plus oublier.  « Les cadavres étaient jonchés en bordure des voies. Certains corps sans vie étaient en état de putréfaction avancé et d’autres personnes fraichement abattues avaient le sang qui giclait toujours. Les plus chanceux ont eu des tombes de fortune. Tonka avait vraiment peur et on le lisait aisément dans son regard », raconte H. S. qui faisait chemin avec elle.  Cette dame est aujourd’hui la mère adoptive du bébé de Tonka qui a fini par passer l’arme à gauche. C’est le 30 décembre 2019 qu’elle a succombé de ses tourments,  laissant son nourrisson âgé seulement de sept mois. Selon sa compagne de route rencontrée le 19 mars 2022, ce décès « prématuré » est dû, non seulement, aux traumatismes des exactions des groupes armés, mais aussi, aux conditions dans lesquelles elle a accouché lors de leur fuite : dans une charrette, sans outils appropriés et baignant dans son  propre  sang.  Elle doit d’ailleurs sa survie au courage de ses compagnons. « Elle souffrait d’une maladie chronique. Avec la peur, son mal s’est encore aggravé et elle n’a pas tenu », confie H. S., la voix enrouillée et les yeux embués de larmes. A Kaya, les déplacés internes qui tiennent encore le coup de leur supplice moral, n’en sont pas moins lotis que Pousbila et Tonka. La plupart souffrent de troubles mentaux, certains frôlant même la démence. Fatimata Sawadogo et ses deux filles, Roukaï (27ans) et Assèta (32ans) Zabré, souffrent de troubles mentaux. Elles sont originaires de Raongbongo, dans la commune de Barsalogho, province du Sanmatenga, région du Centre-Nord. Elles ont trouvé refuge à Pousmiougou, quartier du secteur 6 de Kaya, chez L. Z., septuagénaire et beau-frère de la mère. La santé mentale de dame Sawadogo inquiète au quotidien son tuteur. A chaque fois que nous recevons un visiteur, elle tente instinctivement de s’enfuir de la maison croyant avoir affaire à son bourreau.

2 349 cas de violences psychologiques en 12 mois

 « C’est ainsi qu’elle se comporte. Elle a toujours en tête les incursions terroristes. Et la nuit, c’est encore grave parce qu’elle passe son temps à parler toute seule ou pleurer. Dès qu’il fait jour, elle est allergique à l’eau », se lamente sa belle-tante, F. O.  Sous son air calme et insouciant, la fille, Roukaï, souffre elle aussi le martyre. Elle a perdu l’usage de la parole depuis un certain temps et le sens de la pudeur  surtout au moment de faire ses besoins. « Quand nous étions en location, elle déféquait  partout, devant les portes des voisins,  à proximité du foyer. Et quand tu l’interpelles, elle ne t’écoute même pas », déplore dame O. Avec sa benjamine de quatre ans, Assèta vit aussi dans sa bulle de détresse, mais se montre moins affectée que les autres. « Je suis malade. Je fais la cuisine et la lessive.  Le père de mon enfant est un pandore…»,  lâche-t-elle, dans un langage incohérent. Par ignorance, à l’instar d’autres ménages, cette famille ne les a pas signalées aux services en charge de l’action humanitaire pour une prise en charge psychologique. Le Directeur régional (DR) en charge de la famille du Centre-Nord, Yacouba Ouédraogo, désapprouve  cette attitude. Mais, il dit comprendre la situation car, assure-t-il, la priorité pour les personnes concernées est d’abord l’alimentation et l’abri, si fait que l’accompagnement psychologique est relégué au second plan.

Le DR en charge de la famille du Centre-Nord, Yacouba Ouédraogo, déplore la prise en charge psychologique des PDI reléguée au second plan

La région du Centre-Nord compte aujourd’hui un nombre important de personnes en situation de détresse. Aux dires de Yacouba Ouédraogo, la région a enregistré, courant 2021, 2 349 cas de violences de nature morale et psychologique, dont 2 343 (99,74%) filles et femmes.  Ces données ne sont que la partie visible de l’iceberg, d’autant plus qu’une bonne partie des PDI échappe au contrôle des services de l’action humanitaire, selon lui.  « Depuis le début de la crise, en 2019, nous enregistrons par jour en moyenne  entre trois et sept personnes qui se trouvent dans une situation de prise en charge psychologique », s’inquiète DR Ouédraogo. Créé en 2021, le service de prise en charge psychologique du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) du secteur 6 de Kaya suit quotidiennement les populations-hôtes et des PDI victimes de troubles psychiques. « Nous recevons en moyenne un à cinq patients par jour », note la cheffe dudit service, la psychologue-clinicienne, psychopathologue, Sarah Mariama Kaboré. Dans cette crise sécuritaire et humanitaire que connait le pays des Hommes intègres, les femmes et les enfants paient le lourd tribut. A la date du 30 septembre 2022, selon les données du Secrétariat permanent du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (SP/CONASUR), la région du Centre-Nord enregistre 468 343 PDI, dont 256 710 (54,81%) femmes et 242 686 (51,81%) enfants de moins de 15 ans.

Suivi psychologique

Parmi les enfants déplacés internes, figurent des non-accompagnés ou des « sans-père ni mère ». Le niveau de traumatisme de ces derniers est encore plus grave, en ce sens qu’ils sont des âmes faibles, souligne Yacouba Ouédraogo. Les moins chanceux sont aujourd’hui aphones. C’est le cas de S. Y., 16 ans, qui a perdu l’usage de la parole. Il a été « récupéré » à la suite d’une patrouille, en 2019, dans le village « fantôme » de Sirgadji, dans la commune d’Arbinda, province du Soum, région du Sahel, par le chef des VDP de Dablo, S. S. C’est lui qui assure aujourd’hui son tutorat en l’absence de ses géniteurs dont il a perdu les traces. L’adolescent qui ne s’est toujours pas remis de ses blessures morales porte d’ailleurs un patronyme que son père adoptif lui a attribué.  Même si aujourd’hui il  est intégré dans sa famille d’accueil, ses comportements irrationnels préoccupent ses « nouveaux » parents qui souhaitent qu’il bénéficie d’un suivi psychologique adéquat et d’une formation professionnelle pour son insertion sociale. Outre les exactions que les PDI ont subies de la part des groupes armés terroristes, les conditions d’accueil et d’hébergement peuvent être une source d’instabilité mentale, présume le président du Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples du Sanmatenga (MBDHP/S), Issaka Ouédraogo. Yacouba Ouédraogo, lui,  pointe du doigt la promiscuité au niveau des sites d’accueil temporaires. A l’entendre, la région du Centre-Nord compte 73 sites d’accueil temporaires, où sont érigées des tentes de fortune. Tout individu, déclare le DR en charge de l’action humanitaire, a besoin d’un certain espace pour s’exprimer ou se retrouver en intimité avec ses proches. « Ce qui n’est pas souvent le cas dans nos sites d’accueil. Même ceux qui se trouvent dans une certaine normalité (familles d’accueil) peuvent se retrouver du jour au lendemain dans un choc psychologique pouvant les conduire au suicide…», s’inquiète-t-il.  L’oisiveté étant la mère des vices, Sarah Mariama Kaboré  estime que le manque d’Activités génératrices de revenus (AGR) au profit des PDI est en partie une autre source de leur instabilité morale.  « Les PDI restent des journées, voire des mois ou années sans rien faire. Ce qui les amène à se morfondre et à sombrer davantage. De ce fait, toute idée négative qui survient peut être mise en exécution », alerte-t-elle. Pour une meilleure prise en charge psychologique des PDI victimes de traumatisme, la plupart de nos  interlocuteurs suggèrent le renforcement du suivi. De ce fait, ils proposent, entre autres, la création de centres d’écoute et d’accompagnement, la mise en place de services d’urgences médico-psychologiques accessibles aux PDI dans les zones à fort défi sécuritaire et la formation en nombre suffisant de spécialistes en psychologie et santé mentale. La psychologue-clinicienne Kaboré, elle, insiste sur la mise à disposition gratuite des molécules psychotropes au profit des PDI victimes de traumatisme psychique.

Emil SEGDA

Segda9emil@gmail.com


Sarah Mariama Kaboré, psychologue-clinicienne : « La personne traumatisée peut s’isoler socialement »

La psychologue-clinicienne, Sarah Mariama Kaboré.

« Plusieurs symptômes sont liés aux troubles psychiques. Ainsi, les patients victimes de traumatismes psychiques présentent divers symptômes. Sur le plan physique, la victime manifeste des transpirations, des palpitations, de la fatigue générale, accompagnées d’une forte fièvre. Sur le plan comportemental, la personne traumatisée peut avoir des évitements du lieu de l’évènement (attaques terroristes), de l’isolement social, de la reviviscence du vécu de l’évènement et d’une hyper vigilance. Sur le plan cognitif, le patient a des difficultés à se concentrer, à penser et à s’exprimer. Sur le plan émotionnel, la victime peut manifester la peur, l’anxiété et la labilité d’humeur. Sur le plan relationnel, elle a des restrictions et n’arrive plus à retrouver ses mécanismes  d’adaptation. Dans tous les cas, ces symptômes diffèrent d’une personne à une autre en fonction de la sensibilité de la victime à supporter le choc traumatisant ».

Propos recueillis par Emil SEGDA

 

Ce que dit la loi !

L’article 106 de la loi n°23/94/ADP portant Code de la santé publique,  en matière de protection de la santé mentale, stipule que la responsabilité de la prise en charge de la santé mentale incombe à l’Etat et la prévention de celle-ci constitue une priorité. Son article 109 poursuit que l’admission d’une personne atteinte de maladies mentales dans des établissements conçus, à cet effet, doit être conforme à l’éthique, aux conditions médicales et aux dispositions juridiques qui protègent les droits de l’homme.

Source : Code de la Santé publique

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