Transformation du Lycée Philippe-Zinda Kaboré : La revanche du Centre « d’abrutissage » de Ouagadougou

C’est acté. Le Lycée Philippe-Zinda Kaboré (LPZK), rouvrira en 2022 avec un autre statut que celui de l’enseignement général. Et l’ancien élève du Lycée Technique de Ouagadougou que nous sommes (promotion 1960-1967), alors voisin du Lycée ci-dessus nommé, jusqu’à son déménagement et prendre le nom de « Lycée Technique Aboubacar Sangoulé Lamizana », applaudit cette initiative, et cela pour deux raisons : l’une subjective, l’autre objective.

La raison subjective avec un peu d’histoire

Le Collège Technique de Ouagadougou, devenu en 1964 Lycée Technique, avait cohabité avec l’unique Centre d’Apprentissage public de la Haute-Volta depuis les années 1950, puisque les élèves venaient aussi à l’internat, des quatre coins du territoire national. Malgré un enseignement de haute teneur puisque dispensé par des expatriés au même titre que les élèves des lycées et collèges créés dans les années 1950 en AOF et en AEF, les impétrants, nantis d’un CAP en maçonnerie, menuiserie bois ou métallique, électricité (en somme presque tous les métiers du bâtiment) avaient peu de débouchés. Ceux qui n’avaient pas la chance de trouver un emploi à la Régie Abidjan-Niger (RAN) étaient livrés à eux-mêmes.

Ils n’avaient pas d’outils pour se lancer dans l’entreprenariat, et très peu en ont pris le risque. Pourtant, l’Etat aurait pu les grouper en équipes complètes et les installer dans les « cercles », aujourd’hui chefs-lieux des provinces, pour construire les écoles primaires publiques, les dispensaires et entretenir les bâtiments administratifs. Ils en avaient les qualifications.

En désespoir de cause, soit avant la fin de leur cycle d’apprentissage, soit après, beaucoup passaient des concours pour suivre d’autres formations, surtout celle d’infirmier d’Etat et intégrer la fonction publique. Il faut dire que l’abolition des travaux forcés en 1946 et le statut de privilégiés dont jouissaient ceux qui côtoyaient les Administrateurs des colonies comme commis expéditionnaires, infirmiers, instituteurs, gardes, etc., créaient une désaffection vis-à-vis des travaux salissants.

En outre, les nouvelles autorités n’avaient pas rompu, loin s’en fallait, avec le système éducatif élitiste hérité de la colonisation et auquel l’Afrique francophone doit encore son retard de développement, particulièrement en matière d’industrialisation. Ces autorités n’avaient pas compris que ce système avait précisément pour but de maintenir cette Afrique dans une indépendance illusoire, pour le plus grand bien de l’ex-métropole.

Qu’il nous suffise de rappeler que les « pères de l’indépendance » ivoirien et voltaïque s’étaient moqués de Sékou Touré de la Guinée Conakry, au motif qu’il voulait « être indépendant alors qu’il ne sait même pas fabriquer une aiguille », comme si leurs proclamations des indépendances allaient l’être à regret. Aujourd’hui encore, ils ne sont pas rares les Burkinabè, pourtant instruits, qui ne croient pas en un Burkina Faso industrialisé.

En donnant au Lycée moderne le nom de Philippe Zinda Kaboré, le chef de l’Etat, Maurice Yaméogo, avait dit de cet établissement qu’il était le « fleuron de la Nation ». A tort ou à raison, nous qui étions au Lycée technique trouvions cette phrase très malheureuse et allait être l’une des raisons de notre déferlement dans la rue le 03 janvier 1966.

En effet, nous étudions l’histoire des pays développés et savions que la révolution industrielle en Angleterre (fin XVIIIème) suivie de l’industrialisation générale de l’Europe au XIXème siècle ne s’étaient pas faites avec les « cols blancs », mais avec les « cols bleus ». D’ailleurs au départ, ceux-ci étaient constitués des artisans spécialisés, formés sur le tas, de père en fils et non dans des écoles professionnelles, inexistantes à l’époque.

Peut-être que nos voisins du LPZK n’avaient pas les mêmes cours d’histoire, d’autant qu’ils étaient liés à ceux d’économie politique qu’on nous enseignait, auquel cas ils n’étaient pas à blâmer puisqu’on ne sait jamais que ce que l’on a appris. Seulement, là où l’ignorance devient passablement agaçante, c’est quand elle se fait arrogante. Si en revanche ils recevaient les mêmes cours, il faudrait se rendre à cette vérité de Rabelais qui dit que « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

En tout état de cause, n’était-ce pas fantasque que des fils de paysans venant tout droit des villages, dans leur écrasante majorité, tinssent dans le mépris les gens des métiers ? Ils avaient rebaptisé le Centre d’apprentissage en « centre d’abrutissage » et nous traitaient de « forgerons ». Mais pour nous, eux étaient des fanfarons, et nous étions quittes. Mais celui avec lequel nous ne l’étions pas, c’était le chef de l’Etat.

En effet, qu’à ce niveau de responsabilité l’on ignorât que les cols blancs ne sont pas plus importants que les cols bleus auxquels ils doivent :

– d’être nourris, habillés, les bureaux et les logements qu’ils occupent avec toutes les commodités qu’ils contiennent ;

– qu’ils ont beau être architectes, ingénieurs, sans contremaîtres, maçons et autres ouvriers du bâtiment, leurs grandes œuvres resteraient à l’état de papier ;et si ça se trouve, aucun architecte, pourtant concepteur de gratte-ciels ou ingénieur contrôleur de travaux, n’a même jamais coulé une brique ;

– par-dessus tout, qu’en tant que fonctionnaires, ils doivent leurs salaires aux impôts et taxes que paient aussi les entreprises de production qui emploient encore ceux qui travaillent de leurs mains ; Tout cela lui valait, pour nous, un carton rouge immédiat et sans hésitation. A défaut de cartons rouges (peut-être ceux-ci n’existaient même pas encore en sport), nous rougîmes nos yeux pour aller les lui montrer le 03 janvier 1966 et réclamer sa démission.

Mais suffira-t-il de créer des lycées scientifiques pour annihiler la mentalité sécrétée par le système éducatif bourgeois (au sens propre et non péjoratif) et acculturant encore en vigueur ? Car, les parents de tout enfant scolarisé le voient déjà avec un doctorat ou une agrégation, sans doute faute d’options conséquentes en matière de diversification de l’offre éducative pour une économie elle-même diversifiée, de la part de l’Etat.

La raison objective

Lorsque, presque soixante ans après la proclamation de l’indépendance (en trompe-l’œil, car il faut plutôt parler de dépendance dans l’indépendance), nous entendîmes le ministre en charge de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de l’Innovation, Pr Alkassoum Maïga, révéler que dans le cycle secondaire 96% des effectifs étaient dans l’enseignement général, c’était tout simplement renversant : un pays ne peut prétendre au développement avec autant de généralité.

Et cela explique, si besoin en était, l’extraversion du standard de vie des élites jusqu’aux classes moyennes et la forte dépendance de l’extérieur pour les biens de consommation, a fortiori d’équipement. L’industrie est la marque la plus visible du développement. Suffira-t-il également de lycées scientifiques, à raison d’un par région, pour changer la donne ?

Nous en douterons, aussi longtemps qu’un gouvernement n’affichera pas la vision globale de la nation en matière de recherche et développement (R&D), surtout en sa composante appliquée à des domaines à prioriser, en montrant le lien entre ces lycées, les centres de formation également régionaux comme celui de Ziniaré, le CNRST, notamment l’ANVAR (Agence Nationale de Valorisation des Résultats de la recherche et des innovations), les lycées professionnels tels que le Lycée Technique Provincial Guimbi Ouattara à Bobo-Dioulasso, les industries, l’enseignement qui manque cruellement d’enseignants dans les disciplines scientifiques, et les universités.

Nous craignons en effet, que sans la construction d’une architecture intégrant toutes ces structures, autour d’options fondamentales claires et connues de tous, cela ne livre à eux-mêmes les impétrants nantis de doctorats, qui ne se feront pas prier pour aller voir ailleurs, à prix d’or : en Amérique du Nord et en Europe, où la demande se fait et se fera de plus en plus forte, en raison du vieillissement des populations et des faibles taux de reproduction, quand ils ne sont pas négatifs. Nous ne saurions trop suggérer que dès à présent nos autorités anticipent la fuite prévisible de ces cerveaux.

La République de Cuba est le « leader de la solidarité médicale internationale ». En matière de politique de santé, elle est une référence internationalement reconnue. Sous embargo étasunien depuis 1960, elle a fait de l’exportation des services médicaux sa principale source de revenus.

Là-bas, ce sont des médecins, fonctionnaires formés de bout en bout à Cuba, qui sont affectés à l’étranger sous contrat d’Etat à Etat, et les revenus reversés au ministère cubain de la santé. En l’absence d’un régime analogue au Burkina Faso, l’inquiétude affichée plus haut n’est peut-être pas à négliger.

Conclusion

Pour en revenir au LPZK, le regretté récipiendaire, là où il est, ne sera-t-il pas plus fier de voir son nom porté par un lycée scientifique dont les élèves, quel que soit leur mécontentement pour une raison quelconque, ne s’aviseront pas de saccager les équipements et matériels servant à leurs expériences de laboratoire qu’ils savent particulièrement coûteux.

Dans son statut précédent, au-delà du saccage des tables-bancs, des bureaux administratifs et du véhicule du proviseur, le 17 mai 2021, le comble fut ces élèves qui avaient lancé, le 29 avril, des cailloux sur une ambulance en provenance de Koudougou, sirène hurlante, feux de détresse clignotants et gyrophare allumé, avec à son bord un malade entre la vie et la mort.

C’est à une plaque de sûreté, au-delà de la vitre qui fut cassée, que l’infortuné malade dût de ne pas recevoir l’un des projectiles. Comme si cet établissement était marqué par le signe indien, les devanciers de ces élèves n’avaient pas eu de considération pour ceux qui faisaient des travaux manuels ; et plus d’un demi-siècle après, c’est pour un malade dont le pronostic vital était engagé que certains, aujourd’hui, n’avaient eu aucune compassion.

C’est pourquoi nous pensons que la tutelle de cet établissement n’avait pas de meilleure façon de conjurer ce signe que sa transformation en lycée d’excellence. Pourvu que ces futurs espoirs en sortent avec des têtes aussi bien faites que pleines, afin de figurer parmi les leaders des générations de la rupture qui assumeront enfin la responsabilité historique de l’émancipation d’un système néocolonial qui perdure en forme de servitude volontaire.

Paul Bassolé

Economiste de l’entreprise

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