Un prêt honorable

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a accordé une aide alimentaire de plus de 6 500 tonnes de vivres pour soutenir le Burkina Faso, confronté à une crise humanitaire aggravée par la conjoncture internationale. Cette aide est appelée à être remboursée, d’ici mars 2023, dit-on. Une certaine opinion exprime de la honte vis-à-vis de ce soutien.

Elle estime que le pays des Hommes intègres n’est pas à un tel niveau de déclin qui justifierait qu’il accepte un prêt alimentaire international. Il faut dire qu’au Burkina Faso, demander de la nourriture est le plus bas niveau de la déchéance dans la société car cela signifie deux choses : incapacité individuelle à se prendre en charge et surtout asociabilité et ostracisme, qui fait de vous un1}e vomissure ou un laissé-pour-compte. En règle générale, dans nos sociétés traditionnelles, quelles que soient les difficultés rencontrées, le groupe d’appartenance tendra toujours la main aux membres en difficulté, par de multiples gestes de solidarité, sans rien demander en retour.

C’est ce qui soude le groupe et fait sa force pour traverser les épreuves et les âges. Seuls les moins méritants, les inconnus, les peu dignes, sont invités à rembourser ce qui leur a été offert. C’est sans doute cette lecture qui explique le sentiment de honte qu’ont certains Burkinabè, aux yeux de la communauté internationale, au sujet du prêt alimentaire de la CEDEAO. Mais dans la réalité moderne, le prêt est, en soi, plus honorable que le don. Comme dit le proverbe, on ne prête qu’aux riches, aux gens solvables qui ont besoin, de temps à autre, de coups de pouce pour traverser une mauvaise passe.

En outre, l’aide de la CEDEAO n’est rien d’autre qu’un ravitaillement spécial, sorti du grenier familial, constitué par le Burkina Faso et les autres pays membres de l’espace communautaire. C’est à Ouagadougou que la CEDEAO a mené la réflexion aboutissant à la mise en place du grenier familial appelé « réserve régionale de sécurité alimentaire de la CEDEAO », le 6 juin 2018. Le comité technique comprenant les ministres en charge du secteur agricole avait alors souligné que le déficit pluviométrique lié au changement climatique ainsi que les ravageurs des cultures pesaient négativement sur les productions agricoles.

Ils avaient aussi et surtout souligné avec clairvoyance que « les réseaux djihadistes qui menacent un certain nombre de pays de la sous-région (…) ont des impacts sur les capacités de production des populations surtout dans le domaine du secteur agricole ». C’est donc avec dignité que le Burkina Faso doit tirer profit du dispositif régional de sécurité alimentaire qu’il a contribué à mettre en place.

D’autant plus qu’il remboursera «grain pour grain, en vue de reconstituer les stocks et d’assurer la pérennité de la réserve régionale de sécurité alimentaire », comme précisé dans un communiqué du ministère en charge de l’agriculture. Ce n’est pas non plus la première fois qu’un tel prélèvement dans la réserve alimentaire de la CEDEAO est opéré.

En 2018, frappé par un déficit céréalier de 12% exposant plus de 3 500 000 âmes à l’insécurité alimentaire, le Burkina avait bénéficié d’un soutien pareil de 4 mille tonnes de vivres. Il est cependant vrai qu’après 60 ans d’indépendance, les difficultés à satisfaire les besoins élémentaires du peuple sont quelque peu déshonorantes pour le pays. Mais la vraie honte, en ce moment, serait de constater le chancellement du pays et de décider d’en tirer profiter, de s’en démarquer ou d’empirer la situation.

Aimé Mouor KAMBIRE

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