Vers le bout du tunnel

La nouvelle a vite fait le tour des réseaux sociaux. La mise en accusation, le 13 avril 2021, des principaux inculpés dans « l’affaire Thomas Sankara et compagnons », ouvre la voie à un procès attendu depuis 34 ans devant le tribunal militaire. La décision confirme aussi les espoirs suscités quelques mois plus tôt à la date symbolique du 15 octobre 2020. Ce jour-là, le collectif d’avocats des ayants droit de feu Thomas Sankara prenait l’opinion à témoin de ce que le juge d’Instruction en charge du dossier a rendu son ordonnance de renvoi devant la Chambre de contrôle du tribunal militaire de Ouagadougou.

Cette ordonnance permettait d’affirmer que des éléments suffisants avaient été réunis en vue de la manifestation de la vérité sur les événements tragiques du 15 octobre 1987. Le procès de l’affaire Ministère public et ayants droit de feu Thomas Isidore Noël Sankara contre X (désormais identifié : l’ancien président Blaise Compaoré, le général Gilbert Diendéré et 12 autres…) devrait avoir lieu. Ils sont tous poursuivis pour différents chefs d’inculpation : attentat à la sûreté de l’Etat, assassinat, faux en écriture publique, recel de cadavres, complicité d’assassinat…

On s’achemine manifestement vers le bout du tunnel. C’est incontestablement une évolution notable dans ce long feuilleton judiciaire, en ce mois d’avril 2021. Ce, malgré les 30 ans d’efforts soutenus pour tenter d’enterrer le dossier visant à élucider l’assassinat du père de la Révolution burkinabè et une dizaine de ses compagnons d’infortune au sein du Conseil de l’Entente. Pendant 34 ans, Thomas Sankara est resté vivant dans les cœurs. Mieux, il a nourri de ses idéaux une nouvelle génération de panafricanistes, qui constitue aujourd’hui un élan national et international dans la recherche par tous les moyens légaux d’une justice équitable pour lui et ses compagnons.

Que des hauts et des bas depuis la survenue des évènements d’octobre 1987 ! Il a fallu une dizaine d’années à la veuve Sankara pour parvenir au dépôt en septembre 1997 de la première plainte contre X pour assassinat au Tribunal de grande instance de Ouagadougou. Puis une autre en 2001 pour faux en écriture administrative, le certificat de décès de l’ex-président révolutionnaire portant en effet la mention “ mort naturelle”. Les juridictions civiles du pays s’étant déclarées incompétentes, la famille a tenté, en vain, de saisir la justice militaire, avant de se tourner vers les mécanismes internationaux en 2002.

Elle a saisi notamment le Comité des droits de l’homme des Nations unies d’une plainte avec l’appui d’un collectif d’avocats cosmopolites réunis au sein d’une Campagne internationale dénommée « Justice pour Sankara” (CIJS). En 2006, les mécanismes onusiens ont donné raison à la famille Sankara, en exhortant l’Etat burkinabè, sous 90 jours, à « élucider l’assassinat de Thomas Sankara; de fournir à la famille les moyens d’une justice impartiale ; de rectifier son certificat de décès; de prouver le lieu de son enterrement; de compenser la famille pour le traumatisme subi… ». En 2008, les Nations unies ont estimé « satisfaisants », les efforts fournis par le Burkina, même si l’affaire n’a pas été élucidée.

La famille et la CIJS ne baissent pas les bras pour autant et feront preuve d’un activisme assidu en France comme au Burkina Faso pour une enquête indépendante, une enquête parlementaire (2011) et l’ouverture des archives en France (2009). La demande d’enquête parlementaire en France est restée sans suite, et en 2012, la plainte de la famille contre X pour séquestration et enlèvement de Thomas Sankara a été déclarée irrecevable par la Cour de cassation, faute de résultats des tests ADN pour certifier que la tombe identifiée est bien la sienne. Mais en 2014, la justice civile se déclare incompétente sur la demande d’expertise ADN et sur la demande d’exhumation du corps de Thomas Sankara.

C’est l’impasse ! Il a fallu la chute du régime de Blaise Compaoré et la Transition politique à qui il faut reconnaître le mérite d’avoir donné les ordres de poursuite et l’autorisation d’exhumation du corps, pour relancer le dossier. Aujourd’hui, le vent du renouveau, qui souffle sur la justice et la volonté politique affichée des premières autorités burkinabè et françaises de prêter leurs concours à la manifestation de la vérité, donne des lueurs d’espoir. On peut s’attendre à ce que l’affaire Thomas Sankara soit jugée équitablement dans les meilleurs délais afin de « libérer » tous ceux qui réclament justice depuis plus de trois décennies. Vu sous cet angle, ce serait plutôt un bon point pour le processus de réconciliation nationale en cours.

Par Mahamadi TIEGNA
mahamaditiegna@yahoo.fr

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