Zone de libre-échange continental africaine : « Nous devons réussir ce marché africain», le Secrétaire général, Wamkele Mene

En visite officielle au Burkina Faso, le Secrétaire général de la Zone de libre-échange continental africaine (ZLECAf), Wamkele Mene, a accordé une interview à Sidwaya, le vendredi 4 juin 2021, à Ouagadougou. Dans cet entretien, M. Mene revient sur l’objet et le bilan de son séjour au pays des Hommes intègres, le processus de mise en œuvre
de la ZLECAf, les prochaines négociations de l’accord, l’impérieuse nécessité pour l’Afrique de réussir…

Sidwaya (S) : Quel est l’objet de votre présence au Burkina Faso ?

Wamkele Mene (W.M.) : Le premier objectif de notre venue au Burkina Faso
est de reconnaître la contribution du gouvernement burkinabè aux négociations de la ZLECAf. Le Burkina Faso a été un soutien de taille dans le processus d’opérationnalisation de la ZLECAf.
Il a, dès les premiers instants, signé, ratifié l’accord. Il a fait tout le nécessaire relatif à toutes les exigences de la ZLECAf. Il nous revient donc de reconnaître cette contribution. Nous sommes là également pour présenter aux autorités le point de l’ensemble des activités que nous avons
réalisées depuis l’installation du secrétariat général de la ZLECAf en janvier 2021.

S : Vous êtes en fin de mission, quel bilan faites-vous de votre séjour au Burkina Faso ?

W. M. : J’ai fait une visite très fructueuse. J’ai rencontré le président du Faso, le ministre en charge du commerce, celui en charge des affaires étrangères, les acteurs du secteur privé burkinabè. Nous avons eu de très bons échanges. Nous avons discuté principalement de l’avancement de la mise en œuvre de la ZLECAf.
Contrairement aux appréhensions que j’avais quand j’arrivais ici, je repars très confiant, très édifié au regard de ce que j’ai reçu comme informations de la part des autorités burkinabè. Avec la stratégie nationale d’industrialisation et tout ce qui est en train d’être implémenté ici me donnent la force de croire au Burkina Faso pour la suite de la mise en œuvre de la ZLECAf. En plus de l’industrialisation, le président du Faso a mis
l’accent sur l’importance du transport des marchandises pour les pays enclavés comme le Burkina Faso, le Mali, le Niger, sur la nécessité que toute la logistique prenne corps afin de
permettre aux pays de
l’hinterland de commercer leurs marchandises. Le Chef de l’Etat a également parlé de la nécessité de faciliter les procédures douanières afin de renforcer ces couloirs d’échanges de marchandises entre les pays.

S : La ZLECAf est entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Quel bilan faites-vous de ces premiers six mois de mise en œuvre de l’accord ?

W. M. : D’une manière générale, nous sommes satisfaits des activités qui ont été réalisées ces dernières années. Un certain nombre d’organes comme le secrétariat général, l’organe de résolution des différends ont pris corps.
En dehors de ces organes qui ont été mis en place, nous avons commencé la phase de recrutement du personnel et qui va se poursuivre, surtout après la présentation et la validation de l’ossature générale du secrétariat général de la ZLECAf au prochain sommet des Chefs d’Etat.
Nous sommes conscients de nos responsabilités en tant que Secrétaire général de la ZLECAf. Et c’est pour cette raison que nous effectuons des tournées non seulement dans des pays qui ont ratifié l’accord pour leur rendre compte des activités que nous menons, mais aussi dans les pays qui ne l’ont pas encore ratifié pour les encourager à le faire. Aujourd’hui, 54 pays sur 55 ont signé l’accord de la ZLECAf (l’Erythrée est le seul pays qui ne l’a pas encore signé) et 38 pays l’ont ratifié. Il est important que toute l’Afrique ratifie cet accord.
De l’histoire de tous les instruments et accords au niveau de l’Union africaine, la ZLECAf est le premier accord qui a été le plus rapidement ratifié par les Etats.

S : Pour le citoyen lambda, lorsque l’on dit que la ZLECAf est entrée en vigueur le 1er janvier 2021, cela signifie que les marchandises ont commencé à circuler sans barrières entre les pays africains. Est-ce le cas ?

W. M. : Depuis la conférence des Chefs d’Etat en janvier 2020, l’opérationnalisation de la ZLECAf a commencé. Mais il s’agit d’un processus complexe qui peut prendre du temps. Ce n’est pas aussitôt que le secrétariat général est mis en place que les activités commerciales sur le continent commencent. Cela nécessite la mise en place d’un certain nombre de règles douanières. Il y a l’obligation pour chaque pays d’adopter des règles douanières, de sorte qu’au sortir de la pandémie, les lignes puissent bouger.
Il faut noter qu’en moins de cinq ans, la première phase de cet accord a été bouclée. Nous sommes dans la seconde phase. Aujourd’hui, 86% des activités du processus d’opérationnalisation de cet accord sont achevés. Cela est un succès, qui devrait bientôt porter des fruits. Je suis confiant que d’ici la fin de l’année 2021, la ZLECAf sera opérationnelle.

S : La COVID-19 a quelque peu perturbé le processus de mise en œuvre de la ZLECAf, notamment le cycle des négociations restantes. Quelles sont les prochaines étapes de
l’opérationnalisation de l’accord ?

W. M. : La second phase est très importante car elle va aborder la question des investissements, du commerce électronique, de la prise en compte des femmes et des jeunes dans le commerce. Cette seconde phase des négociations commence en juillet prochain.

S : La ZLECAf est l’une des plus grandes zones de libre-échange au monde. Est-ce qu’il n’y pas de risque qu’elle subisse le même sort que certains vastes projets de développement du continent, annoncés à grande pompe mais restés sans effets tangibles sur le terrain ?

W. M. : D’abord, les autres grands projets dont vous parlez ne nous avaient pas comme secrétaire général ! C’est une première différence ! Aujourd’hui, 37 pays ont, d’emblée, accepté d’ouvrir leurs frontières pour le commerce intra-africain. Il y a un enthousiasme continental certain par rapport à la ZLECAf, qu’on n’avait jamais vu sur le continent.
Nous sommes conscients que la tâche ne sera pas facile. Nous devrons apprendre des échecs et des succès des projets passés, des zones économiques régionales pour améliorer ce que nous sommes en train de faire. Nous avons eu un très excellent début.
Contrairement à l’Union européenne qui a mis 72 ans avant que le marché européen ne soit effectif, nous avons bien commencé. Il n’y pas de raison que nous n’y arrivions pas ! Nous avons une base solide et nous sommes optimistes.

S : Malheureusement, il y a des exemples comme le Nigéria qui a fermé ses frontières avec le Benin en flagrante violation des textes de la CEDEAO. Certes, c’est un cas isolé mais est-ce que cela n’est pas symptomatique des difficultés que la ZLECAf pourrait rencontrer ?

W. M. : Jusque-là, le Benin n’est pas membre de la ZLECAf. Donc, juridiquement le Benin ne peut pas régler ce problème dans le cadre de la règlementation de la ZLECAf. Cela dit, il faut reconnaître que ces genres de problèmes font partie des challenges que nous devrons relever. J’ai déjà contacté le Nigéria pour qu’une solution soit trouvée, dans l’intérêt de toutes les parties.
Le couloir entre le Nigéria et la Côte-d’Ivoire est un transit très important pour la vie économique de la région, notamment pour des pays comme le Burkina Faso. Il n’y a pas seulement que le Nigéria que nous avons appelé au règlement de ce problème mais toute la CEDEAO est mobilisée afin que cette crise soit résolue pour la bonne survie économique de la région.

S : Le secrétariat général de votre organisation
a-t-elle tenu compte des phénomènes d’insécurité et d’instabilité politique dans certains Etats africains qui pourraient constituer des menaces pour la réussite de la ZLECAf ?

W. M. : Ce sont des questions qui préoccupent l’ensemble des Chefs d’Etat du continent et pour lesquelles ils sont vraiment engagés à trouver solutions. Il est clair qu’on ne peut faire du commerce sans la paix, sans stabilité politique. Et c’est pour cette raison que la conférence des Chefs d’Etat en janvier 2020 a porté sur le thème : « Faire taire les armes en Afrique ». L’objectif est de créer un environnement propice pour le commerce intra-africain. Ce sont des défis que nous allons relever afin que nos Etats puissent commercer dans la paix et la sérénité.

S : Au-delà de ce volontarisme, existe-t-il des mécanismes juridiques ou institutionnels qui sont prévus pour garantir le succès à la ZLECAf ?

W. M. : Il faut comprendre qu’il y a une volonté politique qui est que l’Afrique ne veut plus être dans la situation où elle se retrouve aujourd’hui.
La question que nous devrions nous poser est la suivante : Voulons-nous rester le continent pauvre, toujours en train de courir derrière les autres pour quémander, pour demander l’aider des autres continents ? Si la réponse est non, il est clair que la ZLECAf va réussir ! De tous les échanges que nous avons eus avec les Chefs d’Etat, tout le monde reconnaît qu’il est temps que l’Afrique réussisse ce pari, que notre continent ne soit plus à la périphérie des autres. Pour un accord d’une telle envergure, il est clair que tous les pays ne peuvent pas commencer au même moment. Ceux qui sont prêts vont débuter, les autres prendront le train en marche. Peut-être que ces derniers seront attirés par les bénéfices, le succès de ceux s’y sont engagés tôt ; et ils rentreront dans la cadence. Aujourd’hui, l’Afrique n’a pas d’autre choix si elle ne veut pas demeurer dans la situation catastrophique où elle est toujours, denière du monde. Nous n’avons donc pas d’alternative que de réussir la ZLECAf ! Et tous les mécanismes sont mis en œuvre pour que nous atteignions cet objectif.

S : Une certaine opinion estime que la ZLECAf est plus avantageuse aux grandes économies africaines comme l’Afrique du Sud, le Maroc, le Nigéria, etc., au détriment des petits pays. Que répondez-vous ?

W. M. : Selon des études déjà réalisées, ces grands dont vous parlez vont bénéficier plus rapidement des retombées de la ZLECAf, du fait qu’il existe déjà des industries dans ces pays. Ce qui n’est pas le cas des pays où le tissu industriel reste faible. L’objectif justement de la ZLECAf est de donner la chance et l’opportunité à ces derniers de développer des industries dans leurs pays ; ce qui va créer des chaines de valeurs. Le Maroc par exemple n’avait pas de zones commerciales spéciales, aujourd’hui, il en dispose ! On constate une évolution commerciale dans ces zones dans des domaines comme l’automobile où il y a eu de grandes avancées.
Prenons encore l’exemple du Lesotho qui, il y a 20 ans, avait refusé de signer un accord de libre-échange avec l’Afrique du Sud parce qu’il était moins compétitif que cette dernière. Aujourd’hui, le Lesotho est plus compétitif que l’Afrique du Sud notamment dans le domaine du cuivre.

Le changement prend du temps.

Ce que nous devons faire aujourd’hui, c’est prendre des mesures concrètes pour accompagner les Etats à s’industrialiser, pour la création des chaines de valeurs. Si nous prenons le cas des pays comme le Togo, le Benin, le Burkina Faso, la question centrale que l’on doit se poser est celle de savoir quelles sont les chaines de valeurs qui peuvent être créées dans ces pays ?
C’est la raison de la mise en place de cet accord continental. Soyons optimistes, concentrons-nous sur l’essentiel, regardons vers l’avenir. Car avec ce qui a été fait, nous allons réussir. C’est le cas pour Singapour, Taïwan, qui, il y a quelques années n’étaient rien, mais sont aujourd’hui très bien positionnés sur le plan mondial. Ce qui est possible ailleurs l’est aussi en Afrique !

S : Quels sont les mécanismes de compensation ou de protection des industries naissantes des pays à faible économie qui sont prévus dans le cadre de la ZLECAf ?

W. M. : L’un des mécanismes qui a été mis en place pour parer aux pertes que certains pays pourraient subir est le fonds d’ajustement. Nous travaillons en collaboration avec Afreximbank qui accompagne la ZLECAf dans ce projet qui consiste à aider les pays à faible économie. Ce fonds d’ajustement sera opérationnel en juillet et sera alimenté à hauteur d’un milliard de dollars. Aujourd’hui, nous voulons que ce fonds puisse profiter prioritairement aux pays économiquement faibles.

S : L’accord de la ZLECAf prévoit la prise en compte du genre, de quoi s’agit-il exactement ?

W. M. : La ZLECAf travaille à atteindre l’agenda 2063 dont le thème est : «L’Afrique que nous voulons». Et dans cet agenda de « l’Afrique que nous voulons », la priorité est accordée aux jeunes et aux femmes. Nous avons à cœur d’accompagner les femmes dans leurs activités commerciales. Nous préparons en juillet prochain une conférence sur les femmes entrepreneures.

S : Quels conseils avez-vous à donner au secteur privé burkinabè afin qu’il puisse mieux tirer parti des opportunités qu’offre la ZLECAf ?

W. M. : L’accord met en place un très vaste marché. J’encourage le secteur privé burkinabè à tirer le meilleur parti de cet accord. L’Afrique a un très grand potentiel en termes d’exportations et il est inconcevable que les entreprises, les investisseurs burkinabè ne profitent pas de la ZLECAf. Je souhaite donc que le Burkina Faso puisse exporter ses produits à travers les autres pays du continent. Le pays regorge d’un certain nombre de secteurs compétitifs et qui représentent de potentiels marchés d’exportation. Il s’agit notamment des secteurs du textile, de l’agroalimentaire, de la transformation locale, de l’agro-industrie, des mines, etc. Le secrétariat de la ZLECAf est disposé à accompagner le Burkina Faso afin qu’il puisse tirer le meilleur parti de ce marché africain.

Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com

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