Départ de la douane de Bittou: Un coup de massue pour la population

La commune de Bittou était réputée pour ses activités économiques du fait de la présence du poste de douane. Mais depuis la mise en service, en 2014, des postes de contrôle juxtaposés de Cinkansé, à la frontière Burkina-Togo, la santé économique de la ville a pris un sérieux coup. La population ne sait plus à quel métier s’accrocher.

Le soleil a commencé à darder de ses rayons ardents sur Bittou, ville située à une soixantaine de kilomètres de Tenkodogo, dans la province du Boulgou, région du Centre-Est. Certains commerces longeant la route nationale n°16 ont toujours leurs grilles baissées. Ceux qui sont ouverts n’enregistrent pas non plus de l’affluence. Seuls les kiosques à café sont plus ou moins animés. Des jeunes y sont massés. Les visages graves, les regards hagards, certains semblent se retrouver dans les excitants tels que la cigarette ou le nescafé. D’autres, plus résilients et ambitieux, s’adonnent au jeu de la loterie ou à des débats d’idées. Au côté Sud de la ville, se dresse une imposante bâtisse qui fait office de bureau de douane. L’endroit est désespérément vide, les usagers se comptant du bout des doigts. Dans l’aire de stationnement, quelques camions-remorques en provenance ou en partance pour le Ghana sont garés. Derrière eux, un espace vide s’étend à perte de vue. Autrefois, dit-on, ce parking arrivait à contenir difficilement les camions. Aucun vendeur ambulant, ni mini boutique ne sont visibles dans les environs. L’ambiance que connaissent généralement les villes frontalières n’est pas au rendez-vous ce 13 novembre 2019. Bittou est à 39 km de la frontière du Togo et à 15 km de celle du Ghana. Son poste de douane, implanté depuis 1956, était un véritable pôle d’attraction économique pour la commune. De par cette position géographique doublée de la présence de la douane, la ville avait une renommée nationale et internationale. Autour de la douane, indique le Secrétaire général (SG) de la mairie, Alphonse Fankani, un certain nombre d’activités s’étaient développées et alimentaient l’économie de la commune. Le trafic routier, le transit, le commerce, bref, le secteur informel était en ébullition et apportait sa part contributive dans la vitalité de l’économie locale, aux dires de M. Fankani. Les recettes communales étaient estimées à 100 millions de F CFA par an, évalue-t-il, avant de préciser que la taxe de stationnement occupait 60% de leur budget. Outre cela, fait savoir le SG, chaque habitant avait une occupation et les bars et restaurants ne désemplissaient pas.

« L’argent circulait à Bittou »

« La ville était animée et on sentait que l’argent circulait à Bittou », indique-t-il. Mais en 2014, contre toute attente, tout bascule. Le bureau de douane, après plusieurs décennies de présence à Bittou, est appelé à déménager aux postes de contrôle juxtaposés de Cinkansé, à une quarantaine de kilomètres plus loin. Seuls quelques agents y sont restés pour le contrôle des marchandises en provenance du Ghana. Le divorce vient ainsi d’être consommé entre Bittou et « sa douane », après 58 ans de « mariage ». Une séparation ressentie par la commune et ses habitants comme un coup de massue sur la tête. L’activité économique prend un coup, les transitaires plient bagages et nombre de commerçants sont obligés de mettre la clé sous le paillasson. La mairie enregistre des manques à gagner annuels pouvant aller jusqu’à 30 millions FCFA, selon les révélations du SG. « L’impact est réel sur notre économie », déplore-t-il. Sayouba Dem, 49 ans, est gérant de kiosque à café. C’est son activité de reconversion. Sinon, à l’entendre, il possédait une boutique de vente de téléphones portables et de crédits de recharge. Son commerce est contigu à la cour de la douane. Une position qui était, pour lui, un atout pour faire fructifier ses affaires. Ses recettes journalières se chiffraient à 100 000 F CFA environ mais il va faire faillite juste après le départ de la douane. Actuellement, ce qu’il tire par jour de son kiosque n’est qu’une broutille : à peine 3000 F CFA. « Maintenant, il faut prier Dieu pour avoir sa pitance quotidienne. Je n’arrive même plus à payer convenablement la scolarité de mes enfants. Nous souffrons beaucoup », se lamente-t-il. Tout comme lui, ils sont nombreux les jeunes de Bittou qui font les frais du déménagement de la douane. Chaque matin, ils prennent d’assaut les kiosques pour « tuer » leur temps. Chez M. Dem, un groupe de personnes devisent en sirotant le nescafé ou le thé. D’autres sont plongées dans leurs journaux hippiques. Elles sont soit commerçantes, soit dockers, soit transitaires mais, pour la plupart, désœuvrées. L’occasion faisant le larron, les langues se délient. Ousmane Soré, docker de 41 ans, rumine encore sa colère à la suite du « départ précipité de la douane ». Il compare la situation à un arbre qui s’est déraciné dans une cour. « Forcément, ça va affecter tous les membres de la famille », clame-t-il. De forte corpulence qui rime avec son métier, ce quadragénaire estime qu’il est devenu oisif et amer. De quatre camions-remorques que lui et son groupe pouvaient décharger et recharger par jour, ils peuvent se taper maintenant une semaine sans avoir un seul camion. « Chacun n’avait pas moins de 15 000 F CFA par jour mais actuellement on n’a plus rien », déplore M. Soré. Après 35 ans de vie à Bittou, il avait réussi à investir dans le bâtiment, grâce à ses revenus. A son actif, une cour familiale et une en location. Son « célibaterium » lui rapportait 30 000 F CFA le mois, à l’entendre, mais aujourd’hui, il est quasiment vide.

« Nous attendons notre port sec »

Les locataires qui étaient des transitaires et des douaniers ont tous décampé. « On nous a trompés en nous promettant qu’après la douane, on allait créer un port sec à Bittou mais jusqu’à présent, rien. Nous ne sommes pas contents. Nous attendons toujours notre port sec », fulmine le docker. Oumar Sana, 36 ans, est commerçant de cycles. Lui aussi ne va pas du dos de la cuillère pour dénoncer ce qu’il appelle « un départ qui n’arrange personne ». Actuellement, ça ne va pas, fait-il savoir avant de signifier que ses bénéfices, en son temps, tournaient autour de 500 mille F CFA par mois. Les pays voisins, notamment le Togo et le Ghana, étaient ses destinations préférées pour faire venir les motos. « Maintenant, je n’y vais plus parce que le marché est devenu morose. Je peux faire trois mois sans vendre une seule moto. Parfois, on est obligé de céder à crédit », détaille M. Sana. A l’écouter, avant, il suffisait de faire un tour au poste de douane et on a quelque chose de lucratif à faire. Son souhait le plus ardent est que la douane revienne à Bittou ou, à défaut, qu’on crée des projets alternatifs pour combler le vide.
Du côté des dames qui tirent leur pitance de la lessive, le constat est le même. Le travail tourne au ralenti et l’amertume se lit sur les visages. Rasmata Zampaligré, la cinquantaine révolue, est occupée à laver les quelques vêtements qu’elle a sous la main. Pas grand-chose, comparativement à ce qu’elle gagnait avant le départ de la douane. De cette activité qu’elle exerce depuis 18 ans, elle pouvait engranger entre 15 mille et 20 mille F CFA par jour. Outre la lessive, Rasmata offre également l’eau chaude à qui veut se doucher. « Grâce à ces activités, j’arrivais à scolariser mes enfants sans problème », relève-t-elle. Mais, ce ne sont que des souvenirs qui semblent loin de redevenir une réalité. Depuis le déménagement du poste de douane, la vieille Rasmata peine à joindre les deux bouts. Elle ne gagne plus que 500 F CFA par jour. Ses enfants ont abandonné le chemin de l’école, faute du paiement des frais de scolarité. Fatimata Bontoulgou, 51 ans, vit presque la même situation. Collègue de Rasmata, cela fait 25 ans qu’elle exerce ce métier. De 15 mille F CFA par jour, son gain est passé à 500 F CFA. « Parfois, je rentre bredouille », mentionne Fatimata, avec un air triste. Veuve, elle était seule à se battre pour s’occuper de ses quatre enfants mais cet élan est de nos jours compromis. « On s’en sortait bien avec la douane mais hélas… Trois de mes enfants ont été obligés d’arrêter l’école, faute de moyens », informe-t-elle.
Les restaurants et maquis ne sont pas aussi mieux lotis. Tout le monde a ressenti le coup. Assis dans un angle de son restaurant, Daouda Bidiga, 42 ans, est préoccupé à suivre un film. Rien que deux clients sont à table. A l’en croire, son « resto » fonctionnait 24 heures sur 24 et ne désemplissait pas. Les recettes, elles, tournaient autour de 50 mille F CFA par jour. Cela remonte à la période d’avant 2014. De nos jours, la clientèle qui était essentiellement composée de chauffeurs routiers et de transitaires se fait rare. Les gains financiers ont drastiquement chuté et se situent autour de 20 mille F CFA par jour.

De 50 mille à 1500 F CFA par jour

Au côté Est du poste de douane, plusieurs maisonnettes sont alignées. Elles ont toutes les portes closes. D’autres sont envahies par de hautes herbes, preuve qu’elles sont restées pendant longtemps inoccupées. Ces maisons faisaient office de bureaux pour les transitaires, informe Alphonse Zampaligré, un fonctionnaire retraité de 62 ans. A ce qu’il dit, beaucoup de transitaires dont le nombre était estimé à plus de 1000, se sont reconvertis dans d’autres activités tandis que le reste vivote. Assis dans son vaste bureau presqu’envahi par la poussière, le chef d’agence de l’Union de transit du Burkina (UTB) de Bittou, Gilbert Bambara, se tourne les pouces. Apparemment, il n’y a rien à se mettre sous la dent. Il dit en avoir marre de parler de la situation de Bittou parce qu’à son avis, le vin est déjà tiré. Il faut juste se résigner. De 300 à 400 dossiers de véhicules qu’il traitait par jour, il se retrouve de nos jours avec une dizaine. « Maintenant, seuls les dossiers des véhicules venant du Ghana sont traités ici », renseigne le sexagénaire. Son revenu financier est passé de 50 000 à 1500 F CFA environ par jour. De quoi lui donner du fil à retordre pour subvenir aux besoins de sa famille. Beaucoup de ses collègues ont préféré rejoindre Cinkansé pour continuer leurs activités. Certains font la navette tous les jours entre Bittou et Cinkansé, avec tous les risques possibles. D’autres, qui n’ont pas pu s’adapter, se retrouvent dans la débrouillardise ou le désœuvrement total. Les plus téméraires, eux, ont trouvé leur salut dans l’orpaillage. Au regard de son âge, 59 ans, M. Bambara n’estime pas nécessaire d’embrasser un autre métier. Toutefois, il lance un cri du cœur pour qu’on délocalise certaines opérations de transit à Bittou. «Tous les véhicules transportant le clinker se garent à Bittou mais les opérations se font à Cinkansé, alors qu’elles pouvaient se faire directement ici », fait-il remarquer. Embouchant la même trompette, Alphonse Zampaligré, par ailleurs ancien conseiller municipal, souhaite la réalisation de projets et de centres de loisirs qui pourront occuper sainement la jeunesse. « Jusqu’à présent, Bittou n’a pas une maison des jeunes. Elle a des potentialités telles que le barrage, la production de manioc mais elles ne sont pas valorisées », atteste le sexagénaire. Même son de cloche chez le SG de la mairie qui estime que le départ de la douane a été brusque et violent, si bien que nombre de personnes ont été déstabilisées.
Une bonne frange de la jeunesse, dont certains ont abandonné trop tôt les bancs du fait de la présence de la douane, s’est retrouvée sans emploi. Un véritable casse-tête pour l’autorité communale de gérer une situation pour le moins inattendue. Certaines sources signalent que les vols sont devenus monnaie courante à Bittou. « Il faut un programme d’accompagnement à l’endroit de la jeunesse. Sinon, la commune va payer les frais », prévient M. Fankani. Déjà, la mairie joue sa partition en organisant des formations professionnelles au profit des jeunes mais elle reste limitée dans ses moyens, selon le SG. C’est pourquoi, il appelle l’Etat à la rescousse.