« Les communes peuvent encore partager d’autres impôts avec l’Etat », selon le SG de l’AMBF, Bertin Ouiya

Dans cet entretien, le secrétaire général de l’Association des municipalités du Burkina Faso (AMBF), Bertin Ouiya, par ailleurs maire de la commune rurale de Siglé, revient, entre autres, sur le bilan de la décentralisation, la fiscalité locale, l’impact de l’insécurité. 

Carrefour Africain (C.A.) : Quelle appréciation l’AMBF fait-elle de la décentralisation, enclenchée depuis 25 ans ?
Bertrin Ouiya (BO) : Notre appréciation du processus est positive au regard de ce qui a été fait. D’abord, il a fallu que l’on s’y engage, malgré la situation de quasi manque de tout dans laquelle se trouvaient la plupart des départements de l’époque qui ont été transformés en communes. C’était un véritable défi. 25 ans après, il y a eu du chemin. Certes, tout n’est pas parfait mais l’avenir reste promoteur. Le principal acquis est que les populations s’approprient de plus en plus la décentralisation, s’intéressent davantage à la vie des communes, par voie de presse ou des réseaux sociaux. Cette prise de conscience augure d’un lendemain meilleur. L’une des insuffisances réside au niveau de la faiblesse des ressources financières, qui fait que certaines réalisations matérielles ne sont pas à la hauteur des attentes des populations. Il y a aussi la question des ressources humaines en quantité et en qualité.

C.A.: Les 16es journées de la commune burkinabè (JCB) ont porté sur le thème : « La fiscalité et le développement local : enjeux et perspectives ». Pourquoi un tel thème ?
BO : La question de la mobilisation des ressources est au centre de l’avenir des collectivités. On ne peut pas continuer à tout attendre de l’Etat. Nous avons choisi ce thème pour échanger et réfléchir aux meilleures stratégies de mobilisation des ressources propres afin de permettre aux communes de faire face aux charges et enjeux du développement. De par les informations que le ministère de l’Economie fournit chaque année, les budgets communaux sont essentiellement alimentés par les transferts de l’Etat autour de 80%. Dans les communes rurales, la part des recettes propres varie entre15% et 20%.

C.A. : Qu’est-ce qui explique ce faible niveau de mobilisation des ressources ?
B.O : D’abord, la limite de l’assiette fiscale, due à la faiblesse des matières imposables. En dehors des recettes des marchés, des taxes de résidence et autres, on est encore à prendre des taxes sur les charrettes. Deuxièmement, il y a l’insuffisance du personnel des impôts, l’absence du fisc dans les communes. Le contribuable n’est pas disposé à payer ses impôts, s’il doit parcourir des dizaines de kilomètres pour le faire, ce n’est pas évident. Dans le système actuel, les recettes communales sont recouvrées par des services des impôts provinciaux, à travers une ou deux missions de recouvrement par an. S’ils viennent rater un contribuable, il faut attendre l’année prochaine.

C.A. : Le manque de sensibilisation, de redevabilité, de transparence des exécutifs locaux est aussi considéré comme facteur d’incivisme fiscal…
B.O : Il n’y a pas de commune qui ne le fait pas la sensibilisation, peut-être qu’elle est insuffisante. Si vous ne le faites pas, comment allez-vous gérer certaines dépenses qui sont prises en charge uniquement par des ressources propres ? Ces deux dernières années, un effort particulier est fait en matière de redevabilité, surtout avec l’accompagnement financier de la Banque mondiale. Le résultat attendu est l’amélioration des recettes propres les cinq prochaines années.

C.A. : Certaines communes sont frappées par l’insécurité. Quel impact sur ces collectivités ?
B.O : C’est la désolation, car il y a des communes où il n’y a plus de ressources propres. Elles vivent sous perfusion de l’Etat. Aucun agent des impôts ne peut s’y rendre mais aussi, il n’y a plus d’activités. Les populations ont fui. L’impact est tellement négatif que l’on peut dire que ces communes sont à l’arrêt.

C.A. : Lors des dernières JCB, les collectivités ont souhaité des réformes de la fiscalité locale…
B.O : Nous avons suggéré que des réformes puissent permettre, à plus ou moins long terme, de responsabiliser les communes dans la collecte de leurs recettes propres, à travers leurs employés ou des agents des impôts mis à disposition. Actuellement, les textes donnent l’exclusivité du recouvrement aux services des impôts. Deuxièmement, c’est d’avoir une fiscalité partagée. L’Etat a déjà fait des concessions, mais nous pensons que nous pouvons encore partager d’autres impôts pour permettre aux communes d’avoir plus de ressources. A l’issue des échanges, nous nous sommes rendu compte que ces réformes impliquent plusieurs acteurs. Nous avons convenu de mettre en place une commission multi-acteurs pour poursuivre la réflexion afin de faire des propositions qui reflètent la réalité.

Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO