Production du manioc : une mévente désarmante à Bittou

La région du Centre-Est, notamment la commune de Bittou, est une zone à fort potentiel de production de manioc. Traversée par le fleuve Nakanbé et voisine du Togo et du Ghana, la commune se hisse à la deuxième place en termes de production de manioc au Burkina Faso. Cependant, les producteurs sont confrontés à un problème d’écoulement de leurs tubercules. Des préoccupations qui contraignent certains à vouloir jeter l’éponge.

Les producteurs de manioc à Bittou, dans la région du Centre-Est, font face à la mévente. L’insécurité dans les zones du Centre Nord et du Sahel a désorganisé une part importante de la clientèle tandis que les unités locales de transformation sont limitées. Pour le moins, ils sont inquiets. Moumouni Zampaligré, la soixantaine révolue, est producteur de manioc à Bittou. Depuis près de 40 ans, il s’investit dans cette activité devenue, pour lui, une véritable source de revenus. Son champ de manioc s’étend sur une superficie de quatre hectares, avec une production moyenne estimée entre 30 et 40 tonnes à l’hectare. Avec la charrue ou le tracteur, M. Zampaligré produit au moins trois variétés de manioc en vue de satisfaire les désidératas des consommateurs. Il s’agit, selon ses dires, des variétés Bonoi, V5 et celle locale. Tout comme lui, ils sont nombreux, les paysans de la commune qui ont fait de la production de manioc, leur principale activité. Pour mieux organiser la filière, ils se sont constitués en Union départementale des producteurs de manioc, forte de plus de 1000 membres (hommes et femmes confondus). Moumouni Zampaligré en est le président. «Il y avait du désordre dans notre activité. C’est pourquoi, nous avons créé l’union qui compte 17 groupements de producteurs pour être plus performants», explique-t-il. La zone de Bittou enregistre des atouts favorables à la production du manioc, un tubercule très riche en glucides. Selon le Directeur régional (DR) de l’agriculture et des aménagements hydro-agricoles du Centre-Est, Ibréima Ouédraogo, cette situation est due au fait que la commune est traversée par le fleuve Nakanbé, d’où un potentiel en ressources hydrauliques très important. Sa proximité avec les pays côtiers, notamment le Ghana et le Togo, rend également les terres fertiles, à son avis.

«La production du manioc emploie des milliers de personnes et procure des revenus et de l’alimentation aux populations», soutient le DR. Cette production est tellement importante, renchérit le Secrétaire général (SG) de la mairie de Bittou, Alphonse Fankani, qu’on se croirait dans un pays côtier. «Par le passé, on nous classait parmi les cinq premiers producteurs de manioc au Burkina Faso. Mais aujourd’hui (décembre 2019), nous occupons la deuxième place », précise-t-il. A l’entendre, la commune travaille à dynamiser le secteur en vue d’accroître les revenus des producteurs et par ricochet, ses propres recettes. A cet effet, souligne le SG, la mairie a plaidé et obtenu le désenclavement du village de Zékézé, lieu où le manioc est le plus produit, à travers l’aménagement de sa voie d’accès. «Nous ambitionnons de produire suffisamment le manioc pour non seulement alimenter le marché de Bittou mais aussi approvisionner les pays voisins », espère M. Fankani.

Plus de 5000 sacs de manioc au marché

Ce vœu est presque une réalité de nos jours, car le marché de Bittou est parfois inondé de tubercules de manioc. Plus de 5000 sacs de 100 kg de manioc peuvent s’y retrouver à la fois, aux dires du président, Moumouni Zampaligré. Ce qui n’est pas sans conséquences fâcheuses pour les acteurs. Ecouler toute la production sans encombres demeure une équation à résoudre. M. Zampaligré informe que les producteurs perdent d’énormes quantités de manioc au moment des récoltes du fait de la mévente. Les acheteurs se font rares sur le marché. Hormis les deux unités de transformation basées à Bittou, les clients venaient de Kaya, dans le Centre-Nord, ou de Djibo, dans le Sahel, pour s’approvisionner. Mais subitement, l’insécurité s’invite et change la donne. Les producteurs doivent désormais compter sur les consommateurs locaux et surtout les transformatrices. Mais là encore, il y a un hic. «Les transformatrices n’absorbent pas grand-chose de notre production. Sur 1000 sacs de manioc, elles ne peuvent pas prendre plus de 10 par jour», fait savoir M. Zampaligré, avant de parier que même s’il y avait 20 unités à Bittou, elles ne pourraient pas transformer tout le manioc produit. Et pourtant, relève-t-il, c’est grâce à l’attiéké que la variété V5 a été introduite dans la zone de Bittou. A l’écouter, la variété locale n’étant pas adaptée à l’attiéké, les producteurs ont été obligés de commander la V5 depuis Bobo-Dioulasso. Mais cette variété, note le président des producteurs, n’est pas appétissante quand il s’agit de la faire bouillir pour consommer. « Personne n’achète la V5 si ce ne sont les femmes qui font l’attiéké. Ce qui fait que nous avons diminué sa production au profit des deux autres variétés », signale M. Zampaligré. L’offre étant devenue supérieure à la demande, les producteurs sont contraints de vendre parfois leurs tubercules à vil prix. «On est obligé de céder ou à défaut, le manioc pourrit, parce qu’on ne peut pas le conserver pendant longtemps », déplore-t-il.

Le sac de 100 kg de manioc est vendu à six mille francs CFA et parfois en deçà. Par moments, il peut aussi grimper et atteindre 10 mille F CFA. Ces prix semblent avoir un goût amer auprès des transformatrices. Pour la présidente de l’Association des veuves et orphelins de Bittou (AVORB), Maïmouna Sawadogo, qui gère l’une des unités de transformation, le manioc ne manque pas mais il coûte cher en saison sèche. C’est pourquoi son entreprise préfère acheter la matière première en grande quantité au moment des récoltes qu’elle va transformer en pâte et stocker. Idem pour la seconde unité de transformation pilotée par le groupement Sougr-Nooma et dont la présidente, Haoua Zampaligré, plaide pour une réduction du coût du manioc. A ces préoccupations, le président des producteurs, Moumouni Zampaligré, estime qu’une solution peut être trouvée à travers un partenariat gagnant-gagnant.

Un festival pour promouvoir la filière

Malgré tout, le manioc procure des avantages énormes aux différents acteurs de la filière. Sur ce point, le président de l’Union se veut formel : «La production du manioc nous est bénéfique. Grâce à nos revenus, nous arrivons à subvenir aux besoins de nos familles, à scolariser nos enfants…», se réjouit-il, avant de signaler que les jeunes ne vont même plus à l’aventure. Boureima Dipama, la trentaine, est un exemple patent. Après avoir sillonné le Togo, la Côte d’Ivoire et la Guinée Conakry à rechercher en vain un mieux-être, il a finalement décidé de rentrer au bercail. Producteur à Bittou, M. Dipama déclare engranger plus d’un million F CFA par an dans la vente de son manioc. Avec deux tricycles motorisés à son actif, il avoue trouver son compte dans la production de manioc. La fausse note est que la mévente du manioc annihile de plus en plus les espoirs de nombre de producteurs. Ce 18 décembre 2019, jour de marché de Bittou, quelques-uns, assis devant la cour de leur président, devisent sur l’avenir de la filière. Yamba Sawadogo et Athanase Sawadogo sont venus de Zékézé, à une quinzaine de kilomètres de là. Ils ont chacun deux hectares de manioc. Affligé par le problème d’écoulement, Athanase dit avoir réduit sa surface de production de 4 à 2 ha environ. «Je suis persuadé que si nous avons du soutien, nous allons dépasser la zone de Bobo-Dioulasso en termes de production de manioc », clame-t-il. Yamba, lui, plaide pour l’acquisition de motopompes pouvant lui permettre de produire le manioc en toute saison, à travers l’irrigation.

En attendant, les producteurs ont trouvé des alternatives qui consistent à se tourner vers d’autres spéculations, à savoir la banane, le maïs, et surtout le piment, qui, semble-t-il, s’achète très bien sur le marché. Jean-Marie Zampaligré, producteur à Bittou, a également réduit son champ de manioc de 2 à 0,5 ha. Le maïs est désormais sa culture favorite. Même le président, Moumouni Zampaligré, dit avoir déjà un penchant pour le piment. «Si le marché ne s’améliore pas et si nous n’obtenons pas de soutien, nous risquons de diminuer, voire abandonner la production du manioc», prévient-il.

Aussi plaide-t-il pour qu’on soutienne les unités de transformation avec du matériel moderne. Des doléances qui ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd, puisque le DR en charge de l’agriculture du Centre-Est, Ibréima Ouédraogo, indique que son département prévoit faire du manioc une filière porteuse dans la région. « C’est à ce titre que nous accompagnons le Festival des tubercules de Bittou (Festubit) », mentionne-t-il. Ce festival, initié en 2018 par Issaka Zapsonré, vise, selon lui, à développer et à promouvoir la filière manioc à Bittou. Après deux éditions, note-t-il, le festival a eu l’avantage d’attirer des partenaires qui ont promis d’accompagner les acteurs de la filière. La divagation des animaux préoccupe également les producteurs. A écouter leur président, plusieurs fois, des champs ont été détruits par des bêtes. Toute chose qui joue négativement sur les rendements et occasionne souvent des conflits entre agriculteurs et éleveurs. En pareilles circonstances, les autorités administratives sont sollicitées. « On privilégie que les protagonistes trouvent d’abord des solutions à l’amiable. Dans le cas contraire, le dossier est transféré à la préfecture, pour ensuite suivre le cours juridique », souligne le DR, Ibréima Ouédraogo. Pour prévenir ces situations déplorables, fait-il savoir, des campagnes de sensibilisation sont organisées à chaque début de saison pluvieuse.

Par Mady KABRE
dykabre@yahoo.fr