Union nationale des producteurs semenciers du Burkina : où sont passés les 699.318.450 FCFA?

L’ancien président de l’Union nationale des producteurs semenciers du Burkina (UNPSB), Abdoulaye Sawadogo, est un homme libre. Accusé de détournement d’argent par ses pairs, puis emprisonné après une enquête préliminaire de la gendarmerie, il jouit actuellement d’un non-lieu du procureur. Une question reste cependant ouverte. Où sont passés les 699 318 450 FCFA de retenues opérées sur la solde des producteurs semenciers en 2014 avec également en toile de fond, le non-reversement de 111 943 750 FCFA de recettes aux semenciers du Bazèga ? Enquête.

En 2014, le ministère en charge de l’agriculture lance des commandes de semences auprès de l’Union nationale des producteurs semenciers du Burkina (UNPSB). Les deux parties s’accordent, pour ce faire, sur les prix des semences avant de passer à la signature de deux conventions. La première pour un montant de 3 milliards 700 millions FCFA et 1 milliard 900 millions FCFA pour la deuxième. Les prix et les quantités commandées de chaque variété sont clairement consignés dans un document produit à cet effet et portant en tout trois (3) signatures à savoir celles du ministre en charge de l’agriculture, du ministre délégué chargé du budget et du président de l’UNPSB. L’opération se déroulera normalement dans les 13 régions du Burkina, chacune ayant exécuté son contrat sans difficulté. Tout semble aller bien avec la collecte et la livraison systématique des commandes au ministère en charge de l’agriculture. Contre toute attente, la situation se complique quand l’argent est viré dans les comptes de l’Union. De nouvelles propositions de prix, minorés, apparaissent dans un document dénommé « prix négociés avec la DGPV (Ndlr : direction générale des productions végétales) et signé par Abdoulaye Sawadogo, alors président de l’UNPSB. C’est finalement sur la base de ces nouveaux « prix » revus à la baisse que les semenciers ont été payés. A en croire Adama Ouédraogo, président de l’Union provinciale des producteurs semenciers (UPPS) du Bazèga, de nombreuses irrégularités sont, pourtant, perceptibles au niveau de ce nouveau document. D’abord, explique-t-il, il ne porte que la seule signature du président Abdoulaye Sawadogo. Ensuite, poursuit-il, les prix révisés ont été revus à la baisse, à l’insu des autres membres et des ministres concernés. Enfin, relève M. Ouédraogo, la modification est intervenue de manière suspecte, au moment où le ministère avait déjà viré l’argent dans les comptes de l’UNPSB, conformément aux termes des conventions. Un climat de suspicion commence à s’installer peu à peu.

Des producteurs floués

Du coup, Adama Ouédraogo se pose des questions sur la fiabilité de ce document. «C’est l’Union nationale, à travers son premier responsable, qui propose les prix des semences au ministère et après entente, nul ne peut procéder à des modifications», dit-il.
Mieux, il insiste pour que les producteurs soient payés conformément à ce qui avait été arrêté dans le contrat initial. «Toutes les semences ont été collectées et remises au ministère sans aucune forme de modification des prix», persiste et signe Adama Ouédraogo. Malgré tout, le président réussira à passer outre et à payer les producteurs sur la base des prix modifiés ou négociés. Par rapport au contrat initial respecté par l’Etat, la somme totale des retenues effectuées sans base légale se chiffre à 699 318 450 FCFA sur le montant de la première convention (3,7 milliards FCFA). Adama Ouédraogo atteste que ces mêmes pratiques ont été opérées sur le montant de la deuxième convention, mais précise qu’il n’a pas évalué la différence des sommes à ce niveau.

Des producteurs, se sentant floués par leur président, crient alors au détournement. Pour tirer les choses au clair, ils portent l’affaire en justice. Abdoulaye Sawadogo est pointé du doigt. Une enquête a été diligentée et les premiers éléments le mettent en cause. Abdoulaye Sawadogo est donc arrêté et jeté en prison. Après un bref séjour, l’accusé est acquitté, le dossier étant classé sans suite, croit savoir M. Ouédraogo. Depuis, c’est le silence radio. Connaîtra-t-on un jour la vérité sur cette affaire? Pourquoi M. Sawadogo a-t-il été relâché sans jugement alors que sa culpabilité a été bel et bien établie par l’enquête préliminaire de la gendarmerie ? Ce sont là, autant de questions qui taraudent l’esprit des semenciers. Abdoulaye Sawadogo, le principal accusé, a sa version, sans doute. Nous nous sommes déplacés jusqu’à Bobo Dioulasso où il réside pour lui donner la parole. M. Sawadogo a usé de son droit à la liberté de ne pas répondre à un journaliste (voir détail en encadré). Ses bureaux situés en face du Théâtre de l’Amitié, il les a désertés durant notre passage.

Deux unions régionales au Centre-Sud

Après la vente de leurs semences en 2014, toutes les unions régionales sont passées toucher leurs chèques à l’Union nationale. En retour, chaque Union régionale devait répartir les recettes entre les Unions provinciales, sur la base des commandes livrées. Au Centre-Sud, seuls les semenciers du Nahouri et du Zoundwéogo ont perçu leur dû. Quant aux semenciers du Bazèga, ils se verront refuser le paiement de leurs recettes dont le montant global s’élève à 111 943 750 FCFA.

Motif? Adama Ouédraogo, par ailleurs président de l’Union régionale des producteurs semenciers du Centre-Sud (URPS/CS) et ancien trésorier général à l’Union nationale, a été exclu de toutes les instances de la structure. En effet, un précédent entre lui et l’ancien président de l’UNPSB a eu comme conséquence, la création d’une deuxième Union régionale présidée par Albert Bouda. Malgré le caractère illégal de ce bureau, c’est à lui qu’il a été affecté les recettes des semenciers de la région du Centre-Sud. Albert Bouda refuse, sans aucune raison valable, de reverser ces recettes aux semenciers du Bazèga. Contacté, celui-ci n’a pas souhaité réagir. La région du Centre-Sud s’est ainsi retrouvée avec deux unions régionales. La première est dirigée par Adama Ouédraogo, cumulativement avec son poste de président de l’UPPS-Bazèga. La deuxième est présidée par Albert Bouda, à la suite d’une scission du premier bureau régional. Si Adama Ouédraogo a été élu à la faveur du renouvellement du bureau régional le 8 janvier 2014 au cours d’une Assemblée générale ordinaire, ce n’est pas le cas pour Albert Bouda qui se réclame président d’un bureau mis en place le 20 février 2014, soit 43 jours après le renouvellement du bureau régional.

Un président sans mandat

A entendre Adama Ouédraogo, toute cette manigance a été orchestrée par le président national d’alors, pour l’écarter des instances de l’Union nationale. En fait, les deux hommes se regardent en chien de faïence depuis 2009, à la suite d’une querelle sur le partage du « gombo ». En son temps, l’UNPSB et le ministère de l’agriculture avaient signé une convention à hauteur de 2 milliards de francs CFA. Après la livraison de la commande et le virement des fonds dans les comptes de l’Union nationale, Adama Ouédraogo, trésorier à l’époque, collecte les factures et les procès-verbaux auprès des Unions régionales. Une fois cette phase terminée, il procède au contrôle puis au remplissage des chèques au profit de chaque Union régionale. Selon ses dires, c’est à ce niveau qu’il a eu des brouilles avec Abdoulaye Sawadogo, par ailleurs président de l’Union régionale des semenciers des Hauts-Bassins cumulativement avec son poste de président national. Lui, déplore M. Ouédraogo, il a exigé que le chèque de sa région soit libellé à son propre nom au détriment de l’Union. Cette doléance pour le moins suspecte sera rejetée du revers de la main par le trésorier. Cette mésentente, tel un os, est restée en travers de la gorge du président.

En outre, c’est Adama Ouédraogo en personne qui a dénoncé la supercherie de leur président qui les volait sous le fallacieux prétexte de révision des prix, qui visait en réalité à retenir injustement une partie de leur argent. De ce qui précède, M. Ouédraogo est naturellement perçu, par le président et ses soutiens, comme un empêcheur de « bouffer ». Adama Ouédraogo déclare que le président national n’a pas hésité à lui créer toutes sortes d’ennuis en montant les producteurs du Centre-Sud, les uns contre les autres. Et cela, avec la complicité de certains cadres de l’administration publique qui, au mépris des textes, ont délivré un récépissé au nouveau bureau. Ce récépissé, Adama Ouédraogo et ses camarades l’ont attaqué en justice et obtenu son annulation. Du point de vue juridique, le bureau dirigé par Albert Bouda n’existe plus. Comment se fait-il que les recettes des semenciers du Centre-sud se retrouvent entre ses mains? Le comble est que l’actuel président de l’UNPSB, Inoussa Ouédraogo, élu en 2019, est issu de ce bureau « illégal ». Pour nombre de semenciers, c’est un président sans mandat. Malgré tout, le ministère de l’Agriculture semble rester indifférent face à ces nombreuses irrégularités.

Des décisions de justice non appliquées

De 2014 à nos jours, les semenciers du Bazèga rasent les murs de l’Union régionale pour réclamer leur argent. De guerre lasse, Adama Ouédraogo et ses compagnons d’infortune se sont tournés vers la justice. Mais, au Tribunal de grande instance (TGI) de Manga où, signalent-ils, tout a été dit sauf le droit, ils ont perdu le procès. Ils ne s’avouent pas, cependant, vaincus. Ils décident d’interjeter appel et gagneront enfin leur procès. La Cour d’appel de Ouagadougou a ordonné donc à l’Union régionale dirigée par Albert Bouda de reverser l’argent des semenciers du Bazèga. Mécontents, M. Bouda fait un pourvoi en cassation. Mais un arrêt de la Cour de cassation, revêtu de la formule exécutoire et signé le 26 octobre 2018, le somme de reverser aux semenciers du Bazèga, leur dû. Cette décision précise que les semenciers du Bazèga devront être payés sur la base des prix convenus dans le contrat avec le ministère en charge de l’agriculture.

Pendant que le dossier suivait son cours normal au Burkina, les semenciers du Bazèga ont déposé un recours à la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan (CCJA) le 10 avril 2017. Un arrêt de cette juridiction communautaire rendu le 6 décembre 2017 et revêtu d’un titre exécutoire, ordonne à l’Union régionale, à reverser l’argent des semenciers du Bazèga. En vain. Mais, les semenciers du Bazèga disent ne pas perdre espoir. Le bout du tunnel, foi d’Amado Sana, n’est pas si loin. A son avis, se rendre justice n’est pas la solution. Il espère, très prochainement, toucher le produit de la vente de ses 6 tonnes de semences certifiées de sorgho. Amado Sana finit par se convaincre qu’on leur fait la force.

« Nous sommes derrière notre président provincial parce qu’il est du côté de la vérité », dit-il. Las d’attendre, Issouf Bonkoungou remet son sort entre les mains de Dieu. Pour lui, tout se réglera, sans que les protagonistes n’en viennent aux mains. Même si, regrette-t-il, des dettes ont été contractées pour produire. Issouf Compaoré, lui, a le regard tourné vers la justice. Il souhaite que les décisions rendues soient appliquées dans « les plus brefs délais » afin de soulager le calvaire de ces producteurs semenciers. En somme, ce qui se passe au sein de l’Union nationale et ses démembrements s’apparente à une arnaque. Quitte aux semenciers qui se sentent lésés de s’organiser pour recouvrer les montants à eux volés.

Ouamtinga Michel ILBOUDO