Modeste Somé, Burkinabè confiné aux Etats-Unis : «J’ai été étonné de voir à quel point les pays dits développés sont fragiles»

Modeste Somé ; « Je suis confiant qu’on va finir par vaincre ce virus.. »

Modeste Yirbehowré Somé vit à Virginie. Economiste au Fonds mondial international (FMI), il raconte, dans cet entretien réalisé le 21 avril 2020, ses occupations, ses insatisfactions et son espoir de Burkinabè confiné aux Etats-Unis.

Carrefour Africain (C.A) : Quelle est l’ambiance mais aussi l’état d’esprit des résidents de Virginie à Washington District actuellement ?

Modeste Yirbehowré Somé (M.Y.S) : Actuellement ici à Washington, comme un peu partout dans le monde, l’ambiance est vraiment morose. Tout est à l’arrêt dans le but de sauver d’abord les vies humaines. Ça fait maintenant plus d’un mois que nous sommes confinés et l’état d’esprit actuellement, c’est beaucoup de questionnements et en même temps l’impatience que tout redevienne normal. Dans certaines villes on assiste déjà à des manifestations pour une levée des restrictions de confinement imposées car les gens ne tiennent plus.

C.A : Quels sont les mesures clés prises par votre service (FMI) dans le cadre du COVID-19 ?

M.Y.S : Depuis le 11 mars 2020, dès que la menace du COVID-19 était devenue évidente, le FMI a pris les mesures qui s’imposent pour préserver d’abord la sécurité de son personnel. A cet effet, il a été décidé immédiatement la fermeture physique de nos bureaux avec un accès très limité. Cependant, grâce aux TICs nous n’avons jamais arrêté de travailler. On travaille d’ailleurs beaucoup plus que durant la période pré-COVID. Avec les restrictions et le confinement comme mesures pour stopper la propagation du COVID-19, dans la grande majorité des pays du monde, l’économie mondiale est à l’arrêt, et les pays les plus vulnérables ont besoin d’une assistance de la communauté internationale. Le FMI joue un rôle de premier plan pour canaliser et coordonner l’assistance internationale, en termes d’assistance financière et d’allègement de la dette pour les pays qui en ont besoin.

C.A : Comment vivez-vous personnellement la situation ?

M.Y.S : Personnellement ce n’est pas facile mais par la grâce de Dieu ça va bien, côté santé. C’est difficile de rester confiné comme si on était prisonnier du jour au lendemain pendant près de deux mois. Pour nous les expatriés, il faut non seulement gérer nos stresses ici mais en plus il y a la situation au pays qui en rajoute. Le Burkina a été l’un des premiers pays en Afrique au Sud du Sahara à être durement touché par le COVID-19 et forcément, ça nous concerne.
«Du matin à la nuit, nous sommes dans les réunions de travail avec les autorités des différents pays»

C.A : Décrivez-nous votre journée

M.Y.S : Une journée typique dans cette période de confinement ce n’est rien d’autres que le travail. Du matin à la nuit, nous sommes dans les réunions de travail avec les autorités des différents pays pour les assister dans leur plan de riposte contre le COVID-19 et estimer les besoins de financement y afférents. C’est une période de forte demande de nos services et forcément, on travaille de très longues heures.

C.A : A titre personnel, comment êtes-vous géré au quotidien par les autorités américaines ou votre service en tant que confiné ?

M.Y.S : Chacun suit les règlements en vigueur dans son Etat, bien sûr en adéquation avec les règlementations fédérales. Le gouvernement américain a effectivement pris des mesures pour alléger financièrement les dommages causés par les restrictions dues au confinement mais c’est uniquement au profit des citoyens américains qui ont été durement touchés. En ce qui me concerne personnellement, comme indiqué plus haut, on continue le travail par la grâce de Dieu.

C.A : Noir et Burkinabè, vous sentez- vous discriminé durant ce confinement ?

M.Y.S : Non pas du tout. Par contre, je n’en sais rien pour les autres surtout ceux qui ont eu besoin de services de santé.

C.A : Avez-vous des possibilités de vous déplacer ?

M.Y.S : Oui on peut se déplacer. Il est cependant recommandé de ne se déplacer que lorsque c’est nécessaire. Les règlementations en vigueur en Virginie où j’habite, et en général dans la région de Washington DC, recommandent de rester à la maison à moins qu’on ne se déplace pour des besoins essentiels tels que la santé ou pour s’approvisionner en vivres.
«..les weekends, on se retrouve avec des collègues, pour prendre un verre de façon virtuelle»

C.A : Comment faites-vous pour vos emplettes, vos loisirs ?

M.Y.S : Les magasins qui fournissent les biens essentiels ne sont pas fermés donc on s’approvisionne en biens essentiels sans difficulté comme d’habitude. L’achat des autres biens est secondaire dans ce contexte; néanmoins il y a la possibilité de payer aussi en ligne pour les autres biens. Pour le loisir, il n’y a que la télévision et les réseaux sociaux bien sûr, car tous les espaces de loisir sont fermés. Cependant, à situations exceptionnelles, comportements exceptionnels. Actuellement, les weekends, on trouve un peu de temps avec des collègues pour se réunir et prendre un «verre» de façon virtuelle. On fait un appel vidéo de groupe pour juste discuter en dehors du boulot.

C.A : Etes-vous en contact avec d’autres Burkinabè dans la même situation ?

M.Y.S : Oui, il y a un bon nombre de compatriotes qui travaillent aussi au FMI ou dans d’autres institutions sur place ici. On essaye de se soutenir moralement comme on peut.

C.A : Depuis quand êtes-vous dans le télétravail et comment ça se passe concrètement ?

M.Y.S : Comme indiqué ci-dessus, on est dans le télétravail depuis le 11 mars 2020. Concrètement, c’est via l’utilisation des emails et des visioconférences à travers internet et les appels téléphoniques. Bien sûr, pour les réunions il faut planifier à l’avance car on peut avoir plusieurs réunions différentes le même jour.

C.A : Quels logiciels utilisez-vous dans le cadre du télétravail ?

M.Y.S : De nos jours il existe plusieurs logiciels pour le télétravail (WebEx, Skype, Polycom, Zoom, etc.). Au niveau du FMI on utilise principalement Webex et parfois Polycom pour nos réunions.

C.A : Votre emploi est-il menacé ?

M.Y.S : Pour le moment par la grâce de Dieu on continue de travailler mais il serait naïf de penser dans ce contexte que son travail n’est pas menacé car aucun travail n’est assuré à 100 pour cent. On souhaite vivement sortir de cette situation le plus tôt possible car ça n’arrangerait personne à long terme.
«On se demande si au Burkina nous avons mis en avant nos meilleures ressources humaines»

C.A : Que pensez-vous de la gestion de la situation du COVID-19 au Burkina vue de loin ?

M.Y.S : Le COVID-19 a révélé les faiblesses dans les systèmes de santé des pays du monde entier y compris les pays dits développés. Vue de loin, la gestion de la situation au pays est vraiment difficile à apprécier. Aussi bien on reconnait la difficulté de la situation, on voit qu’évidemment on pourrait faire beaucoup mieux en utilisant toutes nos ressources surtout humaines. C’est toujours difficile de gérer une crise de cette ampleur mais on se demande si au Burkina nous avons mis en avant nos meilleures ressources humaines pour la gestion de cette crise. Par ailleurs, il faut qu’on contrôle et coordonne la communication entre les autorités et la cellule de gestion de la crise pour éviter la confusion et la peur au sein de nos populations. Soudons-nous les coudes pour sortir de cette situation d’abord, et après, le reste, on est de toute façon habitué à ça maintenant au Burkina.

C.A : Avez-vous reçu un contact de l’ambassadeur du Burkina à Washington ?

M.Y.S : Non, je n’ai pas reçu personnellement de contact de l’ambassade. Je ne sais pas si de façon générale il y a eu un effort de l’ambassade pour entrer en contact avec les Burkinabè.

C.A : Quelles leçons à chaud tirer de la crise du COVI-19, quel espoir, quelles perspectives ?

M.Y.S : Aujourd’hui on prend beaucoup de choses comme données mais cette crise vient nous révéler à quel point tout tient sur du fil pour les humains. J’ai été étonné de voir à quel point les pays dits développés sont fragiles lorsque le COVID-19 a frappé. Le dilemme entre préserver le développement économique et sauver les vies humaines n’est pas facile à résoudre. En Afrique c’est encore plus difficile d’implémenter des mesures de confinement car la majeure partie de nos populations vivent au jour le jour. Je suis confiant qu’on va finir par vaincre ce virus et en même temps j’espère que ça sera une occasion de tirer toutes les leçons et ajuster nos systèmes pour la prochaine crise pandémique.

C.A : Le conseil d’administration du FMI a décidé le 13 avril dernier d’alléger les dettes pour 19 pays africains. Avez-vous des chiffres concernant notre pays Burkina Faso et le Mali où vous intervenez ?

M.Y.S : Effectivement depuis la crise, le FMI a mis en œuvre un certain nombre d’instruments y compris les assistances d’urgence de facilité de crédit rapide et l’allégement de la dette pour les pays les plus pauvres dans le but de leur permettre de dégager de l’espace fiscal pour faire face aux dépenses liées aux mesures mises en place pour contrer la propagation du virus. Pour les pays éligibles à l’allégement de la dette du FMI, y compris le Burkina et le Mali, les montants portent sur les flux du service de la dette dus au FMI pour les six prochains mois dans un premier temps.
Dans un second temps, dans la limite des ressources du FMI, ce montant pourrait s’étendre sur les flux du service de la dette dus au FMI allant jusqu’à 18 mois.

Propos recueillis via le net par Aimé Mouor KAMBIRE