Suspension du trafic routier : La vie au ralenti à Tampouy-gare

Tous les véhicules sont sur cale à la gare de Tampouy

Les acteurs du transport sont aux abois. Ceux rencontrés à la gare de Tampouy par Carrefour africain racontent leur calvaire. Après un mois d’inactivité, beaucoup manquent du minimum vital et souhaiteraient reprendre le trafic. Pourront-ils respecter les mesures barrières édictées par les autorités sanitaires dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 ? En tous les cas, c’est ce qu’ils promettent.

La vie s’est arrêtée à la gare routière de Tampouy, située au pied de l’échangeur du Nord. En ce jour ensoleillé du mardi 21 avril 2020, l’ambiance n’est pas au rendez-vous. Aucun véhicule ne rentre, ni ne sort. Les « dinas » et les cars sont sur cale. Les jours sont devenus longs pour ces milliers d’employés réduits en chômage technique et contraints de rester à la maison. Chauffeurs, apprentis, démarcheurs et convoyeurs, qui tiraient déjà le diable par la queue, ne savent plus à quel saint se vouer. Au beau milieu de la gare trône le hall réservé aux voyageurs. Il est quasiment vide.

Quelques commerçants ambulants, mendiants et transporteurs désœuvrés se prélassent sous son ombre. Quand bien même qu’ils n’ont rien à faire, certains transporteurs viennent y passer leur journée. C’est le cas de Souleymane Nabaloum, chargé de communication de la gare. D’emblée, il avertit que si la situation perdure, malgré sa bonne volonté, il n’aura plus de carburant pour se déplacer, à fortiori se pointer à la gare. Après un mois d’inactivité, beaucoup aimeraient reprendre le trafic. Cependant, les avis sont partagés. « Si le gouvernement lève la mesure et la maladie se répand dans le pays, il en serait responsable », s’inquiète pour sa part, Madi Yelkouni, chauffeur de « dina ». Comme lui, Mahamadi Ouédraogo, alias Ouéndo, qui fait la navette Ouaga-Téma, dit reconnaître le bienfondé de cette décision.

«Même si c’était dans une famille, chacun allait prendre des dispositions pour mettre ses proches à l’abri », se défend-il. Si les acteurs du transport réclament la reprise des trafics, c’est aussi parce que les mesures d’accompagnement promises par le gouvernement tardent à se concrétiser. De plus, ils estiment que comme Rood Wooko a rouvert ses portes, c’est le tour du transport de reprendre du service. Actuellement, ils disent vivre le calvaire. «Nous souffrons énormément ; les petits sous que chacun avait mis de côté sont finis ; nous n’avons plus de réserve et nous n’avons pas de soutien, c’est dur», s’indigne Souleymane Nabaloum.

A l’écouter, la pilule est amère à avaler. Pis encore, nos interlocuteurs affirment qu’ils sont laissés à eux-mêmes. A la gare routière de Tampouy, rares sont ceux qui peuvent encore s’offrir un repas au cours de la journée. «Il y a des gens ici qui ne peuvent plus avoir 100 F CFA pour acheter à manger», déplore Mahamadi Ouédraogo, conducteur de « dina ». Des propos corroborés par ceux de M. Nabaloum qui explique en substance que les conditions de vie des uns et des autres ne cessent de se dégrader de jour en jour. Exemple à l’appui, il évoque le cas de personnes qui consomment les repas à crédit et qui ne parviennent plus à rembourser.

Une situation qui, de son point de vue, a précipité le départ de certaines vendeuses de nourriture par manque d’argent pour s’approvisionner auprès de leurs fournisseurs. C’est une période sombre que traversent les acteurs du transport. La galère frappe tout le monde. On raconte l’histoire de ces patrons qui vadrouillaient chaque matin à la gare et qui sont devenus introuvables. «Le patron a disparu des radars. Il ne plane plus à la gare parce que lui aussi ne gagne plus (rien)», rapporte Joanny Ouédraogo, démarcheur.

La gare de Tampouy fait vivre environ 6000 personnes, selon Souleymane Nabaloum, par ailleurs membre de l’Organisation des transporteurs routiers du Faso (OTRAF). Il considère la gare comme une mine d’or pour ces milliers de personnes qui y tirent leur pitance. Les petits commerçants et autres acteurs de la gare ne sont pas épargnés par cette crise sanitaire. Lassané Ouédraogo, coiffeur, se présente comme une victime collatérale. Ses clients, constitués majoritairement de voyageurs et des travailleurs qui sont dans la gare, se font de plus en plus rares. Patricia Ouédraogo, vendeuse d’oignons et de tomates, assiste impuissante au pourrissement de ses marchandises.

La misère s’installe

Souleymane Nabaloum, militant de l’OTRAF : « Les transporteurs ont le sentiment d’être oubliés »

Avec une dizaine de bouches à nourrir, Alassane Nougou, chauffeur de son état, appelle le gouvernement à la rescousse. «Il peut maintenir sa décision jusqu’à 8 mois, pourvu qu’il nous vienne en aide avec des vivres », se lamente-t-il. Des vivres, les transporteurs en ont besoin dans l’urgence. Nombreux sont ceux qui comptent sur les âmes charitables pour se tirer d’affaires. Alassane Ouédraogo, convoyeur, est dans le désarroi. « On est en bonne santé, mais quelqu’un qui n’a pas à manger ne peut pas dire qu’il se porte bien », avance-t-il.

Embouchant la même trompette, Joanny Ouédraogo, démarcheur, est formel. « Nous avons faim », s’insurge-t-il. Selon ses dires, il a les poches trouées. « C’est honteux de voler pour nourrir sa famille. Mais quelqu’un qui a le ventre creux pendant plusieurs jours peut être tenté de faire ce qu’il ne veut pas », avertit-il. La situation se complique davantage avec l’enregistrement de nouvelles contaminations. Cette réalité, Moussa Kaboré, chauffeur, en est conscient.

C’est pourquoi, il dit implorer chaque fois dans ses prières la clémence divine pour un retour rapide à la normale. Pour l’heure, soutient-il, on se débrouille. Christian Koumbem, chauffeur de « dina », ne dira pas le contraire. « On est dépourvu de tout. On n’a rien pour s’occuper de nos familles. Tout ce qu’on trouve à la maison, on mange sans broncher, peu importe la qualité du repas », tranche-t-il. En attendant l’aide de l’Etat, une bonne volonté leur a offert une tonne de riz. Mais au regard de leur nombre, la priorité a été accordée aux plus pauvres, préalablement recensés par les responsables de la gare.

A en croire Souleymane Nabaloum, les vivres en question ont été répartis entre les personnes vulnérables comme les étrangers bloqués à la gare et les indigents. La main sur le cœur, il jure que personne n’a emporté un grain de ce riz dans sa maison. M. Nabaloum fustige cependant la gestion de la crise au niveau des transporteurs. « On a le sentiment que le gouvernement nous a oubliés», se désole-t-il. L’arrêt des activités a occasionné des dégâts énormes chez les transporteurs.

A ce propos, Alassane Nougou persiste et signe qu’il a déjà perdu environ 2 millions F CFA, l’équivalent d’un mois de recettes. Du haut de ses 40 années d’expérience dans son secteur d’activité, il avoue qu’il n’a jamais vécu une telle situation. Madi Yelkouni est amer. Des pertes, il en a subi lui aussi. A l’en croire, environ 75 000 F CFA représentant ses gains mensuels, sont passés par pertes et profits. Pour le moment, il s’accroche. Mais il n’est pas sûr de pouvoir tenir au-delà d’un mois. « Nous nous efforçons pour respecter la décision du gouvernement », indique-t-il.

Les transporteurs en veulent aux autorités pour le peu d’égard qu’elles accordent à leur secteur d’activités, en cristallisant toutes leurs énergies sur la résolution des problèmes des commerçants et des grandes compagnies. « Nous avons appris, dans les coulisses, que les autorités sont allées voir les grandes sociétés de transport pour leur proposer 30 passagers par car et les responsables de ces sociétés ont refusé », atteste Souleymane Nabaloum.

Il appelle de tout son vœu les autorités à trouver des solutions aux problèmes des petits transporteurs. «Nos véhicules sont garés, les papiers sont en train de se périmer et nous ne travaillons plus. Nous pensons que comme on a pris premièrement les mesures contre notre secteur et qu’on a rouvert Rood Wooko, on allait prendre d’autres initiatives en notre faveur », relève-t-il.

Des solutions tous azimuts

Ce dina en partance pour Kirsi s’est reconverti dans le transport de marchandises

Passer un mois à la maison à ne rien faire, c’est du jamais vu pour la plupart des transporteurs. Ils trépignent d’impatience de reprendre leurs activités en respectant scrupuleusement les mesures édictées par les autorités sanitaires pour barrer la route au coronavirus. Les regards sont désormais tournés vers le gouvernement. Ainsi, ils ne manquent pas de faire des propositions allant dans ce sens. Alassane Nougou se pointe chaque jour à la gare. Il propose une réduction du nombre de passagers dans chaque véhicule. Dans ces conditions, note-t-il, il faut revoir le prix du ticket à la hausse en vue de combler le manque à gagner. Des propositions qui n’excluent pas, selon lui, le respect des mesures barrières déjà en vigueur comme le lavage des mains et le port obligatoire du masque.

Christian Koumbem reproche au gouvernement de prendre une décision unilatérale qui foule aux pieds les intérêts des transporteurs. « On pouvait nous imposer l’achat du gel et exiger en outre que chaque passager porte son cache-nez avant d’entrer dans le véhicule», conseille-t-il. De son côté, Alassane Ouédraogo, convoyeur, a aussi sa petite idée pour sortir de la crise. Lui, pense qu’on pouvait faire appel aux agents de santé dans les gares en vue de procéder au contrôle systématique de la température des personnes qui veulent voyager. Il pense en outre que cela permettra de détecter les cas suspects et de limiter ainsi la propagation de la pandémie du COVID-19.

Les transporteurs ont l’impression que le gouvernement est allé plus loin dans sa décision. Pour eux, on devait s’inspirer de l’exemple de la Côte d’Ivoire en permettant au trafic de se poursuivre dans les villes qui ne sont pas touchées par la maladie. Qu’à cela ne tienne, Issaka Ouédraogo plaide pour l’assouplissement de la mesure. Faute de quoi, c’est la faim qui va pousser les gens à se faire entendre. Il propose que l’on installe les dispositifs sanitaires dans les gares de sorte à protéger au mieux tous ceux qui fréquentent ces lieux. Furieux, Lassané Sawadogo désapprouve la réouverture du marché central de Ouagadougou avant la levée de la suspension du trafic routier.

« Il faut commencer par ouvrir les lignes nationales afin de permettre aux véhicules de circuler librement entre les différentes localités qui n’ont pas encore enregistré de cas confirmés », suggère-t-il. D’après certains, étant donné que le gouvernement n’a pas suffisamment de moyens pour les aider, obligation lui est faite de lever la mesure. En tous les cas, Alassane Nougou nourrit l’espoir que tout ira mieux dans le meilleur des mondes possibles. Même s’il reconnaît que la situation est, pour le moment, insupportable.

« Même si la faim ne nous tue pas, ça va nous coûter cher», lâche-t-il. Par ailleurs, des transporteurs ont développé des stratégies pour s’adapter à la situation. C’est le cas du chauffeur Madi Yelkouni qui s’est reconverti illico presto dans le transport des marchandises. Une mutation qui lui permet de tenir un tant soit peu.

Après avoir extrait les chaises de son « dina », il embarque pour Kirsi avec plusieurs marchandises à bord. A l’écouter, cette activité lui a permis d’engranger de petits sous en attendant la reprise. Séni Ilboudo n’a pas hésité à lui emboîter le pas. Il transporte régulièrement des marchandises vers la Côte d’Ivoire et vice versa. Mais les tracasseries policières sont légion à la frontière car, dit-il, il faut payer au minimum 30 000 FCFA pour passer. Le souhait des transporteurs est que le gouvernement essaie d’alléger les mesures afin de leur permettre de vaquer à leurs occupations sans pour autant répandre la maladie.

 

Ouamtinga Michel ILBOUDO
Omichel20@gmail.com