Mesures contre le COVID-19 : Des commerçants au bout du rouleau

36 marchés et yaars de Ouagadougou ont vu leurs portes verrouillées pour raison de coronavirus.

Les commerçants des marchés du «10 yaar» et du «Théâtre populaire» de Ouagadougou ne savent plus où donner de la tête. Près de trois semaines après la fermeture de leurs étals pour limiter la propagation du coronavirus (COVID-19), le ton commence à monter. Pour leur survie, ils demandent un allègement des mesures restrictives afin de leur permettre de reprendre leurs activités.

Devant le poste de police, un attroupement particulier attire l’attention. Des individus se bousculent pour y avoir accès. Ce sont des commerçants qui, excédés par près de trois semaines d’inactivé, semblent ne plus tenir. Ils se font enregistrer afin de pouvoir prélever quelques marchandises pour aller vendre, renseigne-t-on. L’un après l’autre, chacun, accompagné de la police, ressort avec un ballot sur la tête, le charge ensuite dans un charriot et s’éclipse. Ce jeudi 16 avril 2020, le marché du « 10 yaar », au quartier Hamdalaye de Ouagadougou, est orphelin de ses occupants et du brouhaha habituel qu’on lui connaît. Les portes sont closes et des policiers veillent au grain. Sous les hangars du parking Est, des personnes conversent.

La fermeture des marchés et yaars dans le cadre de la lutte contre la propagation de la maladie à coronavirus est sans doute au menu. « Nous sommes devenus des chômeurs. Chaque jour, on se croise au marché pour causer et rentrer le soir. Si la situation perdure, nous risquons de devenir fous », se lamente Souleymane Sebgo, commerçant de téléphones portables et accessoires au « 10 yaar ». Il est, par ailleurs, le Secrétaire général (SG) de l’association Wendwaoga, l’une des sept associations des commerçants du marché. Depuis le 26 mars, jour où les portes de leur lieu de travail ont été mises sous cadenas, Souleymane n’a plus cédé un seul article à un client. Alors que, pour lui, il faut bien subvenir aux multiples besoins de la famille. Quelle alternative pour s’en sortir ? N’ayant pas d’autres sources de revenus, il dit ne pas savoir à quel saint se vouer.

Plus amer, le vendeur de pagnes, Issa Bonkoungou, pense que la fermeture des marchés risque de mettre à genoux le commerce. Aux premières heures de cette décision, des commerçants avaient pris d’assaut les abords des marchés en vue de continuer de mener leurs activités. Mais mal leur en a pris. Ils sont vite dispersés par la police. De quoi mettre Issa dans tous ses états. « On a l’impression qu’on veut tuer le commerce. Je ne peux même plus étaler mes pagnes quelque part pour vendre sans que la police ne me chasse comme un malpropre », souligne-t-il avec rage. Il estime n’avoir pas d’autres choix que de vendre sinon, le péril est imminent.

Environ 15 jeunes aident M. Bonkoungou dans son commerce. Mais avec l’arrêt de ses activités, il se demande comment il pourra désormais gérer ce personnel. « De temps en temps, je suis obligé de leur donner des sous pour qu’ils apportent à manger à leurs familles », souligne-t-il. Même son de cloche chez Noëlla Zouré qui vend des vêtements divers. Coordinatrice de l’association Mission pour le monde des déshérités, elle indique que plus rien ne va. Même avant la fermeture du marché, se plaint-elle, ce n’était pas évident et le COVID-19 est venu en rajouter.

Le vice-président de l’association Wendwaoga, Souleymane Sakandé : « Les commerçants du 10 yaar attendent toujours l’aide du gouvernement ».

«Nos familles n’ont pas à manger»

Bonnet blanc vissé sur la tête, Souleymane Demyan, manifeste à son tour sa désapprobation vis-à-vis des mesures gouvernementales. «Nous ne sommes pas contents. On nous ferme notre lieu de travail et on nous promet des aides qui tardent à venir. Tant qu’on ne vend pas, nos familles n’ont pas à manger», clame ce vendeur de sacs et chaussures pour dames.

C’est pourquoi, il prône un allègement des mesures restrictives pour permettre aux activités commerciales de reprendre normalement. Car, pour M. Demyan, si on doit attendre la disparition de la maladie avant de rouvrir les commerces, ce sera la catastrophe. «Malgré la fermeture des marchés, il y a toujours des cas confirmés au COVID-19 chaque jour. Donc, il vaut mieux faire avec», fait-il remarquer.
Souleymane Sakandé, lui, vend des tapis. Il porte également la casquette de vice-président de l’association Wendwaoga. La cinquantaine révolue, il assure n’avoir pas eu le temps de se préparer, tellement la fermeture du marché a été brusque.

«Actuellement, nous sommes oisifs. On se rencontre pour causer seulement», déclare-t-il, l’air pensif. A l’écouter, c’est parce que ça ne va pas que des commerçants sont obligés de prélever des marchandises pour aller les vendre hors du yaar. Des actes qui, à son avis, sont suicidaires pour les commerçants parce qu’ils risquent de brader leurs marchandises et se retrouver sans fonds de roulement.

Tout comme ses camarades, le souhait le plus ardent de M. Sakandé est la réouverture pure et simple de leur marché. «C’est bien vrai que la maladie est réelle mais la faim risque de faire plus de dégâts que le COVID-19», prévient-il. Selon sa conviction, le gouvernement semble rester sourd à toutes leurs sollicitations. « Nous souffrons trop. On dirait que nos cris du cœur dans les médias ne parviennent pas aux autorités », s’offusque-t-il. Pour une réussite totale de cette réouverture tant attendue, les commerçants eux-mêmes font des propositions.

A entendre le SG de l’association Wendwaoga, Souleymane Sebgo, les sept associations se sont engagées à acquérir des dispositifs de lave-mains et des gels hydroalcooliques qu’elles vont placer devant les 14 entrées du marché. Ainsi, des jeunes volontaires se chargeront de sensibiliser les clients à l’application des mesures barrières devant chaque porte. Quant aux commerçants, ils seront priés d’avoir en permanence le gel désinfectant et de porter des masques de protection. La main sur le cœur, ils promettent d’adopter tous les gestes qui endiguent la prolifération du coronavirus. « Personne ne souhaite contracter le COVID-19. C’est pourquoi, nous sommes prêts à respecter les mesures édictées par les autorités sanitaires », rassure M. Demyan.

Au marché des cycles, communément appelé marché du « Théâtre populaire », le constat est le même. Ce lieu de commerce qui grouillait d’habitude de monde est fermé. Le « business » se fait désormais aux alentours. « Que désirez-vous ? Arrêtez-vous ! ». C’est, entre autres, en ces termes que toute personne qui emprunte les voies longeant ce marché

Selon le responsable du marché du « Théâtre populaire », Moussa Nana, il y a des gens qui ne gagnent leur vie qu’au marché.

est accueillie. « Il y a des gens qui ne peuvent rien avoir pour leurs familles tant qu’ils ne viennent pas au marché », révèle le responsable des lieux, Moussa Nana, pour justifier la présence de ce petit monde. Un accord a été trouvé entre les commerçants pour que ceux qui souhaitent retirer des articles pour les vendre à leurs clients puissent le faire.

Des aides diversement appréciées

Sinon, reconnaît M. Nana, si on dit catégoriquement que personne n’accède au marché, ce sera difficile. Toutefois, il admet la justesse de la décision gouvernementale qui vise à protéger la santé des populations. Hamado Kaboré vend des motos dans ledit marché. Lui qui, auparavant, pouvait écouler trois engins par jour, se retrouve actuellement à se tourner les pouces. C’est dur, lâche-t-il, mais comme c’est une question de santé, on n’y peut rien.

En vue d’atténuer les effets de cette fermeture, le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, a, dans son message du 2 avril 2020, annoncé des mesures d’accompagnement au bénéfice des commerçants touchés, pour la période d’avril à juin. Il s’agit, entre autres, de la suspension des loyers et des droits de place, de la prise en charge des factures d’eau et d’électricité, de la prise en charge des frais de gardiennage et du don de vivres aux personnes vulnérables des marchés et yaars fermés, à travers leurs faîtières. Mais les commerçants trouvent ces mesures insuffisantes.

Beaucoup sont même dubitatifs. « On a appris que le gouvernement a décidé d’accompagner les marchés et yaars fermés avec des vivres mais jusqu’à aujourd’hui (ndlr, 16 avril), nous n’avons rien reçu », mentionne Souleymane Sakandé du « 10 yaar ». A ce qu’il dit, ce sont des bonnes volontés qui, pour le moment, ont volé à leur secours. Il s’agit, clarifie-t-il, du président du patronat burkinabè, Apollinaire Compaoré, avec 1,5 tonne de riz et du Larlé Naaba Tigré, avec une dizaine de sacs de riz et de maïs. « Nous avons réparti ce don entre les sept associations mais beaucoup n’ont rien eu », indique le vice-président de l’association Wendwaoga. De ce partage, les bénéficiaires se sont retrouvés avec environ deux kilogrammes de riz chacun. Ce qui est insignifiant, à leurs yeux, pour un ménage. L’aide de l’Etat, elle, est toujours vivement attendue.

Issa Bonkoungou, commerçant de pagnes au « 10 yaar » : « La maladie du coronavirus a été politisée ».

Quant aux commerçants du « Théâtre populaire », ils semblent plus chanceux. En plus des aides des bonnes volontés, ils ont reçu 30 sacs de riz provenant des autorités. Ce don du gouvernement, plusieurs d’entre eux l’ont estimé dérisoire et proposent de le refuser. Une décision à laquelle le responsable du marché, Moussa Nana, n’a pas adhéré. « Même si ces vivres sont insuffisants, c’est mieux de prendre. Je les ai distribués à 150 personnes vulnérables et elles étaient contentes », relate le sexagénaire. Issa Bonkoungou du « 10 yaar », lui, ne veut même pas entendre parler de cette aide. Son seul souhait, c’est de reprendre ses activités.

« La plus grande aide que le gouvernement puisse nous faire, c’est de rouvrir les marchés », soutient-il. Les regards sont donc tournés vers les chefs de circonscription administrative qui ont été autorisés à prendre des initiatives locales visant la réouverture des marchés dans le strict respect des mesures barrières contre le COVID-19. Le 28 avril, contre toute attente, des commerçants de certains marchés de la capitale se sont retrouvés dans la rue pour manifester leur ras-le-bol. Devant cette pression, la mairie cède. Le lendemain, elle ordonne, à travers un arrêté, la réouverture de 27 marchés, neuf jours après celle de Rood-wooko.

Mady KABRE