Irrigation par micro aspersion: Vers une « révolution » de l’agriculture burkinabè

De nos jours, la maîtrise des techniques d’irrigation et des besoins nutritionnels des plantes demeure un impératif pour booster les productions maraîchère et fruitière. En bordure du barrage de Loumbila, la ferme « Akilia agro » est un cas d’école qui s’illustre par son système d’irrigation par micro aspersion et par gravitation.

Sur les berges du barrage de Loumbila, dans le Plateau central, des agrumes et des cultures maraîchères se laissent admirer. Une forêt d’orangers, de mandariniers, de tangelo, de pamplemoussiers et de papayers capte surtout l’attention. Par endroits, des associations de spéculations savamment orchestrées s’étalent. Aux pieds des arbres fruitiers, se développent des oignons et des choux. Nous sommes sur le site n°1 de la ferme « Akilia agro », vaste de six hectares. Ce mercredi 7 octobre 2020, le soleil amorce déjà sa course vers le couchant. Les plantes ont l’air déshydraté. Il faut leur apporter « à boire ». Un peu plus loin une motopompe ronronne. Une partie du champ d’oignon dans laquelle sont disséminés des pieds d’agrumes reçoit l’eau sous forme de fine pluie. Le dispositif qui y est installé semble particulier. Des rubans noirs, disposés de façon perpendiculaire, sont connectés à des tuyaux qui font office de conduites principales. Sous la pression de la motopompe, l’eau jaillit des rubans à travers de minuscules orifices. Ce système, appelé irrigation par micro aspersion, selon le technicien en chef de la ferme, Christian Agbla, est convoité depuis 2017 par « Akilia agro ». Dans la plantation des agrumes, un autre dispositif tout aussi spécifique est utilisé pour l’arrosage. Il s’agit du système semi-californien ou système gravitaire avec l’usage de pipelines. Ceux-ci, de couleur blanche, sont de gros tuyaux flexibles de 45 centimètres de diamètre, munis de buses par lesquelles l’eau passe pour inonder les raies d’arrosage. Ces deux systèmes d’irrigation sont désormais expérimentés dans cette ferme agricole au détriment du réseau goutte-à-goutte. Pas que celui-ci n’est pas intéressant, à entendre le promoteur de la ferme, Boubakar Savadogo, mais parce qu’il y a d’autres techniques novatrices et plus économiques. Selon ses explications, les eaux utilisées pour l’irrigation, notamment du barrage, des puits locaux et des forages, ne sont pas très limpides. Elles charrient de la boue qui obstrue les goutteurs et du calcaire qui les détériore. En outre, indique-t-il, le goutte-à-goutte n’est pas bien adapté économiquement à la production des agrumes qui nécessite l’installation de deux ou plusieurs lignes de rubans. « Nous sommes sur un sol rocailleux; donc le goutte-à-goutte ne nous profite pas », tranche M. Savadogo, par ailleurs enseignant de physique à l’université Joseph-Ki-Zerbo de Ouagadougou. Ce passionné de l’agronomie est convaincu que le système semi-californien et la micro aspersion ont un gros avantage car, en plus du gain en main-d’œuvre et en temps, ils facilitent le contrôle du besoin hydrique des spéculations. L’ingénieur agronome, Christian Agbla, est du même avis lorsqu’il affirme que les deux réseaux d’irrigation s’obtiennent à moindre coût et sont à la portée de tout producteur. Du reste, c’est la question du manque de main-d’œuvre qui se trouve résolue, à l’écouter. « On n’a pas besoin que quelqu’un soit là tout le temps pour arroser. Il suffit de bien disposer les rampes, on démarre la machine et on vaque à d’autres occupations », relève-t-il.

Environ 80t d’oignons à l’hectare

Pour lui, la micro aspersion peut être utilisée pour plusieurs spéculations, y compris le mil et le maïs, soit pour anticiper le labour des champs en début de saison, soit pour minimiser les poches de sécheresse. Par ces deux techniques d’irrigation, la ferme « Akilia agro » fait des merveilles à Loumbila. Avec un potentiel de 35 hectares (ha) dont 15 déjà mis en valeur, elle envisage de « révolutionner » l’agriculture burkinabè. De la production des agrumes à celle de la culture maraîchère en passant par la papaye, un paquet technologique est mis en œuvre pour booster les rendements. Pour le cas de l’oignon, la ferme compte engranger entre 60 et 80 tonnes de bulbes à l’hectare sur une superficie de 5 ha. Pour y parvenir, plusieurs facteurs doivent être réunis. Il s’agit, aux dires de l’agronome Agbla, de la préparation du sol, de la qualité de la variété, du suivi de la pépinière, de la nutrition, du traitement phytosanitaire et de l’entretien des plantes. Les arbres reçoivent également la même attention. Sur un sol latéritique et jadis délaissé, les responsables de « Akilia agro » ont réussi à faire pousser environ 3000 pieds d’agrumes qui forcent l’admiration. Qualifié de fou au départ, notamment en 2008, Boubakar Savadogo est, de nos jours, vu comme un producteur-modèle dans la localité. « Planter un arbre sur mon terrain relevait d’un défi. Il fallait creuser des trous de 80 centimètres de largeur et de profondeur, apporter de la terre et de la fumure pour meubler avant de planter. Et aujourd’hui, nous avons des arbres sur lesquels nous pouvons récolter 500 kilogrammes de fruits », se réjouit le promoteur agricole.

Ses innovations ne s’arrêtent pas là. Le système intégré qui associe les cultures maraîchères aux arbres avant qu’ils n’atteignent une certaine taille est aussi en développement. Cette combinaison, M. Savadogo la trouve fondamentale car, de la plantation à la fructification des arbres, cinq bonnes années peuvent s’écouler. D’où la nécessité du maraîchage parallèle. Une pratique qui, pour lui, va permettre de nourrir l’ensemble du réseau racinaire. « Les agrumes profitent de la nutrition que nous faisons pour les autres cultures et en même temps on protège le sol en le régénérant », avance-t-il.

Vulgariser la micro aspersion au Burkina

Comme toute autre technique d’arrosage, l’irrigation par micro aspersion et par gravitation comporte des contraintes. Elles sont surtout liées à la maîtrise du temps d’arrosage et du volume d’eau qu’il faut apporter aux spéculations. Toute chose qui requiert une formation adéquate. Tel un être humain, les apports nutritionnels de la plante doivent être contrôlés, selon l’agronome Agbla. « Si on laisse trop la plante dans l’eau, ses racines seront asphyxiées et elle meurt », relève-t-il.

Bien qu’étant moins coûteuse  et économique, l’irrigation par micro aspersion n’est pas encore vulgarisée au Burkina Faso. A ce sujet, M. Savadogo estime que beaucoup de producteurs ne veulent pas changer leurs habitudes culturales. Ses propos sont corroborés par ceux de l’agronome, Nestor Sawadogo, par ailleurs agent au ministère de l’Agriculture et des aménagements hydro-agricoles, lorsqu’il évoque la méconnaissance et la peur de l’innovation. Tout en saluant le système semi-californien et la micro aspersion, il parie que l’avenir de l’agriculture burkinabè se trouve dans les fermes modernes qui utilisent la mécanisation agricole. « Si nous avons ce genre de ferme dans chaque commune, on pourra révolutionner l’agriculture burkinabè dans dix ans et atteindre l’autosuffisance alimentaire »,  foi de Nestor Sawadogo. Pour lui, l’avantage de la micro aspersion n’est plus à démonter. En imitant la pluie et en lessivant les feuilles des plantes, détaille-t-il, cette technique d’irrigation favorise la photosynthèse. Le technicien d’agriculture précise également qu’on peut associer des fertilisants, notamment des engrais foliaires, à ce système en les injectant dans l’eau pour arroser les plantes. L’autre avantage, à l’écouter, est que la micro aspersion est polyvalente et s’adapte à la production maraîchère, céréalière et même fruitière lorsque les plantes ont moins de deux mètres de hauteur. C’est pourquoi, il invite les producteurs à s’y adonner.

Aujourd’hui, la ferme « Akilia agro » est devenue une école pour de nombreux visiteurs et stagiaires agronomes de divers horizons (Burkina, Bénin, Niger, Togo, etc.) qui vont s’abreuver à sa source. Son promoteur la qualifie de centre de formation informelle mais qui entretient des partenariats de travail avec plusieurs structures étrangères, notamment en France, en Espagne, au Mexique et en Afrique. Son souhait est  qu’il y ait plus d’investisseurs dans l’agriculture burkinabè avec surtout de la main-d’œuvre qualifiée.

L’agriculture, un business

Convaincu que l’agriculture est un business comme tout autre secteur d’activité, l’enseignant d’université plaide pour la formation de cadres, capables de conduire des exploitations agricoles au Burkina Faso. Pour lui, le gros souci du pays en termes de productivité est lié à l’insuffisance ou à l’ignorance des bonnes formules de nutrition des plantes. « Chaque espèce a des besoins nutritionnels et des aliments qui lui conviennent », mentionne-t-il. C’est également l’avis de l’ingénieur agronome Agbla qui pointe du doigt les formations inadaptées et le manque d’expériences de certains techniciens d’agriculture. « De nos jours, la majorité des techniciens sont habitués à s’asseoir dans les bureaux et attendre le salaire à la fin du mois. Alors que leur travail, c’est dans les champs, aux côtés des producteurs pour les encadrer », déplore-t-il.

15 ha de terres exploitées en 12 ans sur un potentiel de 35 ha, Boubakar Savadogo trouve que ce n’est pas suffisant; son objectif étant de mettre en valeur la totalité. Pour les 20 ha restants, il estime avoir besoin d’environ 200 millions F CFA pour que son rêve se réalise. « Nous discutons avec des établissements financiers pour voir comment ils pourront nous accompagner », confie le professeur, passionné du travail de la terre. Jusque-là, il dit faire de l’autofinancement puisque les bénéfices engrangés dans la vente des fruits et des produits maraîchers servent à des réinvestissements et à payer le personnel, fort de 32 membres. Pour l’année 2020, signale le promoteur, ses bénéfices ont permis d’installer 2500 mètres de canalisation, de clôturer une partie du site n°2 et de creuser et équiper un nouveau forage.

Des moyens colossaux ont été mobilisés pour que la ferme « Akilia agro » puisse voir le jour. De l’acquisition des terrains à la mise en place des cultures, en passant par l’aménagement du sol, les équipements de production et la construction des habitats, le promoteur parle d’un investissement d’environ 200 millions F CFA. Des forages, une douzaine de puits locaux, six kilomètres de canalisation, près de quatre mille mètres linéaires de mur et des bungalows sont, entre autres, les investissements réalisés. Quant aux équipements de production, ils se composent d’un tracteur de 85 chevaux, 5 motoculteurs, des pulvérisateurs motorisés, des débroussailleuses…

Mady KABRE