Mécanisation agricole dans les Hauts-Bassins: Le tracteur, toujours un luxe pour les producteurs

L’utilisation des outils modernes de production tient à cœur les agriculteurs de la région des Hauts-Bassins. Malgré la subvention de l’Etat et l’installation d’une usine de montage de tracteurs à Bobo-Dioulasso, ces machines demeurent de loin accessibles aux producteurs moyens.

Bakary Traoré est un producteur agricole à Karangasso-Sambla, une commune rurale de la province du Houet, région des Hauts-Bassins. Ce quinquagénaire exploite en tout 25 hectares (ha) de terre dont 15 ha pour le coton et 7 pour le maïs. Cet exploit, il le tient de la mécanisation agricole, bien en vogue dans sa localité. Un tracteur de 60 chevaux, muni de ses accessoires au complet (remorque, charrue, pulvérisateur, semoir…), une égreneuse multifonctionnelle, des charrues à traction bovine et un tricycle sont, entre autres, les équipements qui accompagnent M. Traoré dans sa production. Son tracteur, il dit l’avoir acquis en 2017 à plus de neuf millions F CFA, grâce à la subvention de l’Etat. Malgré cette subvention, l’outil semble ne pas être toujours à la portée de toutes les bourses. La preuve en est que dans le groupement de M. Traoré, créé depuis 1998 et fort d’une trentaine de membres, il est le seul à posséder un tracteur.

Abdoulaye Sawadogo est aussi un exploitant agricole de la même province. De son côté, un terrain de 36 ha où la banane, le maïs et le niébé se disputent, a été mis en valeur depuis 1994. Se considérant avec fierté comme un « producteur moderne », celui-ci affirme disposer de tous les équipements agricoles adaptés à une production à grande échelle. « J’ai six tracteurs dont la puissance va de 60 à 120 chevaux », souligne M. Sawadogo, avant de préciser que ce patrimoine est acquis sur fonds propres.

Le P-DG de NAFASO, Abdoulaye Sawadogo : « Les prestations de service seules ne peuvent pas rentabiliser un tracteur ».

Tout comme ces deux producteurs, ils sont nombreux les agriculteurs des Hauts-Bassins qui tentent de larguer les amarres avec l’utilisation des outils rudimentaires. Les équipements agricoles à l’image de la daba, des charrues, des charrettes à traction asine, des faucilles ou des vans ne font plus partie de leur vocabulaire. Même la charrue à traction bovine, soutient Abdoulaye Sawadogo, par ailleurs Président-directeur général (P-DG) de Neema agricole du Faso (NAFASO), une entreprise spécialisée dans la production semencière, est en train d’être révolue. Pour lui, la révolution agricole est de nos jours en marche au Burkina Faso et il faut impérativement aller vers la mécanisation intégrale. Ainsi, note-t-il, l’agriculture familiale ou de subsistance doit faire place à celle de rente.

Depuis plus de dix ans, l’Etat a fait de la mécanisation agricole son cheval de bataille. C’est ainsi que des équipements agricoles motorisés ou non sont mis à la disposition des producteurs de façon régulière. En 2019, ce sont 400 tracteurs qui ont été cédés aux agriculteurs burkinabè à prix subventionnés. De quoi réjouir les responsables des structures paysannes des Hauts-Bassins. « En 2019, les tracteurs de l’Etat nous ont beaucoup soulagés. Cela nous a permis d’augmenter les superficies emblavées, les rendements et de réduire la pénibilité des tâches des agriculteurs. On souhaite que cela se poursuive », confie le Secrétaire général (SG) de la Chambre régionale d’agriculture (CRA) des Hauts-Bassins, René Ouattara.

Les CUMA pour un

e meilleure gestion du matériel

Même son de cloche chez Bakary Traoré, membre du conseil d’administration de l’Union provinciale des producteurs de coton du Houet (UPPCH) que nous avons rencontré à leur siège le 23 février 2022 à Bobo-Dioulasso. A son avis, n’eût été la subvention, certains agriculteurs n’allaient pas pouvoir se procurer un seul tracteur. Par cette occasion, signale le SG de la CRA, le conseil régional des Hauts-Bassins a doté, courant 2020, les producteurs de sa zone d’intervention de 33 tracteurs équipés. Il n’oublie pas non plus les 10 tracteurs que le Projet d’appui à la promotion des filières agricoles (PAPFA) a remis à des coopératives de la région pour la campagne 2021. En vue d’une meilleure utilisation des tracteurs, la CRA a mis en place des structures appelées Coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA). « On est parti du postulat qu’il est plus facile d’avoir un tracteur pour 10 ou 15 personnes que d’en avoir pour une. Cela améliore l’entretien et la rentabilité des outils », se convainc le SG Ouattara. A l’entendre, cette démarche a été conjointement menée avec la Chambre d’agriculture du Niger qui a déjà beaucoup d’expérience dans le domaine agricole et en particulier la gestion des CUMA. Hormis ces 41 tracteurs dont la CRA a contribué à la gestion, René Ouattara avoue ne pas pouvoir donner un nombre exhaustif de ces outils agricoles dans la région. Car, révèle-t-il, beaucoup de producteurs font des acquisitions individuelles de matériel, parfois à l’insu des organisations paysannes. A NAFASO par exemple, 24 producteurs ont bénéficié chacun d’un tracteur grâce à l’accompagnement de cette entreprise, aux dires de son P-DG, Abdoulaye Sawadogo. « La subvention de l’Etat a sauvé nombre de producteurs. Sans cette subvention, les tracteurs de 9 millions F CFA allaient tourner autour de 18 millions. J’en ai reçu un de 60 chevaux », avance-t-il. Tout en saluant l’érection d’une usine de montage de tracteurs à prix subventionnés à Bobo-Dioulasso, « l’agrobusiness man » estime que l’Etat a compris qu’il faut mettre l’accent sur la mécanisation. A l’écouter, certains agriculteurs dont les moyens sont limités préféraient se rabattre sur des tracteurs de seconde main, avec tous les risques possibles. Et René Ouattara de renchérir en mentionnant qu’avec ces tracteurs montés sur place, cela va aussi permettre d’éviter au maximum les retards dans la livraison.

Du côté de l’usine et de la direction régionale en charge de l’agriculture des Hauts-Bassins, les responsables ont refusé toute communication relative aux statistiques sur la mécanisation agricole. Toutefois, le Directeur provincial (DP) en charge de l’agriculture du Houet, Pascal Eric Adanabou, apporte quelques précisions sur sa zone d’intervention. A l’entendre, depuis 2010, le programme de renforcement de la mécanisation agricole a permis de doter régulièrement les producteurs vulnérables de sa province d’équipements motorisés et non motorisés, notamment de tracteurs et de charrues. Tout en estimant le taux de mécanisation agricole dans le Houet à plus de 35%, le DP Adanabou affirme que le coût des prestations de labour a connu une baisse considérable dans les treize communes que compte sa province. « Dans certaines zones, le coût du labour peut avoisiner 40 mille ou 45 mille F CFA l’hectare, alors que dans notre province, il se situe entre 20 et 25 mille F CFA /ha », se satisfait-il.

La qualité des tracteurs exigée

De l’avis de beaucoup de producteurs, la mécanisation agricole ne se résume pas uniquement aux tracteurs ou aux charrues. Le président de la CRA des Hauts-Bassins, Moussa Traoré, recommande de mettre aussi l’accent sur les équipements de récolte et de post-récolte, en l’occurrence les moissonneuses, les batteuses, les faucheuses, les vanneuses… Toute dotation, ajoute l’arboriculteur de profession, doit être accompagnée d’une bonne formation en vue d’une gestion rationnelle du matériel. Pour sa part, le P-DG de NAFASO conseille la prudence dans l’utilisation des tracteurs. Pour lui, un producteur qui possède un tracteur et qui n’a pas une exploitation d’au moins 15 ha ne peut pas rentabiliser sa machine. « Il y en a qui considèrent le tracteur comme un luxe en se disant que dès qu’on l’a, on peut faire des prestations de service pour le rentabiliser. Alors que c’est une erreur », prévient-il, avant d’inviter les agriculteurs à aller vers l’entrepreneuriat. Tout en reconnaissant le soulagement que la subvention leur apporte, certains acteurs agricoles estiment toujours le coût du tracteur trop élevé et accessible qu’aux plus nantis. A en croire René Ouattara de la CRA, le tracteur de 50 chevaux et ses accessoires tournent autour de 8 millions 400 mille F CFA, à payer entre trois et cinq ans. Ce prix, il pense qu’on peut encore le revoir à la baisse pour permettre au plus grand nombre d’accéder au matériel.

Le président de la CRA des Hauts-Bassins, Moussa Traoré, demande de mettre aussi l’accent sur les équipements de post-récolte.

En attendant, les producteurs exhortent l’Etat à être plus regardant sur la qualité des tracteurs montés sur place, au risque de les voir boudés par les bénéficiaires. « Nous savons comment les agriculteurs souffrent pour avoir leur argent. Et s’ils doivent aller investir dans du matériel qui n’est pas de qualité, ce sera compliqué », fait remarquer le président de la CRA.

Les bons rendements ne se conjuguent pas toujours avec le niveau de mécanisation. Les aléas climatiques sont également un aspect important à prendre en compte. Les acteurs sont unanimes à reconnaitre que la campagne agricole écoulée n’a pas été reluisante dans les Hauts-Bassins, du fait de la mauvaise pluviométrie. Bakary Traoré de l’UPPCH pointe du doigt les inondations, suivies de sécheresse, d’être à l’origine de cette contreperformance dans les rendements agricoles. Tout en confirmant ses propos, Abdoulaye Sawadogo de NAFASO rappelle que seuls les producteurs qui ont semé pendant les premières pluies ont pu récolter quelque chose. A ces paramètres, il adjoint le terrorisme et le Coronavirus qui ont aussi joué sur la baisse des rendements. Face à la flambée en cours des prix des céréales sur le marché, M. Sawadogo demande aux autorités d’agir car, pour lui, l’insécurité alimentaire est aussi dramatique que celle liée au terrorisme.

Mady KABRE


Que cache-t-on dans la gestion du matériel agricole ?

Dans le cadre de cet article, nous avons approché l’usine de montage des tracteurs à Bobo-Dioulasso qui a refusé de nous recevoir, sous le prétexte qu’elle est en pleins travaux. Du côté de la direction régionale en charge de l’agriculture des Hauts-Bassins, c’est la situation nationale qui est brandie pour ne pas nous fournir les données sur la mécanisation agricole. Evoquant le caractère non sensible des informations que nous cherchons, nous obtenons l’assurance de nous les communiquer par WhatsApp. Malgré nos relances, rien ne nous est parvenu jusqu’à ce que nous bouclions ces lignes. Idem pour la Société nationale de l’aménagement des terres et de l’équipement rural (SONATER) qui n’a pas donné suite à notre questionnaire qu’elle a pourtant demandé et reçu.

M.K.

 ph. Rémi ZOERINGRE)