Production des agrumes dans le Ziro et la Sissili : Des milliers de tonnes de tangelo cherchent preneurs

Marcel Compaoré dénonce l’envahissement du marché national par les produits ghanéens.

Les provinces du Ziro et de la Sissili, région du Centre-Ouest, s’illustrent de plus en plus dans la production des agrumes. Dans les deux zones, ce sont des milliers de tonnes de tangelo et de papaye qui sortent chaque année des plantations. Toutefois, la question de l’écoulement demeure le problème majeur qui trouble le sommeil des producteurs.

En ce mois de février 2022, il est difficile pour tout voyageur empruntant l’axe Ouagadougou-Léo, en passant par Sapouy, de ne pas être épaté par l’abondance des fruits vendus par des femmes aux abords du bitume. En majorité, des tangelo (ndlr, un hybride de mandarinier et de pamplemousse) et de la papaye sont proposés aux usagers de la route. En effet, dans la province du Ziro, deux grands sites de production de ces agrumes forcent l’admiration. L’un est situé dans le village de Lou, à environ sept kilomètres de Sapouy et l’autre à Bakata, à une quarantaine de kilomètres de là. Le Directeur provincial (DP) en charge de l’agriculture du Ziro, Amadou Lingani, indique que les agrumes occupent une place importante dans les productions agricoles de sa province.

Le fruit le plus cultivé et le plus prisé semble être le tangelo. « Chaque année, il y a environ dix mille tonnes d’agrumes qui sont produites dans le Ziro », confie M. Lingani. A l’entendre, l’écoulement se fait sur place à Sapouy mais aussi à Ouagadougou et parfois même au Niger. Malgré tout, la concurrence avec les fruits venus du Ghana demeure rude sur le marché.

« Les agrumes ghanéens sont moins chers que ce qui est produit sur place ici, en raison de plusieurs facteurs. Nous avons donc demandé aux producteurs de s’organiser pour mieux défendre leurs intérêts », souligne le DP Lingani. Ce qui est dommage, regrette-t-il, est qu’il n’y a pas d’unité de transformation des tangelo dans sa province pour limiter le pourrissement des fruits.

Des plantations à perte de vue

Mathieu Sawadogo est l’un des grands producteurs de la papaye basé à Lou.

Sur le site de Lou, au sud de Sapouy, plusieurs producteurs s’activent, non loin d’un barrage. Les plantations s’étendent à perte de vue. Certains arbres ploient sous le poids de leurs fruits. C’est la période des récoltes. Un peu partout, des clients, en majorité des femmes, sont à la recherche des meilleurs fruits pour en faire de bonnes affaires. A entendre les producteurs, le manque d’eau à certains moments donnés constitue aussi une difficulté. Si au niveau du barrage de Bakata l’eau est pérenne en toute saison, ce n’est pas le cas à Lou où souvent l’ouvrage tarit avant l’hivernage.

Mathieu Sawadogo est originaire de Kaya. Cela fait 23 ans qu’il est installé à Lou. A son arrivée, il s’était lancé dans la culture du coton jusqu’à la construction du barrage. Une aubaine pour lui de se tourner vers la production de contre-saison. Sur ses quatre hectares de terre, Mathieu entreprend de planter des arbres fruitiers, notamment le tangelo, la papaye et la banane. De nos jours, sept ouvriers plus les membres de sa famille l’aident dans l’entretien de ses plantations. En moyenne, dit-il, 5 millions F CFA sont injectés par an dans cet entretien.

« En termes d’écoulement, nous avons une énorme difficulté parce que le Ghana inonde notre marché avec les mêmes fruits et à moindre coût », déplore M. Sawadogo. Selon lui, l’avantage des Ghanéens est qu’ils produisent leurs agrumes de façon naturelle sous les eaux pluviales et sans apport d’engrais. Et d’ajouter qu’à vue d’œil, leurs fruits sont plus beaux que ceux burkinabè. Ce qui attire naturellement les clients au détriment des agrumes locaux. « C’est quand la production du Ghana va baisser que nous profitons pour vendre la nôtre », indique-t-il.

Tout en reconnaissant qu’on ne peut pas interdire les fruits d’un pays voisin sur notre sol, les producteurs proposent néanmoins au gouvernement de prendre des mesures pour protéger les productions locales. «  Par exemple, un transporteur burkinabè qui va acheter ou vendre des produits au Ghana n’a pas les mêmes facilités que son collègue ghanéen. Les tracasseries font qu’un étranger ne peut pas leur faire la concurrence », relève Mathieu. En dépit de toutes ces difficultés, celui-ci déclare pouvoir vendre par an plus de 15 millions F CFA.

La concurrence du tangelo ghanéen

La Sœur Sabine Bouda dit rencontrer des difficultés avec certains grossistes.

Marcel Compaoré, un autre producteur, installé à Lou depuis 2008, partage l’avis de Mathieu Sawadogo. Il souhaite que l’Etat applique des taxes énormes aux Ghanéens afin de freiner leur envahissement du marché burkinabè. Originaire de Komki Ipala, Marcel exploite 6,5 hectares de tangelo, de papaye et de banane sur les deux sites de Lou et de Bakata. Douze employés travaillent avec lui et ses charges de production annuelles se chiffrent à 4 millions F CFA environ.

C’est pourquoi il demande aux autorités de l’aider à faire de bonnes affaires à travers des facilités d’écoulement de ses fruits. Malgré tout, Marcel reconnait que grâce à son activité, il arrive à bien scolariser ses enfants dans des établissements de référence. Ali Ouédraogo fait également partie des plus grands producteurs de tangelo et de papaye dans le Ziro. Venu de son Somyaga natal, dans la commune de Ouahigouya, il est installé à Sapouy depuis 14 ans et se consacre à la production fruitière. En tout,  il exploite 13 hectares d’agrumes (9 ha à Lou et 4 à Bakata).

Pour l’écoulement, le natif de Ouahigouya priorise le Yatenga où il envoie ses fruits lui-même à l’aide de son propre véhicule de marchandises. Ses agrumes sont également vendus à Ouagadougou et à Niamey, au Niger. Ali dit s’en sortir très bien jusqu’à ce que les productions ghanéennes inondent le marché national. Pour un coût de production annuelle d’environ 16 millions F CFA, il estime ses recettes à 27 millions. Un chiffre d’affaires qui pouvait aller au-delà de 30 millions F CFA avant la concurrence ghanéenne, selon lui.

Dans la province de la Sissili, il y a trois sites majeurs de production de tangelo et de la papaye. L’un est entretenu par la congrégation des sœurs religieuses de l’Immaculée conception de Ouagadougou. Il est situé à la sortie de la ville de Léo, sur la route de Biéha. Sœur Sabine Bouda est la responsable de la ferme. Outre la papaye et le tangelo, on y produit également d’autres fruits et légumes. Cette ferme qui s’étant sur 4 hectares a vu le jour en 2008. L’objectif étant, selon Sœur Sabine Bouda, de créer des activités d’auto-prise en charge pour la congrégation. Si dans tous les autres sites de production, ce sont les eaux des barrages qui sont prélevées pour l’arrosage, chez les Sœurs, ce sont plutôt des forages qui sont utilisés.

Les difficultés d’écoulement sont notées à tous les niveaux. « Parfois, des grossistes disparaissent avec nos tonnes de tangelo ou de papaye et ne donnent plus signe de vie pendant plusieurs mois. Beaucoup savent que nous n’allons pas les traquer partout comme le feraient d’autres producteurs », déplore Sœur Sabine. C’est pourquoi les Sœurs ont décidé de ne vendre leurs fruits désormais qu’à ceux qui veulent payer cash ; d’où des lenteurs dans l’écoulement.

Au cours de notre visite, le 19 février 2022, elle a annulé un marché de six tonnes de tangelo parce que l’acheteur, venant de Ouagadougou, n’a pas respecté les clauses du marché. Les méventes sont devenues quasi fréquentes chez ces productrices. L’année dernière, rappelle Sœur Sabine, la maladie à Coronavirus n’a pas facilité les choses. Toutefois, la congrégation a pu commercialiser 15 tonnes d’agrumes à raison de 250 000 F CFA la tonne, courant 2021.

Une coopérative pour mieux se défendre

A Bakata, les producteurs se sont organisés en coopérative pour mieux défendre leurs intérêts.

Si le Ziro est réputé pour sa production de tangelo et de la papaye, c’est en partie grâce à la commune de Bakata qui, à elle seule, produit plus de la moitié des agrumes de la province. Dans cette commune, ce sont plus de quatre cents hectares de terre qui sont aménagés pour la production des fruits. Pour mieux défendre leurs intérêts, les producteurs se sont organisés en coopérative.

Bapion Marc Diasso, Secrétaire général (SG) de la coopérative des producteurs maraîchers Song-Taaba de Bakata, informe que leur structure compte au moins 150 membres actifs qui exploitent environ 300 hectares. Ils produisent majoritairement de la papaye, des tangelo et de la banane. Le problème d’écoulement est aussi lié à l’état de la route. En hivernage, indique le SG de la coopérative, les fruits pourrissent du fait de l’inaccessibilité des sites. Jean-Marie Tapsoba est l’un des plus gros producteurs de la papaye à Bakata. De 30 hectares au départ, il a été contraint de réduire sa superficie à 20 actuellement, du fait des difficultés d’écoulement.

Par an, Jean-Marie dit dépenser plus de 10 millions F CFA pour les engrais et les autres charges. « J’ai la capacité de produire autant que je veux mais souvent ma papaye pourrit par manque de clients. Je suis parfois obligé d’envoyer mes fruits au Niger pour les vendre », raconte-t-il. Marou Zoundi, originaire du Bazèga et qui produit aussi des fruits depuis 12 ans à Bakata, rencontre les mêmes difficultés que les autres. Amidou Derra, lui, vient de voir sa production achetée par des clients. Bien qu’il se frotte les mains, il garde toujours en mémoire les quelques fois où ses fruits pourrissent dans son champ. En attendant, les producteurs ont les yeux rivés sur l’Etat dans l’espoir de trouver une solution à la mévente.

François KABORE