Autonomisation économique des femmes: La solution par l’agro-écologie

Les femmes sont à l’avant-garde des activités économiques au Burkina Faso. Elles sont présentes dans la quasi-totalité des différents secteurs d’activités. A la faveur de la célébration du 8-Mars, nous faisons un clin d’œil à une association de femmes. Dénommée La Saisonnière, elle se distingue dans la pratique de l’agro-écologie à Ouagadougou. Cette organisation féminine, créée en 2006 et présidée par Emma Salamata Sophie Sedgho, aspire, à travers le maraîchage, à l’autonomisation financière de ses membres

La Saisonnière est une association de femmes qui s’investit dans l’agro-écologie depuis 2009, à Ouagadougou. «C’est une production qui tient compte de la santé de l’homme, de l’environnement et du sol. On produit de façon saine, pour une alimentation saine, afin que la population évite les maladies qui sont causées par les produits chimiques, notamment les pesticides et les engrais chimiques», explique la fondatrice, Emma Salamata Sophie Sedgho, par ailleurs professeur de sciences naturelles à la retraite. L’orientation vers cette technique est une réponse à la dégradation rapide du sol due à une utilisation poussée d’engrais chimiques qu’a connue l’association après seulement deux années d’exploitation (2007-2009). Le constat est amer : les rendements ne sont plus prospères. La plupart des exploitantes abandonnent. Une réalité qui ne peut affecter la détermination de la patronne. Elle lance en 2006 les sillons d’un groupement qui va vite évoluer vers une association qu’est La Saisonnière. L’objectif est d’améliorer les conditions de vie des femmes en les rendant moins vulnérables. La transformation des produits locaux, l’alphabétisation, la sensibilisation sur la santé de la reproduction,  les mutilations génitales féminines, le VIH/SIDA, les droits des enfants et des femmes étaient les domaines de prédilection.

Ainsi, pour faire face à la dégradation de la terre exploitée, Mme Sedgho trouve comme alternative l’utilisation de la fumure organique. C’est le début de l’agro-écologie. Depuis lors, elle est devenue l’une des militantes de l’agriculture bio au Burkina Faso. Toute chose qui lui vaut la reconnaissance de l’Etat qui l’élève au grade d’officier de l’Ordre du mérite national avec agrafe environnement en 2009. Aujourd’hui, sa structure prospère dans le maraîchage à Ouagadougou sur 3 sites, à Bendogo, Gampela et l’IPD-AOS (l’Institut panafricain pour le développement d’Afrique de l’Ouest et Sahel).

A l’entendre, le premier site (1 ha) et un forage ont été obtenus en 2007 grâce à un partenariat avec la mairie de Nongremassom pour la réalisation d’un projet d’activités génératrices de revenus pour les femmes à travers le jardinage.  Avec l’appui de l’Union européenne, le terrain est  aménagé et les bénéficiaires sont formées à l’agriculture conventionnelle à laquelle elles vont renoncer au profit de l’agro-écologie. C’est le début de la maraîcher-culture de La Saisonnière avec une soixantaine d’actrices.  

Sur les différents  sites, les espaces sont morcelés en planches de 10 mètres carrés. Au nombre de 120, chaque dame exploite au moins de cinq planches. Elles y produisent des légumes tels que le chou, la carotte, l’oignon, l’ail, etc. Une partie de la récolte est destinée à la vente et l’autre à la consommation familiale. En retour, il leur est demandé une contribution de 6 000 F CFA par mois pour le fonctionnement et l’entretien du forage.

Monique Ouédraogo fait partie des bénéficiaires. En cette journée de vendredi 18 mars, nous la trouvons en activité sur  sa réserve. «Je fais du jardinage ici depuis 15 ans. Je dispose de sept planches sur lesquelles je fais du chou, de la laitue (variété de salade) et d’autres feuilles. Je ne peux pas vous dire ce que je gagne par récolte, mais j’arrive à subvenir aux besoins de ma famille», déclare-t-elle. A quelques mètres de celle-ci, deux autres femmes sont en échange avec un couple d’acheteurs. Ce sont Salamata Solga et Clarisse Kaboré, également propriétaires de planches. La première nous apprend qu’elle arrive à vendre une planche de salade à 5 000 F CFA. Les recettes lui permettent de subvenir aux besoins de sa famille. Quant à Clarisse Kaboré, elle souhaite que les bonnes volontés leur viennent en aide afin que la cotisation de 6 000 F CFA par mois soit revue à la baisse ou  supprimée. C’est le marché bord-champ qui prévaut à La Saisonnière. Les clients ne manquent pas. Guy Adolphe Zongo en fait partie. Il est à la recherche de légumes pour le mariage coutumier de sa fille. « J’ai découvert cet endroit par le biais d’une voisine et j’encourage les gens à y venir pour se ravitailler», affirme-t-il. Pour lui, la vigilance doit être de mise dans tout ce que l’on consomme. On peut se procurer des légumes bio des femmes battantes de La Saisonnière à l’IPD-AOS vendredi et samedi de 8 h à 18 h. La vente s’arrête le dimanche à midi. Par exemple, le kilogramme de tomate est vendu est à 500 F CFA.

La certification BIO-SPG 

La conversion à la culture bio ouvre les portes du réseau international, Slow Foot, dont le principe est basé sur le bon, le propre et le juste, à l’association. L’adhésion également au Conseil national de l’agriculture biologique, le CNABio (un référentiel national de production et de transformation pour le bio local) lui a permis l’obtention de la certification BIO-SPG (système participatif de garantie) en 2017. Le cumul de ces acquis pousse la militante d’agro-écologie, du haut de ses 75 ans, à parcourir le Burkina Faso et la sous-région pour  porter le message de sensibilisation auprès d’autres producteurs. Convaincues du bien-fondé  de sa lutte, des femmes appartenant à sept jardins se joignent à son organisation pour créer un réseau de productrices en agriculture écologique.

En plus de faire du jardinage sa spécialisation, l’association possède un centre de formation en couture pour jeunes dans lequel l’apprentissage dure deux ans. C’est la 6e promotion cette année. «Tout est parti de la collaboration avec une amie suisse sur l’alphabétisation des femmes. Par la suite, elle a suggéré de faire quelque chose pour les plus jeunes. D’où la création de ce centre de couture qui compte actuellement 75 filles en 1re année et 45 en 2e année», annonce la patronne des lieux. Au départ, la formation était gratuite avec un don de machine. « Mais aujourd’hui, comme on tend vers l’autonomisation, on a introduit des frais de scolarité pour l’entretien de l’équipement et la prise en charge des monitrices », indique-t-elle.

Les difficultés

Cette association comme toute autre connait des difficultés.  A entendre la présidente, amener tout le monde à parler le même langage et lutter pour que les plus fortes soient au service des plus faibles, est une chose difficile.

En plus, les appuis venant de l’extérieur se font rares, voire inexistants à cause de la COVID-19 et de l’insécurité. « Chaque année, on recevait beaucoup d’amis. Ils nous apportaient de l’aide. Ils nous ont soutenues dans la construction des bâtiments. Mais aujourd’hui il y a un manque à gagner », déplore-t-elle.

Une autre difficulté est que les femmes de Bendogo sont obligées de suspendre leurs activités pendant l’hivernage. Car leur exploitation est située dans une zone inondable, un bas-fond.  «La solution serait que chaque femme puisse avoir au moins des tables pour le micro jardinage», confie leur protectrice. A l’entendre, il s’agit de produire sur de petites surfaces en créant des conditions proches du naturel. Par exemple, mettre sur des tables un mélange de substrat vivant (du compost) avec la terre pour faire pousser les plantes. C’est une technique communément appelée culture hors-sol. Une appellation qui, pour Mme Sedgho, ne sied pas, car dès qu’il y a la terre, ce n’est plus du hors-sol. Elle se justifie : « Le hors sol se fait sur un substrat neutre avec l’apport des éléments dont la plante a besoin. A La Saisonnière, nous préférons le concept de micro jardinage». Tous ceux qui s’intéressent à cette technique de micro culture peuvent l’apprendre aux côtés de la monitrice, Irène Kaboré.

Le manque de concertation entre les producteurs bio est une réalité qui met à mal le secteur. Toute chose qui se sent sur la fixation des prix, à écouter Sophie Sedgho. « Les prix sont disparates. Nous fixons nos prix en tenant compte de l’effort de déplacement du consommateur qui vient vers nous. Ce qui fait que nos prix sont plus bas que ceux des autres. Et certains croient que nous ne faisons pas du bio, car pour eux, le bio coûte cher. On doit travailler dans la complémentarité, dans la solidarité pour rendre disponible le bio à tous », souhaite-t-elle.

Les projets

Le plus grand souhait de la responsable des jardinières est l’atteinte de l’autonomisation financière. En outre, elle se dit consciente de la complexité de sa lutte. Mais elle n’entend pas s’arrêter en si bon chemin. Elle compte s’investir dans l’élargissement du réseau des sept jardins en impliquant tous ceux qui existent aux alentours de la capitale. Aussi, compte-t-elle poursuivre la sensibilisation et la formation sur la promotion de l’agro-écologie partout où on veut l’entendre.  « Se nourrir avec des aliments sains est possible. Il faut se diriger vers les lieux de production. Nous, les promoteurs du bio, ne sommes pas nombreux par rapport à ceux qui font le conventionnel. Mais, on a espoir que progressivement les choses vont changer. L’agro-écologie est la solution pour l’Afrique», se défend-elle. La création de réseau de commercialisation et l’interpellation des décideurs sur la facilitation de l’accès des femmes à la terre sont des plaidoyers à noter dans son agenda.

 

Habibata WARA