Insectarium de Bobo-Dioulasso: Dans l’antre d’une « usine » de production de mouches

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Inauguré en 2017 par les autorités burkinabè et leurs partenaires, l’insectarium de Bobo-Dioulasso est encore peu connu du grand public. Pourtant, cet établissement unique en Afrique de l’Ouest est très capital dans la lutte contre la mouche tsé-tsé et la trypanosomose. Voyage au cœur d’une unité d’élevage de glossines.  

Avant d’accéder à la cour, dont le portail demeure hermétiquement fermé, il faut montrer patte blanche. Les heures d’entrée et de sortie des visiteurs, y compris tout le personnel de la structure, doivent être consignées à la guérite. Dans l’enceinte de ce vaste domaine peuplé de végétaux, se dressent des bâtisses à l’allure imposante. Un calme olympien règne dans les environs. On se croirait dans un établissement d’enseignement supérieur. Sauf qu’ici, cet établissement sert à élever des insectes, en l’occurrence des mouches tsé-tsé ou glossines. Nous sommes sur le site de l’insectarium de  Bobo-Dioulasso, à la périphérie-sud de la ville. Un espace confiné qui permet d’étudier le mode de vie des insectes. Erigé sur une superficie de 21 hectares, plus précisément dans le village de Darsalamy (15 km de Bobo-Dioulasso), le joyau jouxte la Route nationale 7 (RN7), en direction de Banfora.

Installé au Burkina Faso dans le cadre de la mise en œuvre de la Campagne panafricaine d’éradication de la mouche tsé-tsé et de la trypanosomose (PATTEC, en anglais), l’insectarium est fonctionnel depuis 2016. Sa mission principale est de produire des mâles stériles de glossines pour les besoins de la PATTEC au Burkina Faso mais aussi de satisfaire les besoins des campagnes des pays de l’Afrique de l’Ouest. Deux insectariums d’envergure existent en Afrique à savoir, celui de Bobo-Dioulasso pour servir l’Afrique de l’Ouest et celui de Kality en Ethiopie pour l’Afrique de l’Est. La trypanosomose est une pathologie animale africaine qui s’attaque principalement aux bovins et impacte l’économie des pays africains à travers la réduction de la production de viande, de lait, les avortements des femelles, la réduction de la force de traction pour l’agriculture, sans compter les coûts injectés par les producteurs pour le traitement de cette maladie.

Produire et élever des mouches, cela peut bien paraître absurde et insolite pour le commun des mortels. Mais dans le milieu des scientifiques, l’activité requiert tout son sens. On l’explique aussi simplement que l’élevage de la volaille, avec parfois un langage ésotérique.

L’irradiateur, l’outil central

Le 22 février 2022, nous faisons une immersion dans cette « usine » pas comme les autres. Les premiers responsables de l’insectarium, notamment le Directeur général (DG), Dr Soumaïla Pagabeleguem, accompagné de son directeur de la production et du laboratoire, Dr Abdramane Bagayogo, sont les guides du jour. Ce n’est  pas un jour de grande activité. Nous sommes exemptés de l’obligation du port d’une combinaison adaptée. « Les insectes sont tellement sensibles que tout ce qui doit être en contact avec eux doit être stérilisé », relève le DG. Une autre consigne : ne pas se parfumer avant toute visite, au risque d’être importuné par les mouches. A l’intérieur du local, compartimenté en plusieurs salles, un travail de fourmis se mène. Nous arpentons toutes les pièces, sauf une. L’accès à la cellule d’irradiation est strictement interdit à tout le monde, y compris le personnel, informe Dr Bagayogo. Seuls sont autorisés les agents équipés d’un lecteur biométrique et ayant un numéro d’identification personnel et une empreinte digitale reconnue par le système de sécurité d’accès. Ils sont également munis d’outils de sûreté, de dosimètres pour éviter tout risque d’exposition aux substances radioactives.

Les principaux produits finis de cette unité sont les diptères et les pupes (ndlr, sorte d’œufs au stade d’éclosion). Une équipe est en train de préparer des colis de pupes pour le Sénégal. Dans une salle obscure et humidifiée, les agents s’affairent à compter avec minutie les « œufs » des mouches. Selon le directeur de la production, Dr Abdramane Bagayogo, ces pupes seront irradiées pour les rendre stériles, conditionnées dans des boîtes isothermes à 8°C et envoyées au Sénégal par avion. Et cela, dans le cadre d’une collaboration avec ledit pays qui bénéficie du soutien technique et financier de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), selon lui. Certaines mouches ayant échappé de leurs cages n’hésitent pas à se poser sur vos vêtements ou à vous chatouiller la tête mais sans aucun risque car elles sont saines. C’est d’ailleurs pour éviter ces emmerdements que la lumière a été éteinte, renseigne-t-on.

Supporter tous les pays ouest-africains

Des dires du DG Pagabeleguem, les pupes sont maintenues à une température de 8°C à l’effet de bloquer les émergences avant l’arrivée au Sénégal. « Une fois à destination, les pupes sont gardées dans une salle à 24°C avec une humidité relative de 75% et les émergences continuent. Après émergence, les mouches sont gardées pendant une semaine pour le traitement nécessaire avant d’être lâchées sur le terrain », explique-t-il. A l’entendre, l’insectarium de Bobo-Dioulasso a un mandat de supporter tous les pays de l’Afrique de l’Ouest et cela lui fait bénéficier d’un soutien technique, matériel et financier de la part de l’AIEA. Mais pour l’instant, seul le Sénégal qui est en phase d’éradication des mouches tsé-tsé et de la trypanosomose, avec pour principal bailleur les Américains à travers l’AIEA, bénéficie des produits de l’insectarium. C’est pourquoi la production est régulée en fonction des besoins. Par ce canal, ce sont des milliers de pupes qui sont transférées régulièrement au pays de la Téranga. Une aubaine pour le pays des Hommes intègres, puisque tous les pays ne disposent pas d’irradiateur, l’équipement spécifique qui permet de produire les insectes stériles.

Le lâcher de ces insectes sur le terrain, selon les spécialistes, a pour finalité de contrôler les naissances des mouches tsé-tsé, vectrices de la maladie du sommeil et de la trypanosomose, par la réduction de leurs populations. Les insectes mâles ainsi stérilisés par des rayonnements puis lâchés s’accouplent avec les femelles sauvages ; ce qui va engendrer une  diminution progressive, voire une élimination de la population ciblée.

Si on est arrivé à cette campagne d’éradication de la mouche tsé-tsé, rapporte Dr Pagabeleguem, par ailleurs enseignant-chercheur à l’université de Dédougou, c’est qu’on a constaté une résistance qui s’est développée contre les traitements parasitaires administrés aux animaux malades de la trypanosomose. A l’écouter, d’autres stratégies étaient utilisées pour lutter contre la maladie. Outre les traitements trypanocides qui ont connu par la suite le développement de résistance, il y a également la méthode qui consiste à élever des animaux, la race taurine notamment,  qui ne sont pas sensibles à la maladie. Sauf que cette race, admet le DG de l’insectarium, est faible en termes de productivité de lait et de viande.

Des insectes hématophages

C’est ce qui conduit les éleveurs à préférer les zébus, pourtant sensibles à la maladie. Comme les traitements parasitaires soulagent mais ne viennent pas à bout de la pathologie, il fallait trouver une stratégie plus appropriée, aux dires de Dr Pagabeleguem. « Vu le développement de résistance, on s’est dit qu’avec la recherche, on pouvait attaquer l’insecte. Puisque c’est lui qui héberge le parasite et le transmet à l’animal par sa piqûre. Si on arrive à éliminer l’insecte, on coupe du même coup le cycle de transmission de la maladie », argumente-t-il.

Le Burkina Faso a eu le privilège d’abriter l’insectarium et doit supporter les autres pays ouest-africains dans le cadre de cette lutte. La production des mouches tsé-tsé requiert des équipements spécifiques. Insectes hématophages, leur alimentation se fait exclusivement avec le sang des animaux collecté dans les abattoirs et pas n’importe lequel. Des éclaircissements apportés par Dr Bagayogo, il ressort que le sang ainsi recueilli est irradié pour s’assurer qu’il ne contient pas de germes avant d’être transmis au laboratoire pour une analyse bactériologique. S’il est de qualité, on le garde dans une chambre froide à une température de moins 20 degrés Celsius (-20°C). C’est ce sang qui est prélevé au fur et à mesure pour nourrir les mouches. Sur des plaques, on fait étaler le sang qu’on recouvre de membranes en silicone qui ont l’aspect de peau d’animal. Quelques minutes suffisent aux insectes pour s’alimenter à travers ces pellicules. A l’insectarium, l’hygiène est de rigueur. Tout le matériel utilisé est soigneusement lavé et stérilisé pour ne pas affecter les insectes. Dans les cages d’élevage ou de production, des milliers de glossines se font entendre par leur bourdonnement ininterrompu.

Les pontes durent trois mois à l’issue desquels les insectes sont détruits, la plupart mourant naturellement. Pour la seule journée du 13 février par exemple, fait savoir le DG Pagabeleguem, 28 550 pupes ont été collectées. Une équipe est chargée de cette collecte au quotidien. Dans la salle de production du module femelle, chaque cage contient 200 mouches tsé-tsé dont 150 femelles. Ces cages sont superposées sur une soixantaine de charriots. C’est donc une colonie de plus de 500 mille femelles qui assurent la ponte dans cette cellule. « Il y a des moments où on a une colonie d’un million de femelles. On régule la production en fonction des besoins », informe le DG.

Plus de lâchers au Burkina depuis la phase expérimentale

Malgré cette abondante production, le Burkina Faso n’a pas encore commencé les lâchers des mâles stériles des glossines sur le terrain. Depuis la phase expérimentale conduite par le projet PATTEC jusqu’à aujourd’hui, confie l’enseignant d’université, il n’y a plus eu de lâchers. Cela est dû, selon lui, à un manque de financement pour les activités. « Pour aller sur le terrain, il faut du moyen roulant, des frais de mission, du carburant. Cela a un coût que nous n’arrivons pas à supporter », souligne-t-il. L’espoir reste tout de même permis. En termes d’équipements de lutte, l’enseignant-chercheur dit ne pas se faire trop de soucis parce que l’AIEA apporte déjà un appui à ce niveau et cela va se poursuivre jusqu’en 2025. De plus, à travers un projet financé par l’Union européenne, l’insectarium de Bobo-Dioulasso mène des activités sur tout le territoire national afin de faire la situation de la maladie et de ses vecteurs, les mouches tsé-tsé. Pour Dr Pagabeleguem, les résultats de ce projet leur permettront de convaincre des bailleurs pour un financement de la lutte contre la trypanosomose au Burkina Faso à travers l’utilisation de la technique de l’insecte stérile. Pour cela, il dit compter beaucoup sur le financement national pour démarrer la lutte en attendant l’accompagnement des bailleurs de fonds.

Le DG de l’insectarium a foi qu’un jour la maladie sera contrôlée au Burkina Faso mais il y a un préalable : une synergie entre les pays dans la lutte pour que les glossines ne migrent pas d’une zone traitée vers une autre qui ne l’a pas été. A ce qu’il dit, il est question de développer des stratégies dans la zone PATTEC-Burkina et de faire des lâchers par sous-blocs en évoluant en tapis roulant. « Au même moment, on met des dispositifs de barrières artificielles qui consistent à déployer des pièges et des écrans imprégnés d’insecticides à une forte densité qui font que, sur cinq ou dix kilomètres, des mouches ne peuvent pas quitter la zone non luttée pour celle luttée », détaille-t-il. La première phase de la PATTEC a réussi à réduire la densité des glossines de 95% et la prévalence de la maladie sur 40 000 km². Pourtant, elle n’a pas permis d’atteindre les résultats escomptés, à savoir l’élimination, puisque l’insectarium n’était pas fonctionnel à l’époque, selon le DG Pagabeleguem. « C’est depuis 2010, au moment où les densités des glossines étaient réduites à 95%, qu’on devait commencer les lâchers. Malheureusement l’insectarium n’a été opérationnel qu’en 2016 », confie-t-il, avant de signifier que cela a eu un impact sur l’efficacité de la campagne.

Vu la spécificité du travail, l’insectarium est obligé de fonctionner comme un service à feu continu. Pas de week-end ni de jour férié pour les agents qui doivent en outre collecter le sang dans la nuit à l’abattoir. C’est pourquoi le DG souhaite qu’ils soient motivés pour ces travaux extra-horaires réguliers. Un personnel qualifié pour la maintenance des équipements est aussi l’un de ses vœux ardents.

Mady KABRE

 

Légendes (ph. Rémi ZOERINGRE)