Accès des producteurs aux crédits bancaires: Entre satisfaction et grincements de dents

Les agriculteurs burkinabè peinent toujours à sortir la tête de l’eau en matière d’accès aux crédits agricoles. En dehors des intrants subventionnés de l’Etat qui leur sont vendus à des prix relativement abordables, ils sont confrontés à l’absence de sources de financement de leurs activités. Pour inverser la tendance, les autorités ont créé en 2019 la Banque agricole du Faso (BADF). Cependant, les crédits offerts par cette banque suscitent à la fois admiration et grincements de dents. Immersion dans le financement des projets agricoles dans les Hauts-Bassins, l’une des grandes zones de production agricole au Burkina Faso.

Alizèta Rouamba/Kaboré est une entrepreneure agricole basée à Kouremangafesso, localité située à plus de 40 km de Bobo-Dioulasso dans la commune rurale de Karangasso-Vigué. Dans sa ferme de 20 ha, sont produits le maïs, l’arachide et le soja. Cette jeune dame, ambitieuse et courageuse, allie l’agriculture et l’élevage. De l’aviculture à l’apiculture en passant par l’élevage de petits ruminants, elle s’accroche à toutes sortes d’activités. Mme Rouamba produit aussi la fumure organique, composant essentiel dans la fertilisation des sols. Ces investissements, elle les a réalisés sur fonds propres. En quête de financement pour moderniser davantage son exploitation, elle a accueilli avec enthousiasme l’avènement de la Banque agricole du Faso (BADF). Aujourd’hui, l’idée d’aller emprunter dans cette banque a effleuré son esprit. Grâce à son ardeur au travail, Alizèta Rouamba a été élue présidente de la Société de coopérative des femmes entrepreneures de Kouremangafesso, forte de 160 membres. Cette coopérative qui exploite une superficie totale de 216 ha, a bénéficié par deux fois, de l’accompagnement de la BADF. La première, c’était en 2021 où elle a obtenu un prêt de 29 millions F CFA. Après l’avoir soldé durant la même année, elle contracte un deuxième prêt d’un montant de 4 millions FCFA remboursable en trois ans, au taux de 9%. Ce prêt destiné à l’équipement a permis à la coopérative de s’acheter une batteuse multifonctionnelle. Des explications de la présidente de la coopérative, un partenaire a pris en charge la moitié des frais.L’appui dont bénéficie cette coopérative n’est pas un cas isolé dans la région des Hauts-Bassins. Depuis son ouverture en 2019, la Banque agricole du Faso (BADF) ne cesse d’accompagner aussi bien les particuliers que les entreprises agricoles et les coopératives. Rokia Barro, transformatrice de produits locaux à Orodara, a contracté un crédit de 10 millions F CFA en 2021 à la BADF.Un prêt remboursable en 12 mois au taux de 13,5%, a servi à relancer ses activités. Elle devrait apporter, en guise de garantie, un Permis urbain d’habiter (PUB). Avec l’appui de la Société de construction et de gestion immobilière du Burkina (SOCOGIB), elle a pu satisfaire à cette condition. L’entreprise Barro propose une gamme variée de produits composés d’huile de sésame, de la farine infantile Misola pour bébés  de 6 à 24 mois, de fonio et de la farine de maïs. Comme elle, Abdoulaye Sawadogo, Président-directeur général de l’entreprise Neema agricole du Faso (NAFASO), a bénéficié d’un prêt de 1,2 milliard F CFA auprès de la même banque pour investir dans l’agriculture. A ses dires, une partie de cette somme sera utilisée pour financer la production des semences de la pomme de terre et l’autre servira à la construction d’une chambre froide. Ce magasin qui aura une capacité de 5 000 tonnes est destiné à la conservation de la production. L’entrepreneur agricole entend donc relever un gros défi en rendant disponibles les semences à la satisfaction des producteurs. Pour M. Sawadogo, le projet vise à assurer au Burkina, une autonomie totale en semences de pomme de terre. Il soutient que son projet est parti d’un constat. Le marché national, fait-il remarquer, est inondé de pomme de terre importée parce que le Burkina ne produit pas lui-même les semences. A en croire M. Sawadogo, ce sont ceux qui nous vendent la pomme de terre qui nous fournissent en même temps les semences. « Vous comprenez pourquoi le kilo de la pomme de terre coûte cher sur le marché (entre 500 et 800 F CFA)», dénonce-t-il. Avec ce projet, M. Sawadogo veut donner la chance aux producteurs nationaux de profiter non seulement des meilleurs prix du marché mais aussi de s’abstenir de brader leurs récoltes (200 à 300 F CFA/kg).

Des prêts à problèmes

Les produits proposés par l’entreprise Barro sont prisés par la population. C’est qui l’a d’ailleurs convaincu à contracter le prêt en banque afin d’augmenter sa capacité de production. Contre toute attente, la machine commerciale se grippe. L’entreprise est confrontée à la mévente de ses produits. Les stocks s’empilent dans son magasin. Une situation que Mme Barro impute à la dégradation de la situation sécuritaire. Selon elle, elle n’arrive plus à livrer ses marchandises dans les villages à cause des nombreuses incursions terroristes. « Au moment où je prenais le prêt, il n’y avait pas la montée du terrorisme. Je parcourais les villages pour écouler mes produits. De nos jours, ce n’est plus le cas », martèle-t-elle. L’entreprise Barro est actuellement dans l’impasse. Elle n’a pas pu honorer ses engagements vis-à-vis de la banque. Rokia Barro s’est vu obliger de négocier un nouveau délai de remboursement de son crédit à raison de 1 300 000 F CFA par mois. Assise dans la tristesse, Mme Barro compte sur la providence divine pour relever ce défi. Des producteurs avisés n’ont pas voulu compromettre leur avenir en s’endettant aveuglément. Bien que son dossier soit passé, Abdoulaye Sawadogo a renoncé à son crédit au regard de la dégradation de la situation sécuritaire qui prévaut dans sa zone d’investissement. « Avec l’insécurité que traverse le Nord du Burkina, nous avons demandé à la banque de surseoir au virement des fonds dans notre compte », atteste-t-il. Par ailleurs, les produits proposés par la BADF ne sont pas de nature à appâter tous les producteurs. Mazouma Sanou, productrice et animatrice à l’Union provinciale des professionnels agricoles du Houet (UPPA), estime que les conditions ne sont pas différentes de celles des banques classiques. Elle reconnaît néanmoins que l’union a bénéficié d’un prêt de 4 millions F CFA à la BADF pour acquérir une égreneuse. Cependant, Mme Sanou reproche à la banque le montant élevé des frais de tenue de compte qui tournent autour de 2 900 F CFA contre zéro F CFA dans d’autres banques. « On a exposé cette préoccupation aux responsables de la banque et ils ont dit que sans ces frais, il serait difficile à la banque de tenir pour le moment », relève-t-elle. Et aussi, poursuit-elle, le taux d’intérêt de 18% applicable au prêt destiné à l’acquisition des intrants est élevé. « C’est ce qui m’a dissuadée à aller vers cette banque. Avec ce taux, c’est pour aller me noyer », se désole Mazouma Sanou. C’est finalement dans une autre banque qu’elle a obtenu un crédit de 600 000 FCFA. « Il faut que la BADF sache pourquoi elle a été créée », avertit-elle.

Des producteurs satisfaits

Les producteurs de la région des Hauts-Bassins se sont réjouis de la création de la Banque agricole. Entrepreneur agricole résidant dans la commune rurale de Karangasso-Sambla, Bakary Traoré n’a pas hésité à prendre un double prêt dont un à travers la coopérative « Bègnongotè » pour l’achat d’intrants d’un montant de 1,5 million F CFA et l’autre à titre individuel pour l’acquisition d’une batteuse multifonctionnelle munie d’un tricycle, à hauteur de 4 millions F CFA. « Le projet AGRA a pris en charge 50% des frais et les 50% restants correspondent au montant de mon crédit à la BADF », détaille-t-il. Avec une ferme de plus de 20 ha, Bakary Traoré cultive du coton (15 ha), du maïs (7 ha), du sésame (2 ha) et une portion réservée à la production maraîchère. En dehors de la SOFITEX qui les appuie avec les intrants subventionnés de l’Etat, les membres de sa coopérative n’avaient aucun autre moyen de financer leur production. De nos jours, pense-t-il, ils se sentent soulagés car ils peuvent s’offrir des intrants aussi bien pour la culture du coton que pour le maïs. « La BADF paie le fournisseur et ce dernier nous livre les intrants », précise-t-il. Malgré tout, nombreux sont les producteurs qui ne disposent pas d’informations fiables sur les conditions de financement de leurs projets en banque. Sont de ceux-là, Moussa Sanou et Bazou Sanou, respectivement producteurs de coton à Yéguérésso et à Nianmadougou. Avec la Société nationale des fibres et textiles (SOFITEX), ils ont les intrants uniquement pour la culture du coton. Mais étant de gros producteurs de maïs, ce geste s’avère insuffisant. « Comme je prenais les intrants avec la SOFITEX, je n’avais jamais imaginé qu’une banque accepterait de me financer », confesse Moussa Sanou.

La garantie, une nécessité

La question de la garantie en banque reste toujours posée. Les demandeurs de crédit sont même étonnés quand on leur demande d’apporter une garantie. « On exige une garantie financière à titre de participation et cette garantie financière peut aller de 10 à 30% maximum du montant de la sollicitation », souligne Dominique Sansara, chef d’agence de la BADF/Bobo-Dioulasso. A la coopérative des entrepreneurs agricoles de Kouremangafesso, c’est avec un pincement au cœur que la présidente Alizèta Kaboré aborde le sujet. «Nous sommes une société coopérative et notre capital est considéré déjà comme une garantie », estime-t-elle. La BADF veut toujours avoir la preuve que le demandeur de prêt a quelqu’un qui va, à la fin des récoltes, acheter sa production. De ce fait, Dominique Sansara conseille aux producteurs de nouer des partenariats avec les acheteurs, les fournisseurs et la banque à travers des contrats tripartites ou multipartites. « La banque règle le fournisseur d’intrants et le fournisseur d’intrants livre les intrants au producteur. Dès que la production est prête, l’acheteur vient ramasser tout votre stock et le vend pour régler votre crédit en banque. Celle-ci recouvre votre crédit et le reliquat est retourné dans votre compte », éclaire M. Sansara. Toutefois, il précise que lorsque le producteur n’a pas d’emblée en amont des fournisseurs auprès desquels il s’approvisionne, la banque met son argent à sa disposition. A lui maintenant d’aller se ravitailler où il veut. Ce mécanisme, Mme Kaboré le juge discriminatoire. « Maintenant, ceux qui ne peuvent pas respecter ces conditions ne pourront pas bénéficier de financement auprès de la BADF », déplore-t-elle. Pour Abdoulaye Sawadogo, aucune banque dans ce monde ne va prêter son argent sans penser à comment le récupérer. Actionnaire au capital de la BADF avec 20 000 actions d’une valeur totale de 800 millions FCFA, l’Union nationale des producteurs semenciers du Burkina (UNPSB) vise selon M. Sawadogo, à faciliter certaines opérations à ses membres. « Ces actions peuvent à l’avenir se constituer en garanties pour qu’ils puissent bénéficier des crédits sans apporter de garantie », confie-t-il. Les producteurs des Hauts-Bassins plaident pour la création d’un fonds de garantie. C’est à cette seule condition, soutiennent-ils, que l’accès aux crédits bancaires sera garanti à tous. Dominique Sansara, chef d’agence de la BADF/Bobo, avoue qu’il y a de l’engouement autour des produits de la BADF. Au nombre des produits proposés aux agriculteurs, il cite le financement des équipements agricoles, le financement des intrants, le wallet qui est un compte connecté au compte Orange money de chaque producteur et le Fonds de développement agricole (FDA) qui finance tout ce qui est production végétale, y compris la transformation et la commercialisation. A ce propos, il signale que concernant le FDA, les crédits sont accordés au taux de 5% moyennant un dépôt de 10% du montant sollicité comme garantie. « Pour les financements autres que le FDA, les taux peuvent varier en fonction de la nature du risque et de l’activité », croit savoir Dominique Sansara. A en croire Abdoulaye Sawadogo, certains producteurs ont pris conscience qu’ils doivent rembourser leurs crédits. Finie, dit-il, l’idée selon laquelle c’est l’argent du gouvernement, on n’est pas tenu de rembourser. « C’est tout ça qui faisait qu’on ne prenait pas les producteurs au sérieux. Un professionnel, s’il a besoin de l’argent pour investir, doit respecter ses engagements », tranche-t-il. En matière de financement agricole, certaines banques de la place en garde une amère expérience. Une d’entre elles se retrouve avec des milliards de francs CFA à recouvrer. Contactée, elle n’a pas souhaité réagir. Tout en s’engageant à respecter les clauses, les bénéficiaires des crédits à la BADF exhortent les autorités de cette banque à ne pas se lasser à les accompagner. La plupart de nos interlocuteurs plaident cependant pour le raccourcissement des délais de traitement de leurs dossiers jugés trop longs. «Un paysan demande un crédit en mars par exemple et c’est peut-être en juin ou juillet qu’on lui décaisse les sous. C’est comme si on l’incitait à mal utiliser le crédit», alerte Alizèta Rouamba/Kaboré. En tous les cas, Bakary Traoré dit être sûr d’une chose : « Nous avons plus à gagner qu’à perdre avec cette banque».

Ouamtinga Michel ILBOUDO

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