Sang déclassé à l’insectarium de Bobo-Dioulasso: Un colis encombrant pour les premiers responsables

A l’insectarium de Bobo-Dioulasso, le sang des animaux constitue le seul aliment des mouches tsé-tsé. Avant d’être servi, ce sang subit des analyses en laboratoire. S’il contient trop de bactéries, il est déclassé et destiné à être détruit. Mais les responsables de la structure ont opté de le conserver au frais depuis 2019 dans l’espoir de le rendre encore utile. En attendant, c’est de l’énergie qui est gaspillée au quotidien depuis plus de trois ans.  

La question qui taraude de prime abord l’esprit des visiteurs de l’insectarium de Bobo-Dioulasso est sans conteste celle liée à l’alimentation des mouches tsé-tsé ou glossines. Que leur donne-t-on à manger ? A cette interrogation, la réponse fournie par les responsables de la structure laisse parfois sans voix : du sang. En effet, les mouches qui y sont élevées sont des insectes hématophages, c’est-à-dire qu’elles se nourrissent exclusivement de sang, celui des animaux. Des explications du Directeur général (DG) de l’insectarium, Dr Soumaïla  Pagabeleguem, le sang est collecté dans les abattoirs, congelé dans des chambres froides à une température de moins 20 degrés Celsius (-20°C), puis irradié et analysé avant d’être utilisé pour sustenter les insectes.

Ce mardi 22 février 2022, nous assistons à une séance d’alimentation des glossines. Le sang décongelé est étalé sur des plaques que l’on recouvre avec de fines membranes en silicone puis chauffé à une température de 36 ou 37°C. Comme ce qu’elles font à l’état sauvage en piquant la peau des animaux, les mouches perforent la membrane en silicone pour sucer le sang. Selon le DG, les jeunes mouches sont alimentées tous les jours (excepté le dimanche), contrairement aux adultes qui sont nourries trois fois par semaine. Dans la foulée, ce sont environ 300 litres de sang qui sont ingurgités chaque semaine par les insectes.

A écouter les responsables de l’insectarium, tout ce que les mouches consomment est déclaré sain. Un laboratoire divisé en plusieurs sections (entomologie, parasitologie, bactériologie et biologie moléculaire) est installé pour veiller à cette qualité. Seulement que toutes les sections ne sont pas encore fonctionnelles. Toutefois, le directeur de la production et du laboratoire, Dr Abdramane Bagayogo, rassure que tout va rentrer dans l’ordre très bientôt. « Nous sommes en partenariat avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui nous a accompagné avec des équipements spécifiques qui seront installés incessamment », informe-t-il. Dans la section bactériologie, une laborantine s’active à analyser des échantillons de sang en vue de détecter d’éventuelles bactéries.

4 050 litres de sang gardés à 4°C

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« Lorsque nous avons moins de dix colonies de bactéries dans le sang à l’issue de 72 heures d’incubation à 37°C des boites de pétri contenant le mélange d’échantillons de sang et de l’agar comme nutritif, nous considérons que le sang est de qualité et peut être utilisé pour alimenter les mouches », affirme Dr Pagabeleguem. Mais au-delà de dix colonies, note-t-il, ce sang est déclassé parce qu’impropre à la consommation des insectes et non pour l’homme. Il justifie cela par le fait que les mouches sont plus sensibles que l’homme. C’est pourquoi tout le matériel utilisé pour les alimenter ou être à leur contact doit être stérilisé. Le sang lui-même passe par une irradiation pour le débarrasser de ses impuretés (germes). Malgré tout, s’il est toujours impropre pour les mouches tsé-tsé, il est destiné à être détruit. Les responsables de l’insectarium avaient la possibilité de faire passer ce sang dans les puits perdus à travers le système de laverie. Puisqu’ils estiment qu’il est stérile, donc pas nocif pour l’environnement. Même consommé par un animal, à les écouter, ce sang ne présente aucun danger; par contre, il peut avoir un impact sur la productivité des insectes. On aurait pu aussi stériliser plusieurs fois ce sang pour le rendre pur, mais selon le DG Pagabeleguem, cela risque de détériorer ses qualités organoleptiques et il ne sera plus nutritif pour les insectes. Pour l’instant, l’option de jeter le sang déclassé dans la nature n’est pas non plus à l’ordre du jour. C’est pourquoi il est soigneusement gardé dans une autre chambre froide à une température de 4°C pour éviter qu’il ne pourrisse. Sur des étagères, plusieurs bidons blancs de 4,5 litres chacun contenant ce liquide sont entreposés. Des dires de Dr Bagayogo, c’est depuis 2019 que ce stock a commencé à être constitué. Il l’estime actuellement à 900 bidons environ, correspondant à 4 050 litres de sang. Les responsables de l’insectarium pensaient pouvoir trouver une solution rapide à cette situation. Faire sécher ce sang et l’utiliser pour l’alimentation de la volaille fait partie de leur rêve. En attendant la concrétisation de ce rêve, c’est un colis encombrant qui se retrouve entre les mains du DG Pagabeleguem et son équipe. Il pèse même sur le budget de l’insectarium en termes de consommation d’énergie. « C’est de l’électricité qui est consommée en permanence pour conserver ce sang à une température de 4°C. C’est une charge », reconnait le premier responsable de l’insectarium.

La solution avec M. Dondassé

Il indique que s’il avait affaire à un produit solide, sa destruction serait plus facile à l’aide des incinérateurs. Malheureusement pour lui, il n’a pas encore connaissance d’un incinérateur qui peut détruire les produits liquides comme le sang.

La bonne nouvelle pourrait venir de Salifou Jean-Pierre Dondassé, un gestionnaire de déchets basé à Bobo-Dioulasso. Promoteur d’incinérateurs (Gwaba et Wamb Zanga) de déchets solides, il rêve cette fois-ci d’en inventer pour les liquides, notamment le sang. A l’écouter, son projet est en bonne voie et serait même très avancé. Malgré la modicité de ses moyens, l’innovateur-inventeur espère finaliser son premier ouvrage dans les prochains mois. « Le besoin est réel et il se fait sentir. Nous avons pris des engagements avec plusieurs structures qui utilisent le sang que ce soit des humains ou des animaux. D’ici quelques mois, nous allons faire les premiers essais avec notre ouvrage à Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou », déclare-t-il, tout confiant. Avec son nouvel incinérateur, M. Dondassé se propose de réduire le sang en cendre ou de le transformer sous forme de boudin qui pourra servir d’engrais ou d’aliment pour les animaux. « Si on s’associe aux techniciens d’élevage, on ne fera pas que détruire le sang. Par contre pour le sang humain, nous voulons le réduire à néant parce que sa gestion est délicate », confie-t-il. Une véritable aubaine pour les responsables de l’insectarium. Avec ce projet, la solution à la gestion de leur sang déclassé vient d’être trouvée. Le promoteur de l’incinérateur les a déjà approchés à cet effet. Cependant, fait savoir le DG Pagabeleguem, les moyens nécessaires manquent pour signer un contrat pour la réalisation de cet incinérateur.

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« C’est un poids pour nous »

« Si on arrivait à installer cet outil chez nous, on allait être soulagé. Notre chambre froide ne sera plus en fonctionnement et non plus on ne fera de la maintenance préventive », relève-t-il. Il ne compte pas baisser les bras pour autant. Il envisage voir son ministère de tutelle, celui en charge de l’agriculture et des ressources animales, pour demander un soutien financier. Pour sa part, M. Dondassé se dit disposé à accompagner les structures dans la gestion de leurs déchets liquides. Il raconte que la première fois qu’il a visité l’insectarium, il a été dépassé de voir tout ce stock de sang déclassé dans une chambre froide. « C’est de l’argent que l’on jette dans des factures d’électricité pour conserver un produit que l’on ne va pas utiliser. Je m’investis pour que cette situation soit conjuguée au passé », mentionne le gestionnaire des déchets. C’est également le souhait des responsables de l’insectarium qui voient en la concrétisation de ce projet une occasion de réduire considérablement leurs charges en termes de consommation d’électricité. « Sinon, c’est un poids pour nous », admet le DG. Salifou Jean-Pierre Dondassé ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il a aussi l’ambition de détruire les huiles usées provenant de certaines usines, pour peu qu’il ait l’accompagnement de l’Etat ou de bonnes volontés. En attendant, il a décidé d’aller par étape en s’attaquant au sang d’abord.

Mady KABRE