Dr Ismaël Coulibaly, spécialiste de radiothérapie :« En 2020, le Burkina Faso a enregistré 8 695 décès liés au cancer »

Dr Ismaël Coulibaly recommande l’opérationnalisation des centres de radiothérapie pour la prise en charge des malades au Burkina Faso.

Le cancer est une pathologie qui se manifeste par une multiplication anormale et incontrôlée des cellules de l’organisme. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cette maladie constitue la deuxième cause de décès dans le monde avec environ 8,8 millions de morts en 2018. Au Burkina Faso, la pathologie est aussi la deuxième cause de mortalité mais dans la catégorie des maladies non transmissibles après celles cardio-vasculaires dans les hôpitaux, selon les spécialistes. Pour en savoir davantage sur ce mal, nous nous sommes entretenus avec Dr Ismaël Coulibaly. En stage de spécialisation en radiothérapie à Casablanca au Maroc, il revient, entre autres, sur les facteurs de risques, les conséquences et la prise en charge de la pathologie.

 

Carrefour Africain (C.A.) : Qu’entend-t-on par cancer ?

Ismaël Coulibaly (I.C.) : Le cancer est une maladie grave qui se caractérise par la multiplication anarchique et incontrôlée des cellules d’un des organes du corps humain. C’est une tumeur maligne qui envahit et les organes qui sont autour et ceux à distance de l’organe infecté. Cette situation peut entrainer la mort du malade si rien n’est fait précocement.

A. : Quels sont les différents types de cancer?

C. : Il y a une multitude de types de cancer que l’on peut regrouper en deux grands groupes. Il s’agit des cancers solides qui sont ceux qui attaquent les organes pleins que sont le foie, le poumon, le cerveau et les organes creux que sont l’estomac, les intestins… Quant aux cancers liquides, ce sont ceux en lien avec le sang, encore appelés les leucémies.

A. : On entend souvent parler de tumeur maligne et celle bénigne. Qu’en est-il ?C. : La tumeur bénigne est une tumeur où la multiplication anarchique des cellules reste dans l’organe en question sans envahir les structures de voisinage ni d’autres organes à distance. Elle est indolore et n’entraine pas directement la mort le plus souvent. Par exemple, au niveau de l’utérus, les léiomyomes appelés aussi myomes ou fibromes sont des tumeurs bénignes. Par contre, une tumeur maligne est agressive, envahissant les organes de voisinage et ceux à distance (on parle de métastase), pouvant entrainer la mort si un traitement optimal n’est pas fait. C’est ce caractère agressif des tumeurs malignes qui fait qu’on les appelle des cancers. En exemple, l’opposé du myome de l’utérus est dit léiomyosarcome.

A. : Quelles sont les types de cancer les plus fréquents ?

C. : La prévalence varie selon les habitudes toxiques et selon la situation géographique. Par exemple, dans les pays développés, le cancer du col de l’utérus est devenu rare à cause de la vaccination systématique des adolescentes contre le virus HPV qui est le virus responsable de ce cancer. A l’inverse, dans les pays en voie de développement où le vaccin n’est pas accessible, le cancer du col de l’utérus reste très fréquent. C’est en cela qu’il faut saluer l’introduction de ce vaccin dans le programme élargi de vaccination au Burkina Faso depuis avril 2022.

Au Burkina Faso, selon les statistiques, les cinq cancers les plus fréquents chez la femme sont respectivement les cancers du sein, du col de l’utérus, du foie, de l’ovaire et du corps de l’utérus. Chez l’homme, c’est respectivement ceux de la prostate, du foie, de la vessie, le lymphome non Hodgkinien et le cancer du colorectal. Mais la limite de ce classement réside dans la faible capacité de diagnostic et de prise en charge d’une part et d’autre part dans l’absence d’un registre de cancer national basé sur la population. Même s’il faut noter la mise en place d’un registre de cancer de Ouagadougou

A. : Qu’en est-il des statistiques sur la maladie au Burkina Faso ?

C. : Nous ne disposons pas encore de registre national des cancers au Burkina Faso basé sur la population. Ce qui fait qu’il n’y a pas de statistiques spécifiques et exhaustives sur la pathologie. Mais selon la faitière pour les statistiques des cancers dans le monde (GLOBOCAN), en 2020, il y a eu 12 045 nouveaux cas de cancer, soit 4 305 chez les hommes et 7 740 chez les femmes. A la même période, le pays a enregistré 8 695 décès liés au cancer dont 3 248 hommes et 5 447 femmes. Ces statistiques de GLOBOCAN 2020 indiquent également que si rien n’est fait pour freiner la maladie, le pays doit s’attendre à 18 884 nouveaux cas au cours des cinq années à venir.

A. : On constate que les femmes sont plus touchées que les hommes. Qu’est-ce qui explique cela?

C. : Les femmes sont effectivement plus touchées que les hommes à cause de la charge élevée du cancer du sein qui est estimé à 1 927 nouveaux cas, de celui du col de l’utérus avec 1 132 nouveaux cas et de celui du foie avec 450 nouveaux cas, selon GLOBOCAN 2020. Par contre, chez les hommes, on retient que le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent avec 997 nouveaux cas en 2020, suivi de celui du foie avec 792 nouveaux cas et celui de la vessie avec 313 nouveaux cas.

A. : Que peut-on retenir du cancer chez les enfants ?

C. : Le cancer chez les enfants est lié à des anomalies génétiques le plus souvent. Les types de cancer les plus fréquents chez l’enfant sont le lymphome (cancer du système de défense de l’organisme), le rétinoblastome (œil), le néphroblastome (rein) et les leucémies (cancer du sang). Selon GLOBOCAN, le nombre de nouveaux cas de cancer pédiatrique en 2018 au Burkina était de 633 (363 chez les garçons et 270 chez les filles) et de 118 décès liés au cancer (61 chez les garçons et 57 chez les filles).

A. : Quels sont les organes humains les plus vulnérables face au cancer ?

C. : Face à un cancer, l’ensemble des organes sont vulnérables, mais cela dépend aussi du tropisme métastatique du cancer primitif. Le plus souvent, l’organe qui souffre face à un cancer est le sang avec la diminution des éléments qui composent le sang, une diminution de la quantité d’hémoglobine, d’où l’anémie, une diminution de la quantité de plaquettes d’où des saignements incontrôlés, une diminution des cellules de défense de l’organisme, d’où la baisse de l’immunité avec des infections à répétition. On a aussi le foie, le poumon, la moelle osseuse, le cerveau et les os qui restent vulnérables devant un cancer.

A. : Quels sont les symptômes du cancer ?

C. : Les symptômes du cancer sont fonction de l’organe atteint par le cancer. Mais il y a des symptômes généraux qui peuvent alerter dont l’anémie, un amaigrissement prononcé dans un laps de temps, une fatigue générale permanente, une perte de l’appétit. Les symptômes du cancer peuvent être retrouvés dans d’autres maladies qui ne sont pas des cancers, d’où l’importance de consulter le plus rapidement possible afin de faire la part des choses.

A. : Quelles sont les facteurs de risques de la maladie ?

C. : Il existe deux grands groupes de facteurs qui favorisent la survenue d’un cancer : Il y a les facteurs exogènes qui sont modifiables, c’est-à-dire qu’on peut éviter d’être exposé à ces facteurs d’un côté et de l’autre, ceux endogènes qui sont génétiques, donc non modifiables. Pour ce qui est spécifiquement du premier groupe de facteurs, l’on retient la consommation du tabac (c’est le premier facteur carcinogène, le fumeur s’expose à presque l’ensemble des types de cancer), la consommation de l’alcool pour le cancer du foie, de l’estomac, du pancréas, de la vessie etc. A cela, s’ajoutent les expositions professionnelles à des substances chimiques dans les usines de fabrication de pneumatiques, de pesticides, d’herbicides etc. pour le cancer de la vessie, du poumon, l’exposition aux rayons ultras violet pour le cancer de la peau et l’exposition à certains virus ou bactéries comme le virus HPV, responsable du cancer du col de l’utérus et de la vulve, le virus EBV responsable du cancer du cavum, les virus de l’hépatite B et C responsables du cancer du foie, l’Helicobacter pylor qui est une bactérie qui entraine des ulcères de l’estomac puis plus tard un cancer de l’estomac. En outre, des facteurs alimentaires dont l’aflatoxine qui est une substance produite par des champignons et qui est un dépôt de moisissure sur les aliments mal conservés, les grains de riz ou de maïs mal conservés. Cette moisissure peut contenir de l’aflatoxine. Un autre facteur alimentaire qui expose au cancer est la nitrosamine alimentaire qui se trouve dans la quasi-totalité des boites de conserves, la charcuterie etc.

A. : Qu’en est-il des conséquences ?

C. : Si le diagnostic est fait précocement, le patient peut être soigné et être en rémission complète de son cancer sans conséquence. Mais si le diagnostic est tardif, même si le patient est bien traité et est en rémission complète, il peut avoir des séquelles esthétiques et ou fonctionnelles. Souvent, on peut être amené à faire une chirurgie radicale ou délabrante comme dans le cancer du sein où souvent on est obligé de sectionner tout le sein, le cancer de l’os ou des muscles où on est obligé d’amputer tout une partie du membre, le cancer du rectum où on peut fermer définitivement la sortie naturelle des selles et mettre une pochette pour les évacuer.

A. : Quels sont les traitements appropriés de nos jours ?

C. : Le traitement du cancer est spécifique à chaque organe et est fonction du type de cellule qui est en cause. De façon générale, les moyens dont on dispose pour traiter un cancer sont la chimiothérapie, l’hormonothérapie, la thérapie ciblée, l’immunothérapie, la chirurgie et la radiothérapie.

A. : Comment se fait le choix d’un traitement de la maladie?

C. : Les différents moyens de traitement sont complémentaires. C’est pour cette raison que le traitement du cancer est multidisciplinaire. Le choix des moyens de traitement est basé sur le type de cancer, le niveau d’extension, l’âge du patient et les comorbidités du patient. La définition du projet thérapeutique, c’est-à-dire le choix des moyens de traitement et leur ordre d’administration, se fait lors d’une réunion entre les différents médecins qui sont concernés par la prise en charge du patient. Cette réunion est dite RCP (Réunion de Concertation pluridisciplinaire). Normalement, un médecin à lui seul ne devrait pas définir la prise en charge d’un patient porteur de cancer.

A. : Quelle est la place de la radiothérapie dans le traitement des cancers ?

Le Centre de radiothérapie du CHU de Bogodogo rencontrerait des difficultés de fonctionnement, selon certaines sources.

C. : La radiothérapie occupe une place importante dans l’arsenal thérapeutique des cancers. Son avènement a permis de révolutionner le traitement des cancers. La radiothérapie est obligatoire dans deux cancers sur trois à but curatif. En situation métastatique, elle garde sa place dans la quasi-totalité des cancers à un moment du traitement. C’est grâce à la radiothérapie qu’on peut traiter le cancer du sein sans amputer tout le sein lors de la chirurgie. De nos jours, avec les nouvelles techniques de radiothérapie il y a des cancers qui sont totalement curables par la radiothérapie tels que le cancer du col de l’utérus, du cavum, de l’anus, de la vulve, de la prostate et de la vessie etc. On ne peut donc pas prendre en charge de façon optimale un cancer sans la radiothérapie à l’exception du cancer des ovaires et des testicules.

A. : Quelle est la différence entre la radiothérapie et la radiologie ?

C. : Ce sont toutes deux spécialités médicales. Dans notre jargon, on dira que la radiothérapie est une spécialité clinique tandis que la radiologie est une spécialité paraclinique. La radiothérapie est une discipline qui utilise les rayonnements pour traiter les cancers tandis que la radiologie utilise les rayonnements pour diagnostiquer les maladies. Et le Burkina Faso totalise à ce jour, cinq radiothérapeutes et douze en cours de spécialisation.

A. : Où peut-on avoir la radiothérapie au Burkina Faso ?

C. : A ce jour, il y a un centre de radiothérapie jouxtant le CHU de Bogodogo à Ouagadougou qui a été inauguré il y a plus d’une année. Ce centre a fonctionné pendant quelques mois mais est en arrêt actuellement, selon les dernières informations. C’est un centre qui n’a pas de statut jusqu’à ce jour. Il y a un deuxième centre en phase de finition au CHU de Tengandogo et un autre en construction sur le site du CMA de Dafra à Bobo-Dioulasso. En somme, il n’y a pas de centre de radiothérapie fonctionnel au Burkina à ce jour.

A. : Qu’est-ce qui empêche le fonctionnement du centre de radiothérapie jouxtant le CHU de Bogodogo ?

C. : N’étant pas un praticien de ce centre, nous ne pouvons pas dire avec exactitude la difficulté technique et ou organisationnelle que rencontre ce centre. Tout de même, il est clair qu’un centre qui n’a pas de statut aura des difficultés dans la gestion du personnel et aussi dans la maintenance curative et préventive des installations. Les machines de radiothérapie sont pourtant des équipements très sensibles.

A. : Quel est le coût moyen de la prise en charge d’un cancer ?

C. : Le coût de la prise en charge varie en fonction du type de cancer et du niveau d’avancement de la maladie. Ainsi, pour un cancer du sein qui n’est pas avancé et qui doit être traité en six ou huit séances de chimiothérapie puis par la chirurgie, la radiothérapie et l’hormonothérapie, il faut en moyenne quatre à cinq millions francs CFA.

A. : Quel appel à l’endroit du politique et des populations ?

C. : A l’ endroit de la population, c’est d’observer les mesures de prévention en adoptant une bonne hygiène de vie et une alimentation saine. Et devant une suspicion de cancer, il faut rapidement consulter un médecin car un diagnostic précoce est un facteur de bon pronostic. Comme mesures de prévention à observer par la population, c’est d’éviter la consommation du tabac et de l’alcool, d’adopter la pratique régulière du sport afin d’éviter le surpoids et la sédentarité et d’éviter la consommation excessive de la viande rouge. Il faut se départir également de la consommation de la graisse animale, des bouillons culinaires, des conserves, des fastfoods, etc. Il faut, par ailleurs, éviter de manipuler les pesticides et herbicides sans protection adéquate, se faire dépister précocement de l’hépatite et se faire vacciner éventuellement et faire vacciner les jeunes filles avant la puberté contre le virus HPV qui est responsable du cancer du col de l’utérus.

Dr Ismaël Coulibaly s’inquiète de l’expansion des cancers au Burkina Faso.

A l’endroit de l’autorité, les doléances sont d’ordre organisationnel pour rendre accessible les soins des cancers. Il s’agit de rendre disponible certaines molécules de chimiothérapie, la thérapie ciblée surtout les antihormonaux et anti Her2, etc. Il s’agit également d’opérationnaliser les centres de radiothérapie, de rendre disponible l’immunohistochimie, rendre disponibles et accessibles les examens d’imagerie de diagnostic ainsi que les examens isotopiques. Il faut également trouver un mécanisme de subvention des soins de cancers afin de rendre l’accès équitable car le traitement du cancer est très coûteux et n’est pas à la portée du citoyen moyen.

                                                      Entretien réalisé par

                                                                                                 Rabiatou SIMPORE                                                                                                        rabysimpore@yahoo.fr