Barrage hydro-agricole de Niou : le PMVEC accuse, l’entreprise se défend

Martin Sawadogo, DG CTG Burkina, dénonce la résiliation de son contrat.

Le barrage de Niou dans le Kourwéogo devrait être inauguré courant 2020. Mais à la surprise générale, le groupement d’entreprises Contrôle et travaux du génie (CTG), attributaire du marché qui se chiffre à près de 2 milliards FCFA, n’a pas pu livrer l’ouvrage dans le délai imparti pour des raisons financières et matérielles. Le Projet de mobilisation et de valorisation des eaux de surface dans le Plateau central (PMVEC) qui assure la maîtrise d’ouvrage a finalement décidé de résilier le contrat.

Lancés le 3 décembre 2018 pour un délai de 14 mois hors saison des pluies, les travaux de construction du barrage de Niou dans le Kourwéogo, à l’arrêt depuis 2020, ont repris en novembre 2022. D’un coût de 1 898 533 329 FCFA, le barrage aura une capacité de 1 267 000 m3 d’eau et un périmètre irrigué en aval de 42,80 hectares avec une superficie du bassin versant de 24,24 km2.

Au terme des travaux, le périmètre irrigué pourrra accueillir environ 200 exploitants qui pourront produire annuellement 215 tonnes de riz et 1000 tonnes de produits maraîchers.Il est aussi prévu l’empoissonnement du plan d’eau et l’aménagement d’un étang piscicole. La mise en œuvre de ce projet rencontre cependant d’énormes difficultés se rapportant à l’incompétence de l’entreprise et aux impairs de l’administration.

En effet, le groupement d’entreprises Contrôle et travaux du génie (CTG) Burkina Faso/CTG Côte d’Ivoire, recruté sur appel d’offres, devrait livrer l’ouvrage courant 2020. Au bout du compte, elle n’a pas pu respecter ce délai. Face à cette incapacité à assurer les travaux, le Projet de mobilisation et de valorisation des eaux de surface dans le Plateau central (PMVEC) qui assure la maîtrise d’ouvrage a finalement décidé de lui retirer le marché. Mais l’entreprise ne saurait endosser seule la responsabilité de cet échec.

Le PMVEC a aussi sa part de responsabilité. Le manque de rigueur dans la mise en œuvre du projet pourrait également expliquer ce gros retard. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Retour en 2020, année prévue pour l’inauguration de l’ouvrage. Le PMVEC a organisé, le 17 novembre 2020, une mission conjointe de supervision des travaux du barrage afin de permettre aux différents partenaires d’apprécier le niveau de réalisation physique des travaux.

Au cours de cette sortie, la délégation constate avec stupéfaction que les travaux sont à l’arrêt. Le matériel de l’entreprise et le personnel sont également aux abonnés absents. Après 104% de temps consommé, le taux global de réalisation était de 22% dont 35% pour le barrage et 5% pour le périmètre irrigué. De ce constat amer, rien de plus normal que la mission de supervision demande des comptes à l’entreprise.

Les deux parties s’accusent

Les travaux de construction de la digue se poursuivent.

Martin Sawadogo, Directeur général (DG) de CTG Burkina, justifiait cette situation par un retard pris dans l’obtention de l’avance de démarrage, un changement de domiciliation bancaire préjudiciable, la pandémie de la COVID-19. Eplications qui ne tiennent visiblement pas la route selon le coordonnateur du PMVEC, Boukari Compaoré. Le retard leur est plutôt imputable, de son avis. Et pour cause, poursuit-il, l’entreprise a fourni des documents incomplets pour le décaissement.

La mission de supervision avait en outre indexé le Cabinet d’études techniques et recherches en ingénierie (CETRI), chargé du contrôle des travaux. « On ne sent pas une pression de sa part sur l’entreprise », déplorait M. Compaoré. A la fin de la visite du chantier, la mission de supervision avait sommé le groupement d’entreprises CTG de remobiliser le matériel et le personnel dans les 72 heures qui suivent c’est-à-dire au plus tard le 20 novembre pour la reprise des travaux. Une requête restée sans suite. De novembre 2020 à octobre 2022, le projet est resté en veille. Les travaux ont repris en novembre 2022 par l’entreprise Avenir CED, recrutée pour la circonstance en vue de parachever les travaux.

Elle doit livrer l’ouvrage dans un délai de 6 mois c’est-à-dire au plus tard en avril 2023. Pendant ce temps,CTG Burkina tente de s’expliquer. Martin Sawadogo dit reconnaître sa part de responsabilité. Il veut que le PMVEC accepte à son tour d’assumer la sienne, tant et si bien que les responsabilités sont partagées. En ce qui concerne l’avance de démarrage, il persiste et signe que le PMVEC a violé les textes régissant le fonctionnement des marchés publics. « Ils ont trainé pendant 12 mois avant de me payer », déplore-t-il.

Que disent les textes en la matière ? L’article 151 du decret portant règlementation générale des marchés publics et des délégations de service publique stipule : « L’autorité contractante ou son représentant est tenue de procéder au paiement des avances dans un délai qui ne peut dépasser quarante- cinq jours (45) jours calendaires ». Pourquoi le PMVEC a-t-il mis suffisamment du temps avant de débloquer l’avance de démarrage ? L’argument selon lequel l’entreprise a apporté des documents incomplets peut-il à lui seul justifier ce gros retard ?

Des échanges avec les responsables du PMVEC le 6 décembre 2022, il est ressorti que les travaux ont effectivement connu un début difficile. Martin sawadogo rapporte que dans son mémoire en défense, le PMVEC affirme qu’il n’avait pas fini d’évacuer les Populations affectées par le projet (PAP). Ainsi, fait-il observer, le délai a commencé à courir pendant que sur le terrain, il n’était pas possible d’entamer les travaux. « Les textes disent qu’en pareille circonstance, l’entreprise devait être informée à l’avance. On ne devrait pas ordonner le démarrage des travaux si tous ces préalables n’étaient pas réglés. Ils nous ont mis devant le fait accompli», récrimine-t-il.

De la résiliation du contrat

Sayouba Ilboudo, directeur provincial en charge de l’agriculture, plaide pour l’accélération des travaux au profit des exploitants agricoles.

De la résiliation du contrat Qu’en est-il du changement de domiciliation bancaire préjudiciable dont fait cas le directeur général de l’entreprise CTG ? Sur ce point précis, Martin Sawadogo laisse entendre que son espoir reposait sur des offres à lui faites par la Société générale Burkina Faso (SGBF) jusqu’à ce qu’il se rende compte que les conditions ne sont pas à son avantage.

En quête d’argent pour financer les travaux, il demande un avenant pour changer de banque. Avec l’accord de l’administration, il quitte la SGBF au profit de Coris Bank. Et c’est au cours de cette procédure (4 mois environ) qu’intervient la résiliation de son contrat. Il entreprend des démarches auprès du ministre en charge de l’eau, Ousmane Nacro, mais le sort du groupement d’entreprises était déjà scellé. « Je l’ai supplié de m’accorder un délai supplémentaire de 12 mois, c’est-à-dire jusqu’en avril 2023, pour terminer les travaux, mais il a refusé.

Je lui ai expliqué que le groupement CTG avait obtenu les fonds en Côte d’Ivoire, avec documents à l’appui, mais rien n’y fit », regrette Martin Sawadogo. Il diggère mal cette situation, arguant que le groupement est plutôt victime d’un acharnement. « Au-delà des raisons avancées, il y a probablement des intentions inavouées. Je ne porte pas un jugement sur qui que ce soit, je m’en tiens aux faits », note-t-il.

Pour étayer davantage ses propos, il revient sur une rencontre qui a eu lieu entre le ministre Nacro et les responsables d’entreprises qui ont des marchés en souffrance dans son département. Rencontre au cours de laquelle, déplore-t-il, les participants ont eu droit à la parole, sauf ceux de l’entreprise CTG à qui elle a été refusée. « C’est le lendemain de cette réunion que j’ai reçu la lettre de résiliation », informe le DG de CTG-BF.

Pourquoi après avoir autorisé le changement de domiciliation bancaire, le PMVEC rompt le contrat au cours de la procédure ? Nous aurions voulu poser la question au coordonnateur du projet qui a été contacté le 19 janvier 2023. Sous prétexte qu’il a un calendrier chargé, il avait promis de nous recontacter la semaine suivante. Mais jusqu’à ce que nous bouclions cet article, il n’a pas réagi.

Dès la réception de la décision de résiliation du contrat, Martin Sawadogo affirme avoir exigé la poursuite de l’évaluation contradictoire, jadis suspendue en raison d’un désaccord sur certains points. Or cette procédure devrait permettre aux différentes parties de s’entendre sur le montant du dédommagement de l’entreprise CTG. M. Sawadogo cite un des points non consensuels relatif à la facturation du sable collecté à la frontière du Ghana.

« Ils ont exigé que j’utilise le sable de Dakola à la frontière du Burkina-Ghana pour construire le barrage ; ce n’était pas compris dans le contrat et ce n’était même pas nécessaire, vu que c’est un petit ouvrage. J’ai exécuté les travaux et j’ai facturé le service. Au moment de l’évaluation, les responsables du projet estiment que c’est trop cher. Ce n’est pas un coût que j’ai inventé, c’est quelque chose qui est déjà dans le marché », détaille M. Sawadogo.

Jusqu’à ce jour, souligne-t-il, cette évaluation contradictoire qui recommande la présence de toutes les parties prenantes du projet n’est pas réalisée. C’est donc avec étonnement, avoue-t-il, qu’il reçoit un document du PMVEC sur lequel est écrit « évaluation contradictoire », approuvé et signé des autres différentes parties, excepté le groupement d’entreprises. Pour une activité qui devrait requérir la présence de toutes les parties, cette démarche des responsables du projet lui paraît suspecte.« Je leur ai demandé par quelle alchimie ils ont réalisé cette évaluation contradictoire sans que nous ne soyons associés ? », soutient-il. Par conséquent, il refusa de signer le document.

A chacun son évaluation

Le déversoir est en chantier.

L’évaluation contradictoire n’étant faite, il est difficile de déterminer un montant qui puisse satisfaire toutes les parties. Et c’est à ce niveau que les choses se compliquent. Chacun s’est vu obligé de réaliser sa propre évaluation. Le bureau de contrôle a soumis son document au groupement d’entreprises qui l’a aussitôt rejetté. En faisant évaluer les travaux déjà réalisés par un huissier de justice, l’entreprise CTG fixe le montant de son dédommagement à 600 millions FCFA.

Chose que le PMVEC balaie du revers de la main en lui proposant une compensation de 30 millions FCFA. « Je compte écrire au nouveau ministre en charge de l’eau pour qu’il essaie de nous concilier », martèle-t-il. Au cas échéant, le DG de CTG n’exclut pas de saisir, en dernier recours, l’Autorité de régulation de la commande publique (ARCOP). « Si l’ARCOP ne parvient pas à nous concilier, nous nous déporterons devant les tribunaux administratifs », tranche Martin Sawadogo.

A l’évidence, l’entreprise ne dispose de moyens matériels et financiers à même d’exécuter correctement les travaux. Ce constat, la population riveraine l’a également fait à travers son rôle de veille citoyenne. Adama Ouédraogo, président du Conseil villageois de développement (CVD) de Zéguédéghin, un des quartiers dont relève le barrage, indique que l’entreprise loue du matériel défectueux qui tombe régulièrement en panne. « Nous avons attiré l’attention des responsables du projet sur cet état de fait et ils ont relevé que l’entreprise était incompétente », souligne-t-il.

Tinga Robert Ouédraogo, CVD de Zitenga, témoigne : «On sait qu’un bulldozer travaille par heure. Si l’entrepreneur n’arrive pas à payer les frais de location, naturellement le propriétaire va reprendre son matériel ». Quatre (4) années de travaux et toujours pas de barrage. La colère est perceptible chez certains habitants. « Qui lui a attribué le marché même ? », s’emporte Tinga Robert Ouédraogo, l’air furieux.

Il faut noter que le PMVEC intervient dans deux provinces du Plateau central par la construction de cinq barrages. Outre celui de Niou dans le Kourwéogo, quatre autres ont été construits dans le Ganzourgou plus précisément à Wéotenga, Taba, Pougma et Kouldisgou. Les travaux ont été exécutés par deux entreprises qui ont décroché chacune deux marchés.

Le projet compte également réaliser l’aménagement de 195,3 ha en aval desdits barrages. L’objectif global du PMVEC est de contribuer à une croissance soutenue du secteur rural dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, du renforcement de la sécurité alimentaire et de la promotion d’un développement durable. Le coût total du projet est évalué à 11,256 milliards FCFA hors taxes dont 10 milliards FCFA par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), 1,127 milliard FCFA par l’Etat burkinabè et 129 millions FCFA par les institutions de micro-finance.

A notre passage sur le chantier le 12 décembre 2022, un bulldozer vrombissait sans cesse au pied d’une digue en cours de construction, des camions bennes chargés de terre se relayaient sur le site. L’espoir est donc permis avec la nouvelle entreprise qui s’active à livrer l’ouvrage dans les meilleurs délais.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

Omichel20@gmail.com