Pisciculture dans le Zoundwéogo : un secteur encore balbutiant

La pisciculture en bacs hors-sol n’est toujours pas développée dans le Zoundwéogo.

La pisciculture ne se porte pas bien dans la province du Zoundwéogo. Des facteurs tels que le manque d’eau et d’aliment ont occasionné une baisse, voire un arrêt de production dans certaines unités piscicoles. Désemparés, des producteurs sont contraints au chômage technique en attendant la reprise normale de leurs activités.

Au secteur 3 de Manga, dans la province du Zoundwéogo, région du Centre-Sud, la ferme d’écloserie et d’alevinage de Jules Bouda fascine les visiteurs. Un forage muni de pompe submersible et d’un polytank, une dizaine de bacs en hors-sol et autant de petits polytanks découpés sous forme de bassines, des bâches de couleur bleue, des siphons…, sont les équipements qu’on trouve dans cet établissement d’écloserie et de pré-grossissement. Dans les bacs remplis d’eau, des milliers d’alevins nagent dans tous les sens et s’agglutinent au moindre jet d’aliment.

Le type de poisson qui y est produit est le poisson-chat africain, communément appelé silure. Environ 2 000 alevins peuplent chaque bac dont le volume est de 1,5 mètre cube (m3), aux dires de Sévérin Sawadogo, le technicien de la ferme. Ces bacs sont couverts de bâches dans le but de protéger les jeunes silures de la lumière et d’éviter le développement des phytoplanctons ou algues. Produire des alevins et les mettre à la disposition de ceux chargés du grossissement est un métier passionnant pour lui.

Depuis cinq ans, il s’y attelle avec amour et dévouement. L’équipement utilisé pour son activité est tout aussi spécifique, étant donné qu’il s’agit d’une écloserie. A cet effet, une plateforme de dégazage est installée. Selon les explications du technicien, l’eau du forage étant souterraine et ayant traversé des roches, celle-ci contient des substances qui ne sont pas favorables à l’élevage du poisson. La plateforme, à l’entendre, permet donc aux différents gaz de se dégager et à l’eau de s’oxygéner pour garantir une bonne santé aux alevins. Cette eau est renouvelée en permanence.

Par contre, souligne M. Sawadogo, les unités d’élevage des poissons adultes n’ont pas besoin de ce système d’oxygénation. Dans de gros récipients, des géniteurs (poissons reproducteurs) sont soigneusement gardés. Leur poids oscille entre 4 et 5 kilogrammes (kg). Eux, ils reçoivent l’eau directement du forage sans traitement. Dans ces bacs, on observe un développement naturel de phytoplanctons qui confèrent une couleur verdâtre à l’eau et favorisent son oxygénation. De l’avis du technicien, l’activité est noble mais les difficultés sont nombreuses.

La cherté et le manque d’aliment pour le poisson, les pénuries fréquentes d’eau sont, entre autres, les soucis majeurs qui hantent bon nombre de pisciculteurs dans la province. Sévérin Sawadogo rappelle qu’après la fermeture de l’unité de production d’aliment de Bagré, dans le Centre-Est, le Burkina Faso n’en dispose plus.

Le manque d’aliment, un véritable casse-tête

Pour le moment, sa ferme importe l’aliment des alevins exclusivement d’Europe. Il en est de même pour les géniteurs qui sont importés du Bénin. Toutefois, reconnait Sévérin, l’alevinage est bien rentable. Sa ferme ne connait pas de mévente parce qu’elle livre dans tous les coins du pays. Ce mardi 13 décembre 2022, il ne reste plus rien de la cohorte d’alevins produite.

La femme est reconnue pour son assiduité au travail mais
elle ne dispose pas de sa propre terre.

Seuls 6 000 alevins sur plus de 20 000 au départ sont encore dans les bacs. Là également, il s’agit d’une commande de trois clients qui attend d’être livrée. Les sujets dont la taille varie entre 10 et 15 grammes (g) sont vendus à 150 F CFA l’unité. Nonobstant l’implantation de cette écloserie, la production piscicole dans le Zoundwéogo est toujours au stade embryonnaire. On y trouve très peu de pisciculteurs.

Les unités existantes sont aussi confrontées à des difficultés de tout ordre qui pèsent sur leurs rendements. Etabli au secteur 2 de Manga, Lambert Nakoulma est presque le seul pisciculteur de la commune, l’écloserie ne pratiquant pas le grossissement de poisson. Il fait d’ailleurs partie des fidèles clients de cette unité pour ses provisions d’alevins. Avant, il lançait ses commandes auprès des pêcheurs qui travaillent dans les différents barrages. Mais, par la suite, la donne a changé avec l’avènement de l’écloserie.

Dans ce mois de décembre 2022, les activités piscicoles de M. Nakoulma sont à l’arrêt. Pas une goutte d’eau dans ses bacs, encore moins du poisson. De ses explications, il ressort que cette suspension de travail est due à des fissures constatées dans ses bassins et à une faible quantité d’eau dans la nappe phréatique. Dans sa ferme, le constat est amer. Trois bacs en ciment fendillés et désespérément vides, des plantes de tangelo aux feuilles fanées et aux fruits jaunis, un puits presque tari et un forage qui peine à ravitailler un polytank, témoignent de l’ampleur du désarroi.

En attendant la réfection des bacs et le retour du « liquide précieux », le pisciculteur est contraint au chômage technique. Toutefois, Lambert dit ne pas baisser les bras. Il met les bouchées doubles pour que son activité puisse reprendre de sitôt. Ce passionné de pisciculture raconte comment il y est arrivé en 2015. « Tout est parti du creusage de mon puits pour le maraichage.

J’y ai introduit deux silures, mâle et femelle, et quelques mois après, ils ont grossi sans que je ne leur donne le moindre aliment. Cela m’a donné l’idée de faire la pisciculture », se remémore-t-il. Grâce aux formations reçues et avec ses trois bassins de 33 m3 chacun, M. Nakoulma est devenu une référence dans le domaine piscicole à Manga. Quand son activité battait son plein, il plaçait 500 alevins de silure ou de tilapia dans chaque auge pour récolter 4,5, voire 5 tonnes de poisson en l’espace de six mois.

Avec 2 000 F CFA le kilogramme à la vente, Lambert engrangeait un gain annuel consistant. « Si je dévoile mes bénéfices, beaucoup seront tentés par la pisciculture », se contente-t-il de plaisanter. Il n’oublie pas non plus les avantages parallèles à l’élevage des poissons. Les eaux usées évacuées des bassins constituent un fertilisant naturel pour le maraichage. L’aliment pour le poisson est aussi au centre des préoccupations de Lambert Nakoulma qui préfère commander le sien au Ghana.

Une concurrence déloyale

A Gon-Boussougou, à une cinquantaine de kilomètres de Manga, seules deux personnes sont dans l’aquaculture. Michel Maré dit Yabao et Hervé Ibrahim Maré sont les figures de proue dans cette commune. Yabao qui a débuté cette activité il y a deux ans s’en sort tant bien que mal. Dès l’entrée de son unité, un forage muni de polytank et une forêt de papayers se distinguent par leur taille imposante. Sur ce site d’un demi-hectare environ, l’élevage des poissons est couplé à la culture irriguée.

A proximité des bassins, poussent pêle-mêle des choux, des aubergines, du maïs, des bananiers et des arbres fruitiers. Dans un large étang de 400 m3, le propriétaire apporte à manger à la population de tilapias. Il jette quelques poignées de farine de maïs dans l’eau. Mais, la majorité des carpes reste muette face à cette nourriture dont la qualité laisse à désirer. C’est pourtant le palliatif trouvé par M. Maré en attendant l’aliment adapté qui devrait arriver du Ghana.

Yabao reconnait que la pisciculture est une activité lucrative mais le problème majeur demeure le manque d’aliment, de même que sa cherté. A l’en croire, le sac de 50 kg d’aliment se négocie à 17 000 F CFA sur le marché. A cela, s’ajoute une concurrence

Faute d’aliment, c’est la farine de maïs que Michel Maré
de Gon-boussougou utilise pour soulager ses poissons.

déloyale entretenue par ceux qui pêchent directement le poisson dans les barrages. « Nous proposons le kg de poisson à 2 000 F CFA aux revendeurs et aux transformatrices. Alors que les pêcheurs le cèdent à 1 250 F CFA parce qu’ils n’ont fait aucune dépense. C’est pourquoi, nous subissons une mévente qui nous oblige à revoir notre prix à 1 500 F CFA », s’indigne Yabao.

En ce qui concerne ses alevins de tilapia, il les reproduit sur place tandis que les silures sont commandés du Ghana. Contrairement à Yabao, Ibrahim utilise l’eau du milieu naturel pour élever ses carpes et ce, depuis 2017. Au milieu des rochers, à la périphérie-ouest de Gon-Boussougou, une digue d’environ 3 m de haut permet la rétention d’eau pour alimenter les étangs piscicoles. Mais pour l’instant, celui qui dit avoir embrassé le métier par amour est en arrêt total d’activités, à la suite d’un problème d’étanchéité constaté sur la digue. En attendant, ce sont les animaux qui profitent de l’eau de ses bassins pour étancher leur soif.

La reprise de sa production, il la prévoit dans huit mois, à la fin des travaux de réhabilitation qui s’exécutent par à-coups. « D’ici à mi-août 2023, si tout va bien, je vais reprendre l’élevage des poissons », espère Ibrahim Maré. Autre lieu, mêmes réalités. A Bion, dans la commune de Nobéré, un groupement d’hommes et de femmes s’active dans l’élevage des tilapias principalement. Le groupement Relwendé dirigé par Issaka Kabré y exerce depuis plus de sept ans. Au départ, relate-t-il, chacun des membres pratiquait la pisciculture de façon artisanale au bord de l’ouvrage hydraulique du village. Grâce au soutien de bonnes volontés, l’association exploite de nos jours neuf étangs piscicoles modernes dont deux leur ont été rétrocédés.

12t de poisson sur un besoin de 21 000t

Sur leur site de production, à un jet de pierre du barrage, de larges bassins incrustés dans le sol sont alignés. Une partie seulement de l’unité est protégée par un grillage.

Ce qui occasionne des agressions tous azimuts du site. Une équipe de veille est constituée, à cet effet, pour dissuader les voleurs, les animaux domestiques qui détruisent les installations en voulant s’abreuver mais aussi les caïmans du barrage qui s’introduisent frauduleusement dans les étangs pour dévorer les poissons. Actuellement, les activités du groupement sont au ralenti. La machine est grippée non pas par manque d’eau mais d’aliment surtout. Selon le président Kabré, cela fait un an environ que le poisson n’a plus été pêché dans les bassins, alors qu’il devrait l’être chaque six mois.

La raison fondamentale, avance-t-il, est une rupture fréquente d’aliment qui ne favorise pas une bonne croissance du poisson. Alertés par le groupement, les responsables de l’établissement piscicole, dont M. Kabré a tu les noms, n’ont pas pu faire grand-chose. A ce qu’il dit, depuis un mois, il y a eu une rupture totale d’aliment, alors que les poissons devraient être nourris deux fois par jour. « Les poissons font pitié. Chaque fois, nous appelons les responsables mais rien.

Nous n’avons pas non plus les moyens pour acheter l’aliment », se désole le président du

Grâce à l’oignon, les maraîchères arrivent à joindre les deux bouts.

groupement Relwendé. C’est avec le cœur meurtri que les pisciculteurs de Bion constatent chaque jour des poissons morts aux abords de leurs étangs. Une grosse perte pour eux. Pour le moment, c’est la farine de maïs qui est utilisée pour sauver l’essentiel. Pourtant, souligne l’ex-président du groupement, Souleymane Kabré, cet aliment n’est pas adapté pour bien nourrir le poisson. « Nous n’avons pas le choix que de faire avec », se résigne-t-il. Au constat, la pisciculture dans le Zoundwéogo est encore balbutiante.

Dans ce mois de décembre 2022, seuls deux sites de grossissement sur les quatre et une écloserie sont fonctionnels. Selon le Directeur provincial (DP) en charge des ressources animales et halieutiques du Zoundwéogo, Hamyabidi Pierre Claver Yonli, les besoins des populations de sa zone sont estimés à 21 219 tonnes de poisson par an. Dans le même temps, indique-t-il, la quantité de poisson produite par la pisciculture est en moyenne de 10 à 12 tonnes. Cette année, elle s’établit à 10,24 tonnes.

Ce qui est bien loin de satisfaire la demande des consommateurs. Malgré tout, soutient le conseiller d’élevage, la pisciculture offre des avantages multiples parmi lesquels la création d’emplois pour les jeunes, la disponibilité de poisson de qualité en toute saison et la réduction des fuites de capitaux occasionnées par l’importation massive de poisson.

Mady KABRE