L’évolution technologique permet désormais de circuler à motocyclette sans jamais faire un tour dans une station d’essence, ni acheter d’huile de vidange encore moins dégager de la fumée. Immersion dans l’univers de ces engins à deux roues électriques, protecteurs de l’environnement et pouvant contribuer à la création de villes vertes.
Il n’aura pas fallu plus de 5 minutes de discussion à Abdoul Razack Kaboré avec un agent commercial pour prendre sa décision : celle d’acheter une motocyclette scooter électrique. « Ce qui m’a surtout convaincu, c’est la possibilité de la recharger chez moi et le coût de la recharge. Le commercial m’a rassuré que moins de 200 F CFA d’électricité me donne la possibilité de rouler sur 75 km. J’ai tout de suite versé un acompte de 275 000 F CFA et quelques jours plus tard, je suis revenu solder les 150 000 F CFA restants avant de récupérer ma moto », raconte-t-il. Six mois après, M. Kaboré ne regrette pas d’avoir déboursé 425 000 F CFA pour acheter une moto électrique. Au contraire, il ne voit que des avantages liés à sa nouvelle monture. « Je l’utilise surtout pour les courses de l’entreprise et parfois ma femme l’emprunte pour déposer notre fille à l’école.
Je la recharge 3 fois par semaine et ma consommation d’électricité n’a véritablement pas augmenté. Je paie tout au plus 2 400 F CFA d’unités de plus par mois. Avec cette somme, je peux juste avoir un peu plus de 2,5 litres d’essence et cela ne pouvait pas couvrir mes déplacements mensuels », se réjouit-il. Sceptique au départ quant aux capacités de la routière électrique que son ami voulait lui vendre, Cédric Ouédraogo en est désormais un « ambassadeur ». « La moto électrique, il faut l’expérimenter pour comprendre. C’est vraiment spécial. J’ai pris deux motos routières avec une autonomie de 100 km pour les courses de l’entreprise. Je ne sais pas si c’est parce que nous la mettons en charge le soir et le matin, elle est déjà prête à rouler qu’on oublie que c’est aussi de l’argent, mais véritablement, je ne dépense pas grand-chose », témoigne-t-il de son expérience entamée depuis six mois.
Réduire sa facture
Au Burkina, le prix du kilowatt-heure (kWh) pour les ménages varie entre 75 et 128 F CFA en fonction des tranches de consommation. Vu que pour chaque recharge, il faut compter 2,5 kWh, selon le patron d’Itaoua service international, un des concessionnaires de motos électriques à Ouagadougou, Abdoul Kader Bougouma. Cela revient entre 187 et 345 F CFA d’électricité pour parcourir entre 75 et 100 km, alors qu’il faut débourser 2 125 F CFA pour la même distance avec une moto à essence (ndlr :la consommation moyenne est de 2 litres aux 100 km, selon les données sur plusieurs sites dédiés aux amateurs de motos). Au-delà du gain comparativement aux motos à essence, Baba Ahmed Coulibaly, un utilisateur, a été séduit par le caractère respectueux de l’environnement de ce mode de transport. « L’environnement n’est pas toujours au premier plan. Pourtant, la moto électrique semble déjà avoir un avantage parce qu’elle ne dégage pas de fumée ni de bruit. Et en plus, il n’y a pas de vidange à faire. C’est beaucoup plus propre », confie-t-il. Baba Ahmed Coulibaly ne croit pas si bien dire. Selon le chargé de recherche à l’Institut de recherche en sciences appliquées et technologies (IRSAT), Kayaba Haro, l’utilisation des motos électriques est une solution pour réduire la pollution de l’air extérieur liée à l’utilisation des engins à deux roues. « Le fonctionnement du moteur électrique supprime l’émission des dioxydes de soufre et d’azote qui sont des polluants libérés par la combustion du carburant dans les moteurs thermiques », précise-t-il. En faisant le choix de la mobilité électrique, les usagers prennent, sans s’en rendre forcément compte, une option sérieuse de réduire les émissions de gaz à effet de serre par les motos qui roulent à l’essence, foi du chargé de recherche.
Plusieurs atouts
Les modèles proposés par les concessionnaires qui sont dans ce créneau sont dans l’air du temps. Selon son goût, on peut acquérir soit une moto scooter ou une routière, en passant par le type Aloba. L’un d’eux offre même la possibilité d’acheter une seconde batterie pour les utilisateurs qui souhaitent avoir encore plus d’autonomie. Quant aux prix d’achat, ils semblent abordables au premier abord. Sur le marché actuellement, les motos électriques se négocient entre 250 000 et 750 000 F CFA, avec une autonomie variant entre 60 et 100 km. Pour la recharge, il suffit de brancher la moto sur une prise classique du réseau de la SONABEL ou des plaques solaires. Les motos sont équipées de batteries lithium à 36 volts/30Am. Sur le plan international, il est de plus en plus question de transition énergétique juste. « La justesse se situe déjà au niveau du fait que nous sommes pollueurs et acteurs de la pollution dans d’autres contrées. Si on veut aller à une transition juste, il faut que l’on mette l’accent sur les questions d’énergies propres. Avoir des véhicules électriques qui fonctionnent sur le photovoltaïque avec d’autres sources alternatives, ce sera vraiment avoir une longueur d’avance. Ce n’est pas un luxe. On n’a pas le choix que d’aller vers des options qui vont nous permettre d’assurer le développement durable », renchérit le secrétaire permanent du Conseil national du développement durable. Fatima Aroyo Aroyo et deux autres experts de la Banque mondiale jugent que dans les conditions énergétiques actuelles, si 70 % des motos et tricycles circulant à Ouagadougou marchent à l’énergie électrique, elles consommeraient 82% de la production totale d’électricité au Burkina.
Des émissions en hausse
Le directeur général de l’énergie le reconnait à demi-mots, puisqu’il soutient que le Burkina s’active pour réunir toutes les conditions pour une transition énergétique dans le secteur du transport. Pour lui, l’adoption, le 6 septembre 2023 par le conseil des ministres, du décret portant fixation des conditions de délivrance de l’autorisation d’installation et d’exploitation des stations de recharge pour véhicules électriques donne déjà le ton pour accélérer la vulgarisation des véhicules électriques. Au Burkina, les émissions nationales de Gaz à effet de serre (GES) sont en hausse depuis 1995, selon le ministère de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement. Elles sont passées de 36 648 à plus de 66 000 gigagrammes en 2015, soit une augmentation de 80%, selon l’Inventaire national des GES 2021, rapporté par la Contribution déterminée au niveau national (CDN 2021-2025). Le secteur de l’énergie est le deuxième plus grand pollueur après celui de l’agriculture et autres utilisations des terres. Ses émissions de GES sont passées de 1 115,45 gigagrammes en 1995 à 4 035,42 gigagrammes en 2015, précise le CDN. Le Secrétaire permanent du Conseil national du développement durable, Pamoussa Ouédraogo, assure que le secteur des transports occupe une place importante dans la tendance haussière des GES au pays des Hommes intègres. Dans un article publié en 2022, Vincent Zoma et alliés ont révélé que pour la seule ville de Ouagadougou, affectueusement appelée capitale des deux roues en Afrique de l’Ouest, 91,4% des familles possèdent des moyens de déplacement à deux roues, dont 79,4% sont motorisés.
Dr Haro soutient que de nombreuses études scientifiques menées sur la ville de Ouagadougou et même étendues à l’échelle nationale, ont montré que la pollution de l’air a pour source majeure les engins à deux roues. Fatima Aroyo Aroyo et ses collègues de la Banque mondiale estiment que les motos et taxis-motos qui fonctionnent avec un moteur à combustion interne contribuent à plus de 50% aux émissions totales de CO2 des véhicules et à 60% des polluants atmosphériques nocifs émis par les véhicules à Ouagadougou. Une situation qui, estime-t-il, n’est pas sans conséquence sur la santé des populations. De son cabinet de consultation à l’hôpital Yalgado- Ouédraogo, le pneumologue, Soumaila Maïga, témoigne de l’impact de la pollution sur la santé. Tout d’abord, il note que l’exposition aux gaz d’échappement à court terme occasionne des maladies telles que les pneumonies surtout chez les personnes vulnérables comme les enfants et les personnes âgées, des asphyxies par intoxication suite à l’inhalation du monoxyde de carbone, voire des comas mortels dans certains cas extrêmes. Concernant les effets à long terme de la pollution de l’air, le pneumologue évoque une augmentation des maladies cardio-vasculaires, une augmentation du risque de cancers de poumon, de la vessie et une réduction de l’espérance de vie. « Nous avons une augmentation des admissions hospitalières et des consultations dans les services d’urgence », ajoute-t-il. Fatima Aroyo Aroyo relève qu’en 2016, la pollution de l’air ambiant (extérieur) a été responsable de la perte de 357 039 années de vie « saine » au Burkina.
Une alternative à la pollution
Au regard des conséquences néfastes des gaz d’échappement sur la santé, Dr Maïga recommande de prendre des mesures de protection au niveau individuel et collectif. Dans ses propositions de mesures collectives pour atténuer les effets des émissions de gaz à effet de serre, figure en bonne place la mobilité électrique. Les spécialistes de la santé ne sont d’ailleurs pas les seuls à le dire. « Parmi les stratégies qui sont en cours pour promouvoir les villes vertes, on est en train d’aller vers les véhicules et motos électriques », révèle le secrétaire permanent du Conseil national du développement durable. Il ajoute que déjà, le ministère en charge de l’environnement a pris les devants avec l’appui des autres départements en élaborant la vision 2050 de développement à faible émission de carbone et résilient au climat du Burkina. Il s’agit d’un document prospectif validé par les différentes parties depuis le 16 décembre 2022.
Le directeur général de l’énergie, Dr Halidou Koutou, considère que les motos électriques représentent une nouvelle opportunité pour le pays des Hommes intègres de réduire sa dépendance énergétique. « C’est une mutation industrielle qui est une opportunité de création d’emplois et de valeur ajoutée. Elle réduira nos importations d’hydrocarbures et nous conduira vers une croissance verte, d’où la valorisation des crédits carbone qui sont sources de financement de nouveaux projets », se réjouit-il. Entamer la mutation vers la mobilité électrique en commençant par la moto est pertinent à plus d’un titre. D’abord, ce moyen de transport est l’un des plus utilisés au Burkina. En effet, selon le service des statistiques de la Direction générale des transports terrestres et maritimes (DGTTM), le nombre de motos immatriculées au Burkina Faso est passé de 268 514 en 2015 à 2 523 305 en 2022, avec une durée moyenne d’une moto de 8 ans. De plus, ces engins entrent progressivement dans les habitudes de consommation car il n’est pas rare au détour des rues dans les quartiers de croiser des enfants juchés fièrement sur leurs vélomoteurs électriques.
Qui des batteries usées ?
De leur côté, les acteurs en charge de la protection de l’environnement manifestent une certaine inquiétude liée au sort des batteries après utilisation. Elles pourraient à terme représenter un danger pour l’environnement si elles sont abandonnées dans la nature. Mais les enseignes qui proposent des motos électriques rassurent avoir pris la mesure du danger. Agent commercial à EDTF, Nicolas Zongo rassure que sa structure a prévu de rassembler les batteries usagées pour leur recyclage au Ghana. Le PDG d’Itaoua service international prévoit d’installer un centre de recyclage au Burkina. Le phénomène du changement climatique est crucial. Il convient d’agir collectivement et à travers des mesures concrètes pour parvenir à inverser la tendance. Chaque geste compte. Abdou Razack Kaboré, Eric Ouédraogo et Baba Ahmed Coulibaly sont déjà, à leur petite échelle, dans la dynamique de poser des actions salvatrices pour l’environnement. « Si chaque famille décide que les enfants iront à l’école avec le transport en commun. Si on décide d’utiliser des modèles de construction de bâtiment avec moins de lampes fluorescentes et d’adopter des méthodes climato-intelligentes dans l’agriculture, on aura fait autant de pas en avant pour léguer un environnement sain à nos enfants », interpelle Pamoussa Ouédraogo.
Nadège YE