Les débats au sein de la classe politique ivoirienne cristallisent et focalisent l’attention du fait des remous liés aux prochaines consultations électorales. En effet, à la suite de la volonté du président Alassane Ouattara de rempiler pour un troisième mandat à l’élection présidentielle d’octobre 2020, les Ivoiriens, de l’intérieur comme de l’extérieur, sont divisés sur l’opportunité ou non de la décision du « PRADO », comme l’appellent ses partisans. Après avoir signifié, urbi et orbi, le 6 août 2020, qu’il sera candidat à sa propre succession, à la suite du décès brutal de son dauphin, Amadou Gon Coulibaly, la réaction de l’opposition politique ne s’est pas faite attendre. Elle a violemment protesté contre cette décision en la qualifiant d’illégale et d’anticonstitutionnelle. Cette attitude de l’opposition, comme il fallait s’y attendre, a engendré de vives tensions qui ont rendu l’atmosphère sociopolitique délétère en « Terre d’Eburnie ». Ainsi, de nombreuses familles ont été endeuillées, rappelant la douloureuse crise que le pays a traversée à l’issue de l’élection contestée de Laurent Gbagbo d’avril 2011.
Alors que beaucoup d’observateurs redoutent que les animateurs de la vie politique entraîne « le pays d’Houphouët Boigny » dans une crise identitaire aux relents ethniques pour des questions électoralistes, c’est l’Eglise catholique qui monte aux créneaux. Le cardinal Jean-Pierre Kutwa, chef de l’Eglise catholique en Côte d’Ivoire, dans une déclaration a, en effet, fait savoir le 31 août 2020, date butoir du dépôt des candidatures, qu’un troisième mandat de l’occupant actuel du palais de Cocody « n’est pas nécessaire ». Tout de go, cette déclaration frise une prise de partie dans un pays où les clivages ethnico-religieuses sont presque légion.
C’est pourquoi, cette sortie n’a pas du tout été « gobée » par bon nombre d’Ivoiriens, notamment dans le camp présidentiel. Cette prise de position du guide religieux, mal à propos pour eux, pourrait ouvrir la voie à l’exacerbation de tensions et mettre à mal le processus électoral. Bien plus, c’est le principe même de la laïcité de l’Etat qui se trouve être écorné, a déclaré le porte-parole des ministres et cadre catholique du RHDP, Kobenan Kouassi Adjoumani, dans une réplique au cardinal d’Abidjan.
Il est de notoriété publique qu’au nom de la liberté d’expression, baromètre de toute démocratie, tout citoyen peut se prononcer sur les questions se rapportant à la vie d’une nation. Cependant, il n’est pas inutile de dire que sur des sujets fâcheux, la retenue doit prévaloir au sein de certains milieux. Car, la prise de position tranchée sur certaines situations par des personnalités, représentant d’une communauté religieuse quelconque ou autre, en désespoir de cause, peut radicaliser « les esprits faibles » avec des risques d’enlisement.
Un feed-back sur les différentes crises que certains pays ont déjà traversées permet de s’en convaincre. Il va s’en dire que discourir sur des questions politiques dans les offices religieux n’est pas opportun, si tant est que l’on a à l’esprit la quête de la cohésion sociale et du vivre-ensemble. Sans être l’apanage des animateurs des partis politiques, faut-il le reconnaitre, les antagonismes sur les sujets sensibles, comme la politique, ne doivent, cependant pas avoir des relents ethniques et religieux, au point de créer d’éventuels clivages entre des membres d’une même communauté.
Il appartient donc, aux acteurs ivoiriens de savoir raison garder et d’éviter, autant que faire se peut, dans cette période pré-électorale, de franchir le Rubicond afin d’empêcher les troubles avec leurs lots de blessés et de morts.
Mais, à moins de deux des élections, pouvoir et opposition pourront-ils s’entendre sur ces divergences de vue afin de préserver la paix sociale, la quiétude et garantir des élections démocratiques, si chères à tous ?
En tous les cas, rien n’est sûr.
En attendant, la validation par la Commission électorale indépendante (CEI) des candidatures à l’élection du 31 octobre 2020, la psychose de la crise postélectorale de 2011 hante les esprits au bord de la lagune Ebrié. Un triste feuilleton que bien d’Ivoiriens, dans leur immense majorité, n’espèrent plus jamais revivre.
Soumaïla BONKOUNGOU