Dr Daouda Zouré, ancien fonctionnaire de la Banque mondiale : “Il ne sera pas possible d’annuler la dette des pays africains ”

L’ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, Dr Daouda Zouré : « L’allègement est un soulagement mais il faut une administration efficace pour faire une bonne évaluation de la situation socioéconomique du pays ».

Dans cet entretien accordé à Sidwaya, l’ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, Dr Daouda Zouré, apporte, sans langue de bois, des éléments de réponse sur l’allègement de la dette des pays africains, annoncé par le Fonds monétaire international (FMI).

Sidwaya (S) : Le FMI vient de décider de l’allègement de la dette de 25 pays, dont le Burkina Faso. Qu’est-ce que cela signifie ?

Dr Daouda Zouré (D.Z) : Il s’agit d’un don que le FMI fait aux pays bénéficiaires, afin de leur permettre de couvrir le remboursement de leurs dettes vis-à-vis de l’institution pour une période de six mois. Cet allègement va permettre aux pays de souffler et d’utiliser cet argent pour faire face aux besoins sanitaires. La Banque mondiale et le FMI vont certainement se réunir pour définir les modalités pratiques d’utilisation de cet argent. Il faut que les pays proposent un plan pour cibler les secteurs touchés par la pandémie où il faut injecter les ressources dégagées.

Car, on ne peut faire un allègement sans conditions. C’est comme en quelque sorte, des nouveaux programmes PPTE (Pays pauvres très endettés) qui s’annoncent. Il y a aussi des crédits au FMI pour les catastrophes auxquelles tous les pays ont droit. Au titre de la facilité, le Burkina Faso a eu 115 millions de dollars, soit 69 milliards de francs CFA. Le Burkina n’a pas besoin de cet argent, si on arrivait à récupérer l’argent de la fraude fiscale, des détournements et de la corruption. Rien qu’avec l’or, le Burkina peut avoir 1500 milliards F CFA de recettes.

En dehors du FMI, il y a la dette bilatérale et multilatérale qui est beaucoup plus importante. A travers ce don, le FMI donne un signal aux multilatéraux et bilatéraux. Et c’est à ce titre, que la France a obtenu au niveau du G20, un moratoire sur 20 milliards de dollars de la dette en cours sur les 32 milliards de dollars de dette globale de 76 pays dont 40 pays africains, au titre de 2020. Les 20 milliards de dollars concernent la dette bilatérale et des bailleurs privés ; les 12 milliards restants c’est pour les multilatéraux dont principalement la Banque mondiale et pour lesquels les négociations sont en cours.

S : Vous parlez de moratoire sur la dette. De quoi s’agit-il exactement ?

D.Z : Le moratoire, c’est une suspension du paiement de la dette. Par exemple, le moratoire sur les 20 milliards est une suspension du paiement pour une période donnée qui n’est pas encore déterminée. Souvent, on donne des moratoires de 5 ou 6 ans. En plus du moratoire, il y a l’allègement de la dette bilatérale et multilatérale. Il faudrait que les pays africains s’organisent pour faire des propositions concrètes aux bailleurs. Déjà, il y a une structure qui a été mise en place au niveau de l’Union africaine pour réfléchir à cette question.

S : Des voix, notamment des ONG, y compris des agences onusiennes, demandent l’annulation de la dette. Les pays africains ont-ils une chance d’avoir cette annulation ?

D.Z : Il est possible d’obtenir un allègement, c’est-à-dire une réduction du niveau de la dette. Le niveau d’allègement dépendra des négociations entre les créanciers et les pays endettés. Pour ce qui est de l’annulation de la dette, cela n’est pas possible. A côté de la dette multilatérale et bilatérale, il y a la dette privée. Et on ne peut pas, par exemple, demander l’annulation de la dette au niveau du secteur privé.

S : Quelle est la portée de l’allègement de la dette par le FMI ?

D.Z : La dette des pays vis-à-vis du FMI est infime. Mais en faisant cet allègement, l’institution donne un signal aux autres partenaires pour qu’ils lui emboîtent le pas.

S : L’allègement de la dette est-il une alternative pertinente pouvant permettre à l’Afrique de faire face à la crise du COVID-19 ?

D.Z : On est en train de reproduire le même scénario qui avait abouti aux PPTE. L’Afrique s’était endettée, parce qu’il y avait de la liquidité sur le marché international et n’avait pas investi dans des secteurs productifs. L’économie est restée basée sur les matières premières. Avec la chute des cours des matières premières, on s’est retrouvé dans des déficits budgétaires chroniques.

C’est le même scénario avec la crise du coronavirus. Il y a une récession qui s’annonce. Cela veut dire que les recettes vont baisser, avec des dépenses incompressibles qui vont même augmenter du fait de la pandémie du COVID-19.

L’allègement est un soulagement, mais il faut une administration efficace pour faire une bonne évaluation de la situation socioéconomique du pays ; ce que nous n’avons pas. Quand on est un Etat, on prend des mesures anticipatives. Il y a le coronavirus, quelles seront les conséquences sur ma population ? Quelles sont les mesures à court, moyen et long terme que je dois prendre pour y faire face ?

Quelles sont les activités que je dois mettre en œuvre dans les secteurs primaire, secondaire pour relancer l’économie ? C’est ce qu’il faut faire en période de récession. La récession a commencé au Burkina Faso depuis 2016. En son temps, j’avais dit qu’il nous fallait un gouvernement de relance économique, car le pays était à plat. Il fallait donc un audit de la situation et la présenter aux partenaires sociaux. A partir de là, aucun syndicat sérieux n’allait faire des revendications maximalistes.

Actuellement, avec les différentes revendications, on a un budget de consommation et non d’investissements. Aucun technicien ne peut relever l’économie du Burkina si ce n’est un « fasciste » ! Aujourd’hui, 90% de ce que nous mangeons vient de l’extérieur. Et relancer l’économie par la consommation, c’est lancer les pays producteurs comme la Côte d’Ivoire.

S : Si l’allègement aboutit, où injecter ces ressources pour un impact structurel durable sur l’économie ?

D.Z : Nous avons une économie de cueillette, car elle est dominée à 80% par le secteur informel. Nous sommes un pays qui n’a pas d’industrie. La seule chose que l’on doit faire, c’est de se réunir urgemment, indépendamment de toute considération politique, pour réfléchir à comment mettre en place un Etat avec des institutions fortes. Sans un Etat fort, on ne peut rien faire, on ne peut pas relancer l’économie.

Après avoir reconstitué l’Etat, toutes les études montrent que pour avoir une croissance durable, il faut investir dans le capital humain. Quand on met l’accent sur l’éducation et la santé, on a une croissance perpétuelle. Le développement du capital humain va entraîner le développement des autres secteurs, notamment les secteurs productifs. C’est le cas de la Chine, de la Corée et même de la Tunisie qui, pendant 30 ans, a investi 60% de ses ressources dans l’éducation et la santé. Il faut simplement avoir une volonté et une vision.

Quand un politicien envoie son enfant dans une université américaine qui lui coûte 40 millions FCFA par an, il empêche 1 500 enfants burkinabè d’aller à l’école.
Quand j’avais mis en place le mécanisme de gestion des revenus pétroliers au Tchad pour la Banque mondiale, il y avait le fonds pour les générations futures à travers un compte off-shore, logé à l’étranger dans lequel la compagnie américaine versait 10% des recettes du pétrole.

Dans les 90%, 10% sont affectés aux régions productrices et le reste dans les secteurs prioritaires comme l’éducation. On a également mis en place un collège de surveillance et de contrôle des revenus du pétrole et des investissements. Avec l’or, on peut faire la même chose au Burkina. Le Ghana utilise 9% des revenus de l’or pour les générations futures, 21% pour la stabilisation de l’inflation et le reste dans les secteurs productifs.

S : Mais apparemment l’expérience tchadienne n’a bien pas abouti…

D.Z : Elle n’a pas abouti, parce que le président Déby n’a pas voulu. C’est le modèle norvégien que l’on a mis en place au Tchad. La Norvège est le meilleur pays au monde en matière de gestion des revenus pétroliers. Mais au départ, on avait serré, moi je n’acceptais pas les dépenses bizarres de l’Etat tchadien. Ce ne sont pas les mécanismes qui manquent mais la volonté.

S : Cela veut dire qu’en cas d’allègement de la dette, il faudrait relever le défi de la bonne gestion saine des ressources ?

D.Z : Actuellement, le Burkina Faso fait partie des pays les plus corrompus. La question de la bonne gouvernance est essentielle. Et c’est cela qui nous met en retard. Un ministre ou un fonctionnaire burkinabè qui a une maison dans les cités de 1200 logements ou de Somgandé et qui ne l’a pas payée sur un prêt de 20 à 25 ans, il faut le mettre en prison. C’est un voleur ! Des mécanismes existent pour assainir la gestion publique. Mais cela n’est possible que dans un cadre où il y a la volonté
politique.

Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com

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