Plusieurs établissements d’enseignement post-primaire et secondaire, dans la province du Zoundwéogo, région du Centre-Sud, vivent au quotidien la réalité des abandons scolaires du fait de l’orpaillage. Des élèves, obnubilés par le métal jaune et la fortune qui va avec, troquent leurs cahiers contre la pelle et autres instruments d’extraction. Les salles de classe se vident parfois jusqu’à la totalité de leurs occupants.
Les élèves de la classe de 5e du Collège d’enseignement général (CEG) de Nagrigré, dans la commune de Gogo (province du Zoundwéogo), affichent complet, ce mardi 10 janvier 2023, au cours de français. Enfin presque ! Un seul des 37 apprenants manque à l’appel. « Il vient », « il va venir » s’élèvent bruyamment des voix à l’évocation de son cas.
« Il était là hier », entonne une voix féminine de soprano. L’insistance de la salle n’est pas anodine. Les promotions dans cet établissement ont l’habitude de voir des camarades rompre définitivement avec les bancs de l’école. De 2020 à 2022, le collège a enregistré 64 abandons dans ses quatre classes fonctionnelles sur un effectif cumulé de 395 élèves, soit un taux d’abandon de 16,20%, note le directeur du CEG, Issa Zouré. Le compagnon d’Abdoul Rachid de la classe de 5e fait partie du groupe. Il a quitté les bancs en cours d’année scolaire 2021-2022.
« Il m’a dit qu’il allait chercher l’or », confie l’adolescent à qui il a partagé son secret. Parmi les différentes causes de désertion répertoriées par l’administration, la quête du métal jaune se classe en effet en haut d’affiche. Les grossesses, les mariages précoces et forcés et les maladies viennent à la suite.
Les fréquentations scolaires perturbées
Autre lieu, même constat. Au CEG de Doncin dans la commune de Nobéré, les abandons sont aussi courants et le motif principal le même.« Dans toutes les classes, de la 6e à la 3e, il y a des abandons », affirme Mariam Sana, agent de la vie scolaire. Au cours de l’année scolaire 2021-2022, le collège a comptabilisé 12 élèves qui ont quitté délibérément l’école et la moitié de la cohorte a rejoint les sites d’or, troquant cahiers et stylos contre pelles et pioches. L’établissement a même évité de justesse des décrochages en masse, en cette année au mois de mai, en raison de la découverte d’un site d’or, à environ trois kilomètres du CEG, à la périphérie sud de Nobéré, confie le directeur Inoussa Bouda.
Le site n’a eu que quelques semaines de fonctionnement avant sa fermeture par les autorités, mais il aura réussi à inquiéter les responsables des établissements environnants sur le maintien de leurs effectifs d’élèves. « Les élèves n’avaient pas le temps, surtout pendant les jours libres. Certains étaient à la recherche de l’or et d’autres s’étaient convertis en vendeurs d’eau utilisée pour le lavage de la terre ramassée », indique le proviseur du lycée départemental de Noébéré, Boureima Yabré. A des dizaines de kilomètres de là, dans la partie septentrionale de la province du Zoundwéogo, au CEG de Mazoara, le phénomène trouble aussi la quiétude.
60% d’abandon en une année
L’année scolaire en cours est singulière en termes d’effectif dans le collège, depuis l’ouverture de ses portes en 2018-2019. La classe de 3e est quasi vide. L’effectif total, en
ce début de deuxième trimestre de l’année, est de quatre élèves dont trois filles et un garçon.En un trimestre, six des onze élèves inscrits en début d’année ont mis volontairement un terme à leur aventure scolaire.
Un dernier élève qui complète le quatuor régulier est aux abonnés absents, depuis la reprise des cours. La plus affectée des classes du CEG de Mazoara est cependant celle des cadets immédiats des candidats au Brevet d’études du premier cycle (BEPC). La classe de 4e battait le record du plus petit effectif avec un seul élève à l’affiche. « Après un mois de cours, nous étions finalement obligés de fermer la classe pour cette année et l’élève a demandé à rejoindre les 3e.
Fort heureusement, il est motivé et s’est même classé 2e au premier trimestre », renseigne le directeur du CEG, Bassirou Nikiéma. En tout et pour tout, le CEG de Mazoara totalise en début d’année scolaire 2022-2023, 49 apprenants répartis comme suit :34 en 6e, 10 en 5e et 5 en 3e. Même avec cet effectif, l’administration redoute le pire à l’image du scénario vécu en 2020-2021, l’année de la « grande saignée », selon les termes du premier responsable.
Après avoir inscrit 118 élèves dans ses registres pour les quatre classes de 6e, 5e, 4e et 3e en début d’année scolaire, le décompte total en fin d’année était de 48 élèves pour tout l’établissement. 70 élèves, soit environ 60% de son effectif de départ, ont déserté en cours d’année. La plupart de ces élèves ont sacrifié leurs études sur l’autel de l’or.
Un fléau au niveau provincial
Les cas d’abandon réguliers ne sont pas propres aux seuls établissements de Mazoara,
Nagrigré et Doncin. Le phénomène a une dimension locale plus étendue. « C’est un véritable fléau au niveau de la province du Zoundwéogo », soutient le Directeur provincial des enseignements post-primaire et secondaire (DPEPS), Issaka Son, qui brandit la preuve de la baisse des effectifs des candidats au BEPC. « A la session de 2021, nous avons eu autour de 3 000 candidats contre près de 4 000 pour la session de 2020 », déplore-t-il.
Les données sur la situation des effectifs des établissements des sept communes qui composent la province sont aussi révélatrices de l’impact négatif de l’orpaillage sur le maintien scolaire des jeunes et adolescents. En fin d’année scolaire 2020-2021, sur un total de plus de 24 400 élèves, plus de 1100 ont quitté définitivement les salles de classe et environ 400, soit 34% des abandons, se sont rendus sur les sites d’or. En 2021-2022, le total d’élèves s’élevait à plus de 17 600 parmi lesquels environ 800 ont abandonné et 200 de ces abandons, soit 25%, ont rejoint les sites aurifères.
Les élèves déserteurs dans les établissements viennent de tous les niveaux d’études. Il s’agit surtout des garçons, mais dans leurs rangs se comptent aussi des filles dont la plupart sont généralement entrainées par les orpailleurs qui les courtisent, souligne le DPEPS du Zoundwéogo.
Si le phénomène a de l’ampleur à travers la province, c’est à cause aussi de l’attitude des parents dont certains se rendent complices du choix de leurs progénitures, analyse le directeur du collège de Mazaora. « Il est arrivé souvent par le détour d’une conversation qu’un parent me dise ouvertement qu’il préfère que son fils aille sur les sites d’or plutôt que de rester à l’école », confie Bassirou Nana.
Les sites sénégalais et guinéens prisés
Dans l’ensemble, les départs des élèves pour les sites d’or se font incognito, les responsables des établissements n’étant informés qu’après coup. Hors des murs de l’école, il arrive cependant qu’ils revêtent des aspects spectaculaires. Comme à Nagrigré, l’année de la « grande saignée » au collège, ils ont pris l’allure d’un trafic bien organisé, confie Bassirou Nana.
« Un jour, en venant au CEG, j’ai croisé un convoi en tricycle d’un groupe de jeunes, dont des élèves que j’ai pu identifier. Il s’est avéré qu’ils allaient tous sur les sites d’or »,
raconte-t-il. Le convoi évoqué tout comme les autres départs des collégiens de Mazoara ont quasiment le même point de chute. Dans ce patelin d’agropasteurs dépourvu de site d’orpaillage, c’est un secret de polichinelle : les sites aurifères prisés sont ceux du Sénégal et dans une moindre mesure, la Guinée.
« Au Sénégal, il parait qu’il y a un site d’orpaillage qui est dénommé Mazoara parce qu’il réunit un nombre important de ressortissants d’ici », fait savoir le directeur du CEG. A Doncin, la totalité des élèves du CEG ayant fait le choix de l’orpaillage en 2020-2021 a
aussi rejoint le Sénégal ou la Guinée, selon les investigations de Mariam Sana. Au collège de Nagrigré, même si les quatre sites à proximité du village accueillent certains déserteurs, d’autres à l’image du camarade de Abdoul Rachid ont également opté pour les sites sénégalais et guinéens.
Le jeune élève de la 5e a été mis dans les confidences de cet engouement pour l’orpaillage loin des frontières nationales. « Avant son départ, mon compagnon m’a dit que son grand frère était au Sénégal et c’est lui qui l’a informé qu’on trouve facilement l’or là-bas plus qu’ici », fait-il savoir. A Mazaora, les aventuriers sont eux aussi, selon plusieurs aveux, motivés par ce discours rapporté sur les faveurs des sites du pays de la Téranga.
Désillusion et regrets
Pour les élèves qui sont ainsi entrainés dans la ruée vers l’or, la motivation est exclusivement d’ordre financier. L’or à portée de main est synonyme de fortune rapide tandis que l’école, elle, a un rythme trop lent et harassant. C’est du moins l’idée que se faisait particulièrement Issaka en classe de 6e, en 2020, au CEG de Mazoara. Malgré ses fortes moyennes de 17 sur 20 au premier et deuxième trimestre, il a tenté l’aventure au Sénégal avant de revenir une année plus tard alité par un trouble respiratoire aigu. De son expérience, les sites d’or ne sont pas toujours l’eldorado tant imaginé. Parmi les élèves devenus orpailleurs comme lui, les chanceux se comptent sur les doigts d’une main.
La majorité, dit-il, broie du noir avec au quotidien les maladies, la faim, la soif, l’exposition à la poussière, aux produits chimiques et aux eaux de breuvage polluées. Si, aujourd’hui, Issaka se réjouit d’avoir retrouvé le chemin de l’école, très peu ont emboité son pas. « Il y a beaucoup d’anciens élèves qui regrettent d’avoir abandonné les cours pour aller sur les sites. D’autres veulent revenir, mais ils se disent qu’après tout le temps passé hors des classes, ils ne pourront plus rattraper le retard ni tenir le rythme », relate-t-il.
Pour éviter que les élèves obnubilés par l’or en arrivent là, l’administration des établissements du Zoundwéogo, les responsables de l’éducation et certains leaders d’opinion locaux multiplient les actions de sensibilisation. Quelquefois, leurs initiatives portent leurs fruits comme à Doncin où Daouda, Aziz et Ibrahim ont finalement renoncé à leur projet de départ pour le Sénégal. Toutefois, ces derniers insistent sur le fait qu’à côté d’eux, des camarades n’en démordent pas et sont encore à hésiter entre un départ ultérieur et une renonciation définitive.
Mamady ZANGO
mzango18@gmail.com