Dr Serge Noël Ouédraogo est un enseignant-chercheur au département d’Histoire et Archéologie à l’Université Joseph-Ki-Zerbo de Ouagadougou. Dans cette interview, il décrypte le nouveau gouvernement.
Sidwaya (S) : Le « gouvernement resserré », promis par le Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, est désormais effectif. Quelle appréciation faites-vous de cette nouvelle équipe gouvernementale ?
Serge Noël Ouédraogo (S. N. O.) : Au lendemain du drame d’Inata et dans le contexte de l’accentuation du péril terroriste et des clivages politiques, il est heureux que le président du Faso ait annoncé d’importantes mesures dans le sens d’un changement de cap à différents niveaux de gouvernance. Pour ce qui est du pouvoir exécutif, la démission du Premier ministre, Christophe Joseph Marie Dabiré, par conséquent celle de son gouvernement aussi, a élargi les horizons.
La règle non écrite du choix des premiers dirigeants du pays a prévalu à ce que le Premier ministre provienne d’ailleurs que de l’aire ethnoculturelle moaga. C’est ainsi que le choix a été porté sur le Dr Lassina Zerbo, un technocrate de haut-vol dont le curriculum vitae ne permet de douter des aptitudes à la tâche à lui confiée.
Le caractère resserré de l’équipe gouvernementale est évident puisqu’on passe de 34 à 25 ministres. Cela a été obtenu à travers des fusions de ministères et des suppressions de ministères délégués. Des statistiques évoquent
– 24,24 % de réduction par rapport au dernier gouvernement à travers 19 départs et 10 arrivés ;
– 60 % de ministres reconduits ;
– 40 % de nouveaux appelés ;
– 56 % des militants du parti au pouvoir (MPP) ;
– 8 % de militants de partis alliés ;
– ainsi 64 % des ministres sont militants de l’APMP ;
– au niveau du genre, on note qu’il y a 7 femmes soit 24%.
Les « équilibres » ethniques, régionales et confessionnelles ont été prises en compte. Les changements de dénomination ou les nouveaux attributs (Armées, Transition écologique, Prospective et des Réformes structurelles, genre, Action humanitaire, Développement industriel, petites et moyennes Entreprises, Autonomisation des jeunes, plan) de nombreux ministères relèvent certainement des logiques de priorisation d’axes stratégiques.
S : Au regard de sa composition, s’agit-il d’un gouvernement de technocrates ou de politiques ?
S. N. O. : Il convient de noter que technocrates et politiques ne sont pas antinomiques. Il y a dans le gouvernement de nombreux, titulaires d’un doctorat, à commencer par le Premier ministre. J’en ai dénombré 10 de tous les profils. Certains sont des enseignants-chercheurs ayant atteint le grade de professeurs des universités. Hormis ceux-là, les autres sont des experts dans leurs départements ministériels. Il est à noter qu’à partir d’un certain niveau d’instruction et d’une certaine expérience professionnelle, on acquiert de la polyvalence.
C’est à ce titre que je ne suis pas du tout étonné de voir Madame Rosine Sory/Coulibaly au ministère des Affaires étrangères, de la Coopération et des Burkinabè de l’extérieur ou le Professeur Alkhassoum Maïga, enseignant-chercheur de son état soit, par ailleurs, promu porte-parole du gouvernement. Ainsi, même ceux et celles qu’on pourrait qualifier de politiques sont peu ou pour politiques et vice-versa.
S : Comment expliquez-vous ces 19 départs du gouvernement dont ceux de certaines grosses pointures ?
S. N. O. : Ces départs obéissent d’abord à la promesse de réduction de la voilure du gouvernement. Ils obéissent aussi à la promesse de renouvellement et de rajeunissement du gouvernement. On est donc dans la logique des signaux fort attendus. Il s’agit donc de marquer une certaine rupture. Des gens devaient être « sacrifiées » pour marquer les esprits.
Le Burkinabè lamda est quand même surpris de la sortie du gouvernement de grosses pointures du parti au pouvoir. Comme ils sont, pour la plupart des élus, ils pourront aller siéger à l’Assemblée et agiront donc au niveau du pouvoir législatif. Ils pourront aussi être appelés à d’autres fonctions.
S : De dix dans le gouvernement précédent, le nombre de femmes est descendu à sept. Est-ce un recul en termes de promotion du genre ?
S. N. O. : De prime abord, on pourrait parler de recul. Mais, dans le fond, beaucoup de femmes du dernier gouvernement étaient des ministres, mais tout de même des ministres déléguées. Actuellement, on a surtout des ministres « titulaires », généralement mieux placées, en terme de rang protocolaire. Des choix ont été faits par qui de droit et en connaissance de cause.
S : Un ministère de la Prospective et des Réformes structurelles a été créé. A quelle logique pourrait répondre ce nouveau département ?
S. N. O. : L’Etat est une construction permanente. Son développement obéit à des logiques diverses et en perpétuelle évolution. Gouverner étant prévoir, il faut être permanemment dans l’anticipation. L’Etat dans son fonctionnement doit être reformé de manière continuelle. Ce n’est pas la première fois qu’on a ce département ministériel au Burkina Faso. Je suppose que le ministre qui gère cette question en est un spécialiste.
Il s’agit nécessairement d’un ministère transversal qui devra impulser une synergie d’actions. Il reste à souhaiter qu’il n’y ait pas des chevauchements de compétences et des querelles de leadership.
S : Pensez-vous que cette nouvelle équipe gouvernementale pourra rassurer le peuple burkinabè quant aux nombreux défis, notamment sécuritaires ?
S. N. O. : L’hydre terroriste sera vaincue car le bien a toujours triomphé du mal. La vraie interrogation concerne le temps et les sacrifices nécessaires avant un retour à la normale. De nombreux changements d’hommes et de méthodes ont été constatés et le seront certainement au fil des évolutions de la situation. Un changement de paradigme a été opéré en matière sécuritaire. On ne parle d’ailleurs plus de ministère de la Défense, mais de ministère des Armées. L’heure est maintenant aux résultats à travers le passage progressif de la défensive à l’offensive.
S. : Certains anciens ministres dont Rosine Coulibaly font un come-back dans ce nouveau gouvernement. Qu’en pensez-vous ?
S. N. O. : Madame Rosine Sory/Coulibaly a fait ses preuves dans le système onusien et en matière de gouvernance de secteur ministériel. Son départ du gouvernement avait surpris plus d’un Burkinabè. Elle a maintes fois été pressentie comme « premier ministrable » et jouit d’une certaine popularité au sein de l’opinion publique (hormis peut être le milieu des agents du ministère de l’Economie et des Finances).
Ce n’est donc pas étonnant qu’elle revienne au gouvernement à ce moment critique. Le recours aux compétences des Burkinabè de l’extérieur est à saluer. Elle pourrait prendre les meilleures initiatives pour promouvoir les droits de nos compatriotes de l’extérieur et pour les mobiliser dans le cadre du développement de la mère-patrie. Monsieur Smaïla Ouédraogo, hormis ces compétences, est le ou un des représentants de la région du Nord et selon les analystes, un des héritiers de feu Salifou Diallo.
S : Au final, sommes-nous en présence d’un gouvernement de combat au regard du contexte actuel ?
S. N. O. : Ce gouvernement a été annoncé comme un gouvernement de combat. Cet aspect, au-delà de la proclamation ou de l’intention se vit de façon concrète, c’est-à-dire opérationnelle. Son aptitude au combat concernera les nombreux enjeux du moment :
– certainement les enjeux sécuritaires,
– le retour de l’administration dans les zones hors de contrôle de l’Etat,
– la prise en charge des personnes déplacées internes et leur retour dans les meilleurs délais dans leurs milieux habituels de vie,
– la préservation de la cohésion nationale, à travers l’étouffement dans l’œuf des menaces de tensions inter-ethniques, interconfessionnelles, etc.
– la mise en synergie des efforts divers pour vaincre l’hydre terroriste
– la lutte contre la COVID-19,
– la relance économique
– la satisfaction des revendications raisonnables et réalistes des partenaires sociaux,
– la réconciliation nationale etc.
En somme, les enjeux sont nombreux et le nouveau gouvernement est attendu aux résultats pour être jugé. Vivement qu’il réussisse pour le bonheur de tous.
Propos recueillis par Karim BADOLO