Industrialisation du Burkina Faso : «La transformation des matières premières locales est la voie royale», ministre Harouna Kaboré

Notre pays ne peut pas continuer à être un exportateur de ses matières premières.

Sous la houlette de Harouna Kaboré, le ministère du Commerce de l’Industrie et du Commerce, a entrepris de développer le secteur de l’industrie au Burkina Faso. Dans l’interview accordée à Sidwaya, le ministre aborde la stratégie mise en œuvre pour révolutionner le secteur de l’industrie.

Sidwaya(S) : Quelle appréciation faites-vous du niveau de l’industrialisation au Burkina Faso ?

Harouna Kaboré (H.K.) : au Burkina Faso le secteur de l’industrie est peu développé. En effet, depuis les indépendances, il existe des entreprises industrielles évoluant dans le domaine de la transformation de nos matières premières locales ou importées. Au fil des années, l’on a assisté à la naissance d’une nouvelle génération d’entreprises industrielles, portées par des jeunes entrepreneurs, intéressés à la transformation des matières premières locales.

Certaines connaissent des succès mais d’autres ont beaucoup de difficultés. Pour accompagner cette dynamique, l’on a adopté différentes politiques, qui, par manque de constance, ne sont pas inscrites dans la durée et la continuité, si bien que l’industrie burkinabè est toujours à un stade où nous sommes encore loin d’un pays industrialisé. Toutefois, il faut souligner que tous les ingrédients sont réunis pour le devenir.

La question du développement de l’industrie nationale doit s’affranchir des débats théoriques pour savoir si notre pays doit être un pays de services ou un pays industriel ? Pour nous, les questions essentielles qu’il convient de se poser sont : existe-il un potentiel de développement des Petites et moyennes industries (PMI) ? Y a-t-il un potentiel de transformation de nos matières premières ?

Est-il possible de mettre en place un accompagnement des acteurs pour la structuration, la modernisation des équipements de production afin d’augmenter au fur et à mesure leurs capacités de production ? Existe-t-il des consommateurs qui sont intéressés par les produits locaux ? A toutes ces questions, la réponse est oui. Est-ce que le Burkina Faso peut se développer en faisant de l’import/export et en étant le déversoir des produits manufacturés étrangers.

La réponse est assurément non. Il est donc clair que le Burkina Faso doit partir de ses réalités et développer son potentiel. C’est pour toutes ces raisons que notre département a élaboré une nouvelle stratégie nationale d’industrialisation et pris des initiatives dans le but d’impulser un développement de l’industrie au Burkina Faso.

S: Quels sont les grands axes de la stratégie nationale d’industrialisation ?

H.K. : La stratégie nationale d’industrialisation a été le résultat d’une démarche ayant impliqué tous les acteurs du secteur. Elle l’a été après un diagnostic aussi exhaustif que possible de l’ensemble des politiques et stratégies de promotion de l’industrie qui ont été appliquées au Burkina. Un diagnostic qui a également porté sur l’environnement institutionnel et règlementaire et sur le vécu des unités industrielles.

Cette démarche participative et inclusive avec le secteur privé, a permis d’élaborer une stratégie, construite autour de cinq axes : l’amélioration du cadre juridique, institutionnel, et organisationnel d’appui à l’industrie ; l’appui à l’élaboration de nouveaux projets industriels. L’axe 3 traite de la consolidation du tissu industriel existant par la modernisation des installations et la promotion de l’industrie verte.

L’axe 4 traite de l’appui à l’amélioration de l’offre de financement du secteur industriel et l’axe 5 concerne le développement des infrastructures industrielles et la promotion de la durabilité des unités industrielles. La stratégie nationale d’industrialisation est conforme à l’axe 3 du principal référentiel de développement du Burkina qu’est le PNDES. L’idée de base est de partir des potentialités du pays en termes de matières premières pour développer l’industrie à travers des actions précises.

S: Justement, quelles sont les actions prévues pour opérationnaliser cette stratégie ?

H.K.: Qui dit stratégie, dit nécessité d’une implémentation. A cet effet, le plan d’actions qui accompagne cette stratégie va de 2019 à 2023. Il prévoit que l’on s’attaque à des sujets urgents que sont la question des infrastructures, le soutien à l’industrie avec d’importants projets d’investissements dans la création, l’aménagement et la viabilisation des zones industrielles et des parcs industriels, l’accompagnement à la réalisation d’importants projets structurants dans le secteur du coton textile avec la construction d’unités à Ouagadougou, Koudougou et Bobo-Dioulasso afin de porter le taux de transformation du coton de 2% environ à 10 à 15 % au moins.

Dans le secteur de la transformation de l’anacarde, il est prévu la construction d’une unité de référence à Bobo-Dioulasso. Pour la transformation de la tomate, il est prévu l’achèvement et la mise en service de l’unité de Loumbila et la construction de trois centres de prétraitement à Ouahigouya, Gourcy et Yako, qui permettront la création sur chaque site d’environ 200 emplois.

La formulation en cours du programme « one district, one factory » (une région, une usine) ambitionne de développer des parcs industriels dans les régions en fonction de l’abondance des matières premières de la zone. En somme, la démarche consiste à traiter les questions urgentes (entreprises en difficulté ou à relancer) et accompagner les nouveaux projets industriels des acteurs du secteur privé. Le plan va en outre permettre la mise en œuvre des réformes institutionnelles et réglementaires pour faciliter l’approvisionnement en matières premières des unités de transformation, la commercialisation et la consommation des produits manufacturés nationaux, entre autres.

S : Avez-vous identifié les conditions pour réussir ce plan d’actions
ambitieux ?

Ce sont les ruisseaux qui convergent pour créer les fleuves.

H.K. : De la même manière que l’ensemble des acteurs ont été associés à l’élaboration de la stratégie, nous allons continuer à les mobiliser afin d’obtenir leur engagement dans la mise en œuvre de la stratégie. Notre pays ne peut pas continuer à être un exportateur de ses matières premières, au détriment de la transformation locale, créatrice d’emplois et de plus-value pour l’économie nationale. Les outils connexes à la stratégie que sont par exemple le code des investissements, dont la nouvelle version vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale en octobre 2018, permettront d’accompagner au mieux la transformation industrielle et artisanale.

Le code des investissements contient de nombreuses dispositions qui favorisent les PMI nationales, parce que les conditions à remplir pour bénéficier de ses avantages sont réduites au quart pour les PMI, impliquées dans la transformation des matières premières locales. A titre illustratif, le régime A du code nouveau des investissements prévoit qu’il faut un investissement de 100 millions et créer 20 emplois permanents pour bénéficier des avantages tandis que les entreprises intervenant dans la transformation de nos matières premières ne devraient investir que 25 millions et créer quatre emplois pour bénéficier des mêmes avantages.

L’intégration du secteur de l’énergie comme bénéficiaire des avantages du code des investissements, nous assure par ailleurs une meilleure opérationnalisation de la loi sur la libéralisation de la production de l’énergie, à l’effet de réduire le coût des facteurs de production.

S : Qu’est-ce qui justifie la mise en place d’un plan d’industrialisation accéléré concomitamment avec le plan d’actions de la stratégie nationale d’industrialisation ?

H.K. : Le plan d’industrialisation accéléré est en fait le premier moteur pour amorcer le décollage du secteur secondaire au Burkina Faso. A cet effet, une dizaine de filières ont été identifiées à travers un travail collégial avec les différents départements ministériels, afin de les accompagner dans le but d’avoir des produits de qualité mais aussi de mettre en place la stratégie nationale d’exportation. Parmi ces filières, trois ont été classées prioritaires pour lancer une industrialisation accélérée.

Ce sont la filière coton textile ; bétail-viande et celle couvrant les carrières et matériaux de construction. La floraison d’entreprises dans le domaine de la cimenterie au cours des dernières années nous laisse penser qu’il y a une vraie opportunité de création d’emplois et de richesses avec l’exploitation de la dolomite, matière première entrant dans la fabrication du ciment.

Avec le boom des sociétés immobilières, la briqueterie, valorisant nos matériaux locaux, est un secteur porteur, d’où le choix de la filière carrières et matériaux de construction. Il est reconnu que le Burkina Faso dispose d’un vrai cheptel. Malheureusement celui-ci est exporté essentiellement sur pieds. La transformation devrait donc nous permettre d’avoir une valeur ajoutée avec des abattoirs frigorifiques de renom et une chaine de froid opérationnelle.

Quant au coton, il est le 1er produit agricole d’exportation de notre pays, avec en moyenne 600 000 tonnes de production annuelle. Nous n’en transformons que 2%. Les trois sociétés d’égrenage ne créent pas annuellement plus de 100 emplois nouveaux chaque année alors que si l’on s’intéresse aux autres mallions de la chaine de valeur que sont la filature, le tricotage et tout le reste, l’on peut créer des milliers d’emplois. Déjà le projet A STAR, sur lequel le gouvernement travaille avec l’implication du secteur privé, devrait générer 12 000 emplois directs.

Le passage à l’échelle ne se fera pas au détriment du « fait main ou hand made ». En effet, le ministère a initié un projet pour accompagner les artisans qui va se concrétiser le 12 décembre 2018 par la remise de 1000 métiers à tisser à des groupements féminins, en vue d’augmenter l’offre de pagne traditionnel. Pour les filières prioritaires, il y a de la matière première, un savoir-faire certain, et un marché. Il ne reste qu’un passage à l’échelle pour la création de plus-value pour notre économie. Il importe de préciser que les autres filières ne sont pas pour autant délaissées.

S : Le ministère met en œuvre depuis le 20 septembre 2018 l’Initiative pour le renforcement du capital productif des PME-PMI (IRCP-PME-PMI). Quels sont ses objectifs ?

H.K: Nous partons du principe que ce sont les ruisseaux qui convergent pour créer les fleuves. Pour nous, si nous avons suffisamment de PME-PMI, les ruisseaux, nous allons finir par créer les champions de l’industrie, c’est-à-dire les fleuves. Autant nous accompagnons ceux qui ont de gros projets, autant nous sommes convaincus que la transformation des matières premières locales va se faire par les petites et moyennes industries nationales, aux solides performances.

C’est la raison pour laquelle tous les instruments institutionnels en tiennent compte, à savoir le code des investissements, l’agence pour le financement des PME qui fait de la méso finance entre 5 et 60 millions FCFA. L’initiative pour le renforcement du capital productif des PME-PMI s’inscrit dans cette dynamique. Il vise à subventionner les équipements de production à hauteur de 4 millions FCFA par entreprise. Il va concerner 130 PME sur le plan national, dont dix par région.

Les entreprises sont sélectionnées à l’issue d’un processus transparent en collaboration avec la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso. Les équipements que nous installons sont opérationnels ; il ne reste plus à l’entrepreneur qu’à investir dans l’achat de matières premières pour commencer la production. Le quota de dix entreprises par région permet de créer une bonne base de l’industrialisation.

Ce projet, d’un coût d’environ un milliard, est financé par des chefs d’entreprises et des sociétés. Il précède un projet de plus grande envergure, d’un coût de 10 milliards FCFA qui va faire du crédit revolving, pour permettre de pérenniser le fonds. Ce qui est vraiment innovant avec lIRCP/PME-PMI, c’est son mode de financement.

Et pour cause, les opérateurs économiques qui ont réussi, apportent leur concours pour accompagner les plus petits. Des entreprises ont ainsi accepté de mettre qui, 10 millions FCFA, qui 20 millions FCFA, dans les deux comptes bancaires ouverts par la Chambre de commerce et d’industrie. D’ici 6 mois, on aura bouclé la mise en œuvre de cette initiative dans les 13 régions.

S : Qu’est-ce qui a convaincu les opérateurs économiques d’adhérer à cette initiative ?

H.K. : Les financements innovants sont développés de par le monde et nous avons expliqué au secteur privé, la nécessité, à côté de leur disponibilité à mettre souvent 2 ou 3 millions dans la coupe du maire ou du député par exemple, de mettre de l’argent pour développer les PME/PMI. Nous leur avons expliqué qu’ils font œuvre utile en accompagnant cette initiative de développement des entreprises. On les a rassurés également sur l’utilisation des ressources.

Contrairement à un certain type de projets ou 30% des ressources sont consommées en frais de fonctionnement, l’initiative ne prévoit pratiquement pas de frais de fonctionnement. C’est un point focal, au sein de la direction générale du développement industriel du ministère en charge du commerce, qui travaille avec la chambre de commerce avec des mécanismes allégés.

Aujourd’hui sur le montant attendu pour lIRCP PME PME, on a mobilisé les 2/3 du budget. Ce qui risque de retarder les choses, c’est la commande des équipements aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur au regard de la longueur des délais de fabrication et de livraison. Mais nous sommes confiants. Quoi qu’il en soit chacun des bénéficiaires détient un bon de dotation des équipements souhaités à hauteur de 4 millions, ce qui donne la garantie qu’ils les recevront
effectivement.

S : Comment comptez-vous faire barrage à la concurrence déloyale aux produits made in Burkina Faso sur le marché ?

H.K. : Il y a deux (2) choses à considérer à ce niveau. D’abord, l’accompagnement des entrepreneurs offre le choix aux consommateurs. Dès lors, le ministère va s’intéresser aux produits qui arrivent sur le marché et qui font une concurrence déloyale aux produits nationaux ou avec ce qui est importé de manière normale. On produit dans des secteurs comme les huiles alimentaires, 50 000 tonnes alors que la consommation nationale est autour de 100 000 tonnes. Pour le sucre, c’est environ 30 000 tonnes, pour un besoin de 120 000 tonnes.

Il faut donc une importation pour compléter le gap. Les commerçants importent légalement et les unités de production font face à une concurrence déloyale, du fait des fraudeurs et la non régulation des quantités pour combler le gap. Le ministère a donc décidé de lutter contre ces deux phénomènes. Pour la régulation, nous avons fait adopter un décret sur la liste des produits soumis à autorisation spéciale d’importation. Désormais, le ministère a un droit de regard sur les quantités à importer. Cette méthode a déjà permis d’enlever la quasi-totalité du sucre de la SN SOSUCO.

C’est la même méthode qui a permis d’enlever en l’espace d’un mois, 200 000 bidons de 20 litres sur un stock de 265 000 bidons produits à la SN-CITEC. C’est également le cas pour les pneus de Sap Olympic. Le but ultime est de garantir des prix stables pour les consommateurs en s’assurant à la fois de la disponibilité des matières premières et des produits.
L’autre action concerne ceux qui ne veulent pas respecter la réglementation. Nous avons créé le 21 mai 2018 des Brigades mobiles de contrôle (BMC).

Les agents assermentés des BMC, avec l’appui de la gendarmerie, vont traquer les fraudeurs et ceux qui ne respectent pas la réglementation. Par exemple, dans le domaine des huileries, nous avons déjà contrôlé et fermé une quinzaine d’unités clandestines à Ouagadougou et une trentaine à Bobo-Dioulasso. Nous travaillons aussi en collaboration avec la douane pour contrôler l’entrée des produits en amont.

Nos autorisations spéciales d’importer sont de ce fait diffusées dans les bureaux de douanes. Ainsi tant qu’un importateur ne présente pas ce document avec les quantités déterminées, il ne peut pas importer son produit.
Il y a par ailleurs de nouvelles dispositions adoptées par le conseil des ministres du 5 décembre 2018 sur la concurrence, l’organisation du commerce de gros et de détail qui vont nous permettre de contrôler les importations, protéger les productions nationales et accompagner les petits commerçants agissant dans le segment de la vente en détail. Les opérations coup de poing n’ont jamais réglé un problème durablement surtout pas en matière de développement économique d’un pays.

Entretien réalisé par

Joseph HARO et Nadège YE

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