Intervention militaire au Niger: l’incongruité du pouvoir sans la sagesse

L’intention de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) d’intervenir militairement au Niger, après le coup d’Etat de juillet dernier, pour rétablir l’ordre constitutionnel, selon l’auteur de cette tribune, est aux antipodes du droit de la CEDEAO elle-même, de celui de l’Union africaine et du droit international.

Enfant, l’on voue une confiance sans limite à son père : il peut beaucoup pour ne pas dire tout, il est censé avoir les moyens de tout ce que l’on désire, avoir la réponse à toutes les questions qu’on lui pose, qu’un autre homme ne peut être plus fort que lui, même si on ne l’a jamais vu se battre… Bref, on ne lui connaît pas de défaut. D’une manière générale, l’enfant n’a pas idée des défauts chez les adultes.

Le seul (en tout cas le premier) dont l’enfant se rend compte chez eux, c’est la méchanceté, parce qu’il la sent douloureusement, moralement et souvent physiquement aussi. Quand on considère les hommes de pouvoir, les choses paraissent rigoureusement identiques : selon le bord auquel l’on se situe par rapport au détenteur de l’autorité suprême de l’Etat, l’on peut se retrouver dans le même rapport père/enfant.

Sans la maturité requise pour être capable de détachement par rapport aux hommes et aux choses, le citoyen peut porter aux nues son chef de l’Etat. Parce qu’il est censé être le dernier rempart, l’on est en droit d’attendre de lui la sagesse. C’est-à-dire (pour faire simple) le sens de la mesure, fondée sur une grande culture ou une grande expérience de la vie.

Mais comme, après tout, tout homme a ses limites, l’humilité devrait amener les hommes de pouvoir à s’entourer de conseils. Nous avons appris que le bon chef, ce n’est pas celui qui sait tout, mais celui qui sait se faire entourer.

Seulement, l’homme moderne formé aux valeurs occidentales est ainsi fait que son exercice du pouvoir est incompatible avec l’humilité. Parce qu’il est censé ne pas avoir de faiblesse. L’actualité, marquée par le coup d’Etat au Niger et les réactions qu’il a suscitées dans l’espace ouest-africain et ailleurs, nous ramène brutalement en mémoire, des défauts que le citoyen lambda a découverts chez des dirigeants (sans qu’il ne les prétende exhaustifs).

Exactement comme l’enfant, en grandissant, se rend compte que son père n’est tout simplement pas parfait. Qu’est-ce que certains chefs d’Etat ont-ils donné à observer par leur réaction ? Certes, les qualificatifs paraîtront présomptueux à certains lecteurs, mais ce sont les ressentis personnels de celui qui est revenu de ses illusions vis-à-vis des hommes de pouvoir.

Après tout, ces ressentis doivent être appréciés à l’aune de leurs développements. L’initiative de la décision de commettre une force armée contre un Etat membre qui n’a agressé aucun autre membre de la région a été tellement inconsidérée au regard du droit de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest elle-même, de celui de l’Union africaine et du droit international, que l’on est en droit de se demander comment elle a pu venir à l’esprit de chefs d’Etat.

L’immaturité ou la prématurité de la décision

La décision d’intervenir au Niger est d’abord venue d’un homme qui est un débutant dans l’exercice du pouvoir. Il s’avère que non seulement il s’est affranchi des normes édictées par les textes régissant toutes les organisations auxquelles son pays a adhéré, mais également de ceux dont celui-ci s’est doté ; le principe de réalité lui faisant défaut par inexpérience, la sagesse lui aurait dicté le principe de précaution (si elle l’habitait), qui fait appel aux conseils.

L’intempérance

En fixant la barre des sanctions au dernier cran, la CEDEAO et l’UEMOA lançaient à la junte militaire nigérienne un double défi : le défi militaire et celui des autres sanctions (commerciales, financières et monétaires). En revenant au point où elle aurait dû commencer, le dialogue, la CEDEAO a déjà perdu le premier défi. Le délai imparti d’une semaine est largement dépassé. Et si les Nigériens se faisaient aux sanctions par adhésion au lieu de se révolter comme ces organisations l’espéraient, elles auront perdu sur toute la ligne, la face et toute crédibilité.

L’impatience

Quand on est étranger aux réalités d’un pays, face à de graves événements qui y sont survenus, l’on devrait aller à l’information (en d’autres termes à l’écoute), avant toute décision quand on est investi du pouvoir d’influer (à tort ou à raison) sur le cours de ces événements. Ici, il nous revient en mémoire que l’intervention des Etats-Unis en 2003 en Irak contre Saddam Hussein a été fondée sur un complot. Mouammar Kadhafi a disparu en 2011 sur un autre complot. Tout s’est passé dans les deux cas comme si la précipitation avait pour but de faire le mensonge devancer la vérité qui l’aurait éventé. Il n’est pas improbable que les putschistes nigériens soient victimes du même stratagème. Et lorsque la vérité survient, l’objectif machiavélique est atteint, l’irréparable commis.

L’intransigeance

Le pouvoir, c’est ce qui doit rester toujours debout, ne jamais plier, quoi qu’il en coûte. Seulement, tant que ce sont les hommes qui l’exerceront, il sera toujours empreint de leur personnalité. Et l’intransigeance conduit aussi à la démesure.

La peur

Quand on est convaincu de ses mérites, l’on ne craint pas de perdre ce que l’on a acquis grâce à eux. Pas plus le pouvoir que l’emploi, etc. Celui qui a acquis ce dont il est jaloux par des moyens illégitimes, aura des raisons de craindre de le perdre par ceux qui visent à (r)établir la justice.

La gourmandise

Devant tout ce qui est bon au palais, l’enfant ne peut se retenir jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus. Il est inconscient des risques pour sa santé. L’on voit également des chefs d’Etat, une fois au palais présidentiel, ils s’enivrent des délices du pouvoir ; et seule la mort fait lâcher prise à certains.

Le dernier coup d’Etat survenu au Gabon vient opportunément faire violemment observer aux redresseurs de torts que le mal dans l’accession au pouvoir en Afrique ce ne sont pas les militaires, mais la soif inextinguible d’un pouvoir mal assumé par les civils. Au point d’aller jusqu’à la démesure dans le tripatouillage des élections. S’ils y parviennent, ce n’est point parce que les populations les ont élus, mais parce qu’elles sont impuissantes à faire respecter leur choix, assis comme ces usurpateurs le sont sur la force publique, détournée de sa mission.

La succession des coups d’Etat n’est pas une contagion, comme ceux qui se voilent la face l’interprètent, mais plutôt révélatrice des tares congénitales que les Etats africains francophones portent depuis les indépendances : l’illégitimité des chefs d’Etat qui doivent leur pouvoir davantage à l’ancienne puissance coloniale qu’à l’onction populaire. Le nier tient de la mauvaise foi.

Les peuples crient leur ras-le-bol que seuls les militaires entendent. Si après près d’un siècle de colonisation et soixante-trois ans de néo-colonisation, avec des liens comme aucune autre puissance même ex-colonisatrice n’en n’a, l’on éprouve le besoin de venir en force avec l’Union européenne pour ‘‘contrer l’influence de la Russie’’, qui n’a jamais eu de colonie en Afrique et a au contraire œuvré à la décolonisation des Etats d’Afrique australe, c’est qu’on a soi-même perdu son influence, parce qu’elle est toxique.

S’évertuer à ne pas le reconnaître ne changera rien à la soif d’émancipation et la faim de développement des peuples. Croire que des chefs d’Etat alliés élus sur des simulacres en fait d’élections libres et transparentes seront indéfiniment acceptés, c’est se bercer d’illusions.

Quelle leçon tirer de ce spectacle affligeant

L’immaturité des décisions, l’intempérance, l’impatience, l’intransigeance, la gourmandise, autant de défauts que l’on s’attend à trouver chez des jeunes plutôt que chez des personnes, toutes âgées visiblement de plus de soixante ans, qui pis est, tiennent le devenir de peuples et d’Etats entre leurs mains.

Lorsque des personnes âgées de ce rang ne s’illustrent pas plus positivement que ne le feraient des jeunes (quoique seulement cinq soient des jusqu’au-boutistes), cela n’autorise-t-il pas ces jeunes à réclamer qu’ils passent la main ? D’autant qu’eux ont la sénilité en moins.

Le double paradoxe, s’agissant de la peur tient secondement à l’origine de la mort redoutée : les chefs d’Etat africains francophones n’ont pas peur de leurs peuples, pour la raison évoquée plus haut (celle de la protection de la force publique). Ils ont plutôt peur de la sanction des chefs d’une puissance étrangère.

Car sans la bénédiction de ces derniers, ils risquent des heurts et malheurs ; moyennant la dépossession des ressources naturelles de leurs Etats, dont les Constitutions attribuent pourtant la propriété à leurs peuples, et bien d’autres avantages indus. De façon quasi générale, les contrats de concession minière n’attribuent que 10% aux peuples. Au Burkina Faso, ces 10% ne couvrent pas la moitié de la masse salariale des agents de l’Etat.

A ce compte, ses réserves d’or, propriété quasi exclusive de firmes étrangères, s’épuiseront sans que le Burkina Faso n’ait placé dans un musée, ne serait-ce qu’un seul lingot pour que les générations futures sachent à quoi ressemble de l’or ! Au Niger, dont l’uranium éclaire une ampoule sur trois en France, sa quote-part ne contribue au budget national qu’à hauteur de 7%, et plus de 80% de la population s’éclairent encore à la lampe tempête ou à la bougie.

Et les chefs d’Etat occidentaux n’admettent pas que l’on qualifie cette dépossession d’impérialisme. Il s’agit bel et bien d’un impérialisme économique ; et des chefs d’Etat qui signent de tels contrats ne méritent-ils pas d’être traduits devant la Haute Cour de Justice, pour crime de haute trahison ?

C’est pourquoi nous proposons ici et maintenant, le vote d’une loi portant répression de ce que nous appellerons ‘‘crime contre le développement’’, dont les manque-à-gagner sont sans commune mesure avec les crimes économiques ; il s’agira de tous ces contrats gardés secrets ou non et par lesquels un Etat africain, burkinabè en l’occurrence, spolie son peuple au profit d’une grande puissance ou d’une multinationale occidentale.

Le peuple burkinabè serait curieux de savoir ce que cachent encore tous les départements ministériels comme contrats du genre. Une question à laquelle l’Assemblée législative de transition pourrait s’intéresser en commettant une mission d’information à cet effet.

Les transitions militaires au Sahel et en Guinée auront eu entre autres mérites, celui de mettre à nu la compromission des pouvoirs civils avec certaines puissances étrangères et redéfinir une autre trajectoire du développement de leurs Etats respectifs. C’est ce que redoute la ‘‘communauté internationale’’.

D’où son insistance, avec ses suppôts, sur le caractère impératif d’une fin de transition à date. Raison de plus pour que (nous l’avons proposé dans notre tribune du numéro du 18 au 20 août), que les auteurs de cette rectification démissionnent de l’armée avant l’échéance pour des élections, dans un projet consensuel et un gouvernement d’union nationale, afin de garantir la pérennité de cette émancipation.

Car il serait pour le moins regrettable de voir un futur régime civil rétropédaler vers la situation ex ante. Et, jeter les bases d’une union politique, économique et culturelle forte entre les Etats-parties assurerait leur résilience aux injonctions extérieures. Quatre cents ans d’esclavage, cent ans de colonialisme, soixante-trois ans de néocolonialisme, c’est beaucoup trop donner !

Paul Bassolé

Economiste de l’entreprise

72 16 86 51

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