La justice des hommes est un jeu de forme et de fond dans lequel le premier l’emporte souvent sur le second. Pour une virgule ou un espace de trop, on peut repartir à zéro sans scrupules. Chaque mot mal placé peut être traité de déplacé ; chaque faille est une paille dans l’œil de l’autre qu’il faut enlever d’abord ; on ferme les yeux pour cacher la poutre qui s’y trouve, parce que sur le chemin de la vérité on ne dit pas que la vérité. Tant pis pour le crédule qui pense béatement qu’il suffit de jurer pour conjurer.
Chaque article est lu à l’endroit et à l’envers et exploité parfois avec cynisme. La fin justifie les moyens et nul ne paie son avocat pour qu’il vienne vanter son crime ! Un procès n’est jamais gagné d’office ; ce n’est pas parce que la cause est juste que le juste aura gain de cause. Voilà pourquoi, le coupable sortira indemne et la victime bredouille. Il suffit parfois d’avoir un bon avocat pour faire du diable un saint agneau au pelage blanc et faire un pied de nez à l’innocent naïf qui croit en la vérité devant un prétoire.
Même pris la main dans le sac, le voleur aura l’onction d’une hypocrite présomption d’innocence fondée sur la prudence de trop. L’assassin ou le criminel sera traité comme un être humain, pendant que sa victime pourrira six pieds sous terre en attendant vainement la sentence du bourreau, câliné par les procédures qui durent. La Justice n’est pas pressée ; il n’y a pas de « vérité sap-sap » ; tant pis si la douleur des victimes ne peut plus attendre ; peu importe si elles meurent sans savoir la vérité ; la Justice est impersonnelle et parfois inhumaine ; elle dépasse l’individu et les hommes pour servir des textes pensés et écrits par des hommes.
Pendant que le blessé marche avec des balles réelles dans la chair, eux, ils transforment l’espace de vérité en une arène de pugilat verbal, où le seul coup qui vaille est celui d’avoir le dernier mot. Pendant que la veuve désemparée attend de savoir pour consommer son deuil, eux, ils farfouillent dans les textes des prétextes qui vexent, pour contester des alinéas et renvoyer le procès aux calendes grecques.
Le dilatoire fait partie des stratégies de défense. Parce que, plus ça traine, mieux on gagne du temps. La vérité des hommes s’achète et se vend. Mais à qui la faute ? A qui profite le cafouillage de robes qui s’entremêlent dans des froufrous indignes d’une vérité à portée de main ? Pourquoi tant de jeux de mots croisés à la sauce puritaine d’un légalisme de façade ? Pourquoi tant de faux départs parsemés de complaisance et d’anomalies ? Pourquoi prêter le flanc à l’heure d’avoir du cran ?
De part et d’autre, la sincérité n’est pas de mise ; On n’a attaché les dieux dans un sac pour procéder aux libations. Mais le sacrifice en vaut-il vraiment la peine ? Peut-on prêcher la lumière en squattant les pénombres des pleines lunes ? Comme dans « Tom et Jerry », c’est du « je t’aime, moi non plus » ; le chat et la souris se connaissent bien ; ils fricotent ensemble quand ça arrange le duo et se regardent en chiens de faïence pour amuser la galerie. Les chiens se bagarrent avec les dents ; ils s’amusent avec les mêmes dents ; comment reconnaître alors le jeu et le sérieux du meilleur ami de l’homme, surtout quand ils aboient « méchamment » pour nous tenir en haleine ?
Les voies de la Justice sont parfois insondables ; même ceux qui sont passés par un amphi de droit peinent à voir la même chose. Y aurait-il finalement un daltonisme juridique ou une malvoyance véridique chez les « Justes » ? Il y a des non-dits, mais il suffit de regarder le spectacle derrière les rideaux pour se rendre compte que le rouage est digne d’un artiste. Malheureusement, le vin est tiré, il faut le boire. Il faut d’autant le boire jusqu’à la lie, dans la dignité comme Socrate but la ciguë dans la vérité.
Ce sera amer, mais il faudra fermer les yeux pour ne rien voir de sa propre belle mort. La Vérité finale attend toujours, sans avocat ni conseil. La Vérité absolue se moque des formes bancales ou arrondies. Elle fait fi des procédures qui défient le temps jusqu’aux confins des oubliettes. Elle ne se reporte pas ; elle retentit comme un coup de massue et tant pis pour les grincements de dents et les frissons en pleine fournaise. Parce que, le mensonge a beau pris l’ascenseur, la vérité passera par les escaliers pour le devancer à l’arrivée.
Clément ZONGO
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