La lèpre : une pathologie qui résiste au temps

La lèpre ou maladie de Hansen est une infection chronique causée par le bacille « Micro bacterium leprae ». Elle se présente sous deux formes à savoir : l’aspect tuberculoïde, peu contagieux et lépromateux plus contagieux. Au Burkina, malgré des traitements antibiotiques efficaces, elle reste d’actualité puisqu’à l’échelle nationale, des cas existent encore. En 2022, selon des statistiques sanitaires, 238 nouveaux cas ont été dépistés dont 6 enfants de moins de 15 ans. Zoom sur une pathologie tombée dans l’oubli dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso qui provoque des lésions cutanées et altère le visage, entre autres.

Au Centre hospitalier universitaire Souro Sanou (CHU-SS) de Bobo-Dioulasso, région des Hauts-Bassins, dans la matinée du mardi 25 juillet 2023, à 10 heures 30 minutes, Barakissa Kouanda, une dame d’une vingtaine d’années, mère d’un enfant, ne se sent pas dans sa peau . Originaire d’un village de l’ouest du Burkina dans les environs de la ville de Dandé, dame Kouanda s’est rendue à cet hôpital dans l’espoir de trouver un remède à son mal. L’ensemble de son corps est répandu de tâches claires, elle se plaint de problèmes de vue. En plus, elle a des plaies sur les doigts courbés en forme de baguettes de tambour et des orteils sérieusement déformés. La tête baissée, Barakissa Kouanda explique sa mésaventure. «Je suis victime d’une maladie méconnue de mon milieu de vie. J’ai bénéficié de soins chez les guérisseurs traditionnels pendant longtemps. Malgré cela, ma santé va de mal en pis », fulmine-t-elle. Dame Kouanda confie que les parents de son mari pensent qu’elle est une femme maudite si bien que celui-ci s’est séparé d’elle. Ce qui l’a amenée à rejoindre sa famille.

Le responsable de l’unité d’élimination de la lèpre, de la lutte contre la leishmaniose et de l’ulcère de Buruli, Dr Léopold Ilboudo : « depuis soixante ans, la Fondation Raoul Follereau accompagne le Burkina dans la lutte contre la lèpre ».

C’est cette dernière qui a conduit Barakissa Kouanda au CHU-SS de Bobo-Dioulasso. Elle explique que c’est après le diagnostic que les médecins l’ont déclarée atteinte de la lèpre. Grâce au soutien de la Fondation Raoul Follereau, la patiente dit avoir obtenu une prise en charge convenable. Aujourd’hui, «Barki », comme l’appellent affectueusement ses proches, est guérie de la maladie, mais a perdu l’usage de ses mains. Elle dit continuer de soigner ses plaies qui sont les séquelles de la lèpre. Comme madame Kouanda, Salimata Ouédraogo, veuve âgée de la cinquantaine et mère de sept enfants, souffre aussi de la lèpre. Elle a découvert son mal, en cette année 2023, à la suite des traitements chez les tradipraticiens sans succès. Alors, elle s’est résolue à se tourner vers la médecine moderne qui a révélé qu’elle souffre de la lèpre. « J’ai été mise sous traitement gratuit depuis six mois», indique-t-elle. Salimata Ouédraogo poursuit que les taches claires qui avaient envahi son corps et les plaies sur les mains ont disparu. Elle déclare que sa grand-mère a été malade de la lèpre. Fatti Dondyré, une autre veuve sexagénaire, au début développait les mêmes symptômes sur la peau et elle souffrait constamment de fièvre et de malaises. « J’ai fréquenté les guérisseurs qui m’ont proposé divers remèdes en vain. Je suis allée en consultation au dispensaire, et on m’a prescrit des ordonnances. Nonobstant les traitements proposés, je souffrais toujours», raconte-t-elle. Elle souligne que c’est au centre de la Fondation Raoul Follereau de Ouagadougou que la maladie a été dépistée. «Depuis que j’utilise les médicaments que la Fondation m’a donnés, je suis soulagée », atteste- t-elle.

La veuve dit rendre grâce à Dieu parce qu’elle est sur la voie de la guérison. Elle déclare également que sans l’aide de la Fondation, elle n’allait pas pouvoir se soigner. Selon ses dires, une de ses sœurs a été victime de cette pathologie. Par ailleurs, madame Dondyré laisse entendre que dans le cadre de la lutte contre la propagation de cette maladie, les médecins du centre de santé ont souhaité consulter les membres de son entourage pour voir s’ils ne sont pas contaminés. Salmata Compaoré, 45 ans, ressortissante de Zorgho ( région du Plateau central), soutient qu’elle a vécu avec la lèpre pendant un bon moment, en passant de multiples examens sanguins au sein des formations sanitaires sans que les agents de santé ne découvrent de quoi elle souffre. Seulement, les agents de santé lui ont fait savoir qu’elle souffrait de la tension artérielle. Mais, elle a constaté des démangeaisons sur son corps jusqu’à produire des plaies. Face à cette situation, des personnes bien averties lui ont suggéré de se rendre à l’unité d’élimination de la lèpre. C’est à ce niveau qu’elle a été déclarée atteinte de la maladie. Depuis lors, elle suit un traitement gratuit jusqu’à ce jour. Idem pour Marie Gomtibo Dondassé qui a découvert sa maladie, il y a cinq mois.

« Actuellement, tout va bien, car, je suis toujours sous traitement. Depuis que j’ai commencé le traitement, les signes apparents de la lèpre ont disparu de mon corps. J’ai découvert cet endroit de traitement grâce aux bonnes volontés», affirme-t-elle. Son mari étant en aventure en Côte d’Ivoire, elle vit de son petit commerce afin de subvenir à ses besoins et aussi ceux de ses quatre enfants qui sont scolarisés. Alimata Ouédraogo, mère de deux enfants, habitant la commune de Komsilga, pour sa part, se réjouit parce qu’elle a été immédiatement prise en charge après un diagnostic qui l’a révélée positive. A l’entendre, après le décès de son mari, elle est allée vivre chez un oncle. « Au début, j’ai constaté que ma peau présentait un aspect anormal et à la suite des conseils des voisins, je suis allée à l’hôpital. J’ai reçu le traitement adéquat et j’ai été déclarée guérie », dit-elle. La maladie n’est pas seulement propre à la gent féminine, elle affecte également le sexe masculin.

Il perd son emploi

Pour Fatti Dondyré, sans une aide, elle allait mourir.

Karim Ouédraogo est une autre victime de ce mal. Agé de 44 ans, il a découvert sa maladie en 2017. Aux premiers instants, son entourage a estimé que ses ennemis lui ont jeté un sort. Cela va l’amener à faire plusieurs tours chez les charlatans et autres guérisseurs sans solution. Pendant ce temps, des taches claires se sont multipliées sur son corps et ses doigts et orteils se sont déformés avec des plaies par endroits. Des proches l’ont conseillé de se rentre dans un centre de santé. Après la consultation au service de dermatologie vénérologie-léprologie de Ouagadougou du Centre Raoul Follereau, il a été informé que les signes physiques qu’il présente sont ceux de la lèpre. Il est alors soumis immédiatement à un traitement pendant neuf mois. Actuellement, il est guéri de son mal, mais des séquelles demeurent. Car, Karim Ouédraogo a eu les doigts rongés et une jambe amputée.

Dans ce tourment, il dit être abandonné par sa femme, ses parents et certaines connaissances. Pour illustrer sa situation, il affirme avoir trouvé refuge dans un centre d’accueil à Paspanga, au centre-ville de Ouagadougou, dirigé par l’Eglise catholique. Ce centre abrite 17 autres pensionnaires dépendant uniquement de l’aide dont ils bénéficient. Il renchérit que son propre grand-frère ne lui rend plus visite. M. Ouédraogo gagnait sa vie à travers des contrats de construction. Aujourd’hui, il est handicapé pour toute la vie et ne peut plus travailler. Il vit aux crochets des aides des bonnes volontés afin de subvenir à ses besoins essentiels. Timbila Yogo, un sexagénaire né à Baskouda dans la commune de Mané, dit avoir contracté la lèpre dans les champs en Côte d’Ivoire. « Quand j’ai constaté que j’étais malade, je suis rentré au Burkina pour me soigner. Mais, c’était un peu tard parce que la maladie m’avait déjà donné des handicaps », explique-t-il. Celui-ci, bien que « proprement » guéri de la maladie, continue de soigner ses plaies aux pieds, séquelles de la maladie.

Une résurgence ?

Pour les spécialistes, la lèpre est une maladie infectieuse. Elle peut apparaitre dans n’importe quel endroit, peu importe le climat qu’il fait. Cette maladie se soigne et on peut en guérir si on prend les médicaments. Elle est due à une micro- bactérie appelée micro bacterium léprae. Au Burkina, les devanciers en charge de la gestion du système de santé ont réussi à contenir considérablement la pathologie. Dans ce cadre, des actions ont été menées et depuis 1994, la lèpre n’est plus considérée comme un problème de santé publique. Ce qui signifie qu’il y a moins d’un cas sur 10 000 habitants. Mais cela ne veut pas dire que la maladie a disparu. Elle persiste toujours au Burkina en témoignent les cas rencontrés. Ainsi sur le plan statistique en 2022, il a été dépisté 238 nouveaux cas de lèpre dont six enfants de moins de 15 ans. Sur ces 238 cas, 72 patients au moment du dépistage avaient déjà des infirmités de degré 2. Ces infirmités de degré 2 sont des anomalies : des amputations au niveau des doigts, des pieds, des complications de façon générale qui siègent, soit au niveau des mains, des pieds ou des genoux.

Barakissa Kouanda, malade de la lèpre, a été répudiée par son mari.

De l’avis du dermatologue-vénérologue, responsable de l’unité d’élimination de la lèpre, de la lutte contre la leishmaniose et de l’ulcère de Buruli, Dr Léopold Ilboudo, s’il y a une proportion importante de patients avec infirmité de degré 2, cela veut dire que le diagnostic est fait tardivement. De la sorte, ces cas concernés ont eu le temps de propager la maladie dans leurs milieux de vie. De plus en 2021, les services de santé ont dépisté à l’échelle nationale 250 nouveaux cas de lèpre. Parmi eux, 69 avaient déjà une infirmité de degré 2 et huit enfants de moins de 15 ans. Alors, l’on peut dire que la lèpre persiste au Burkina et la transmission est toujours présente d’où, la présence de nouveaux cas chez les enfants. Selon toujours les spécialistes, les premiers signes de la lèpre sont constitués de la présence de taches claires sur la peau qui ne grattent pas et ne font pas mal. Les complications se manifestent au niveau des yeux, des mains et des pieds. On peut avoir un patient dont les doigts commencent déjà à se recourber. En ce moment, on parle des griffes. Car les doigts se replient comme si c’étaient des baguettes de tambour repliées. On peut aussi avoir à l’extrémité des doigts ou à la plante des pieds des plaies qui trainent et ne font pas mal. Ici, il est question d’ulcérations pulpaires. La vision du malade commence à diminuer. Il est possible qu’il perde la vue. A entendre M. Ilboudo, la lèpre est une maladie neurologique, cutanée et l’élément primordial est l’atteinte neurologique.

C’est cette atteinte neurologique qui fait que le patient ne sent plus les lésions au niveau des doigts, des pieds. Une autre complication au niveau des yeux est l’atteinte du nerf assurant la motricité de la paupière supérieure. Cela fait que lorsqu’on demande au patient de fermer les yeux, il les ferme, mais, nous voyons qu’il y a un œil qui est ouvert. Ce qui veut dire que le nerf qui commande la fermeture et l’ouverture de la paupière supérieure est touché. Dans le jargon, à en croire le responsable de l’unité d’élimination de la lèpre, on peut aussi avoir des complications appelées « YMP » : Y pour les yeux, M pour les mains et P pour les pieds. Classée parmi les Maladies tropicales négligées (MTN), selon les statistiques des services du centre Raoul Follereau de Ouagadougou, la lèpre a touché 17 personnes au cours du premier semestre de 2023. A cela s’ajoutent les neuf cas de 2022 qui n’ont pas encore terminé leurs traitements. Au total, le centre dispose de 26 patients sous traitement. Quant au CHU-SS de Bobo-Dioulasso, il a été dépisté à la même période huit cas. La plupart de ces malades ont découvert leurs maux après plusieurs tergiversations entre les guérisseurs traditionnels et les formations sanitaires.

Reprendre la sensibilisation

Depuis 1994, la lèpre a été éliminée en tant que problème de santé publique au pays des Hommes intègres. Ainsi, la lutte contre la lèpre a été remise dans ce qu’on appelle le paquet minimum d’activités et le dépistage est devenu passif. Un dépistage passif veut dire que les agents de santé sont assis et c’est la population, lorsqu’elle remarque quel-que chose d’anormal sur la peau, se déplace vers les formations sanitaires pour faire la consultation. Dès qu’on a dit que la lèpre a été éliminée en tant problème de santé publique, la communauté et les agents de santé ne se mettent plus à l’esprit qu’elle existe toujours. Ce qui fait que, selon le premier responsable de l’unité d’élimination de la lèpre, il y a eu des cas dépistés tardivement. Les patients ont séjourné pendant longtemps au sein de la communauté et durant tout ce temps, ils ont eu le temps de contaminer d’autres personnes, entrainant des complications chez les malades concernés avec des infirmités de degré 2. En sus, il confie que la lèpre est une maladie un peu capricieuse. Car, une personne qui contracte la bactérie aujourd’hui peut faire 5, 10, 15 20, parfois 30 ans avant de la développer lorsque les conditions sont favorables.

De la sorte, quelqu’un peut avoir contracté la maladie dès son bas âge, et c’est à l’âge adulte qu’elle commence à se manifester. A ce titre, selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), quand on est dépisté d’un cas de lèpre, il est nécessaire d’examiner l’entourage de ce patient. Et cinq ans plus tard, il faut faire l’effort de le réexaminer afin de voir s’il n’y a pas des cas. Les dermatologues affirment que la lèpre a toujours existé. Mais la difficulté réside dans le fait que les agents de santé n’y pensent plus. Il poursuit que même dans les curricula de formation de ces derniers, au niveau des écoles de santé, il y a peu d’heures qui sont consacrées à l’enseignement de la dermatologie, des maladies de la peau en général, et de la lèpre en particulier. «Alors, quelque chose que je n’ai pas appris, quelque chose que je n’ai pas vu, ce n’est pas évident que je puisse poser le diagnostic », souligne-t-il. De ce fait, Léonard Ilboudo, un agent de santé, souhaite qu’il faille travailler à revenir sur la sensibilisation afin de faire comprendre à la population que la lèpre est une réalité dans les villes et campagnes du Burkina.

De la prise en charge

A en croire Dr Ilboudo, il y a deux types de lèpre. La lèpre pauci bacillaire, que l’on peut dire de moins grave, et multi bacillaire, que l’on peut qualifier de grave. Pour la lèpre pauci bacillaire, le traitement est quotidien pendant six mois. Et pour la lèpre multi bacillaire, le traitement est effectivement quotidien aussi, mais pendant 12 mois. Au regard du fait que le nombre de cas a beaucoup diminué, les médicaments ont été seulement mis à la disposition des Centres médicaux (CM) et des Centres médicaux avec antenne chirurgicale (CMA). Lorsqu’ un patient est dépisté, il lui est donné un traitement. Dans ce traitement, la première dose prise, supervisée devant un agent de santé, contient trois médicaments combinés. L’effet escompté est de combattre réellement les bactéries, ont souligné les médecins traitants. En outre, ils ont déclaré que la première prise supervisée détruit environ 90 à 99% des germes de la lèpre.

Selon les parents du sexagénaire Timbila Yogo de Mané, sa maladie est liée à un sort.

La bactérie responsable de la lèpre est voisine de celle qui cause la tuberculose. Elle se multiplie très lentement et il faut un traitement de longue durée pour s’assurer qu’elle est neutralisée au sein de l’organisme. Pour les médicaments, ils sont disponibles et gratuits. A l’heure actuelle, les médicaments pour l’année 2024 sont déjà disponibles. Pour leur acquisition, les responsables de l’unité ont considéré le nombre de patients reçus en 2022, et des extrapolations ont été faites. Ainsi, fort de cela avec des requêtes auprès de l’OMS à Genève, les médicaments ont été envoyés. Pendant longtemps, le traitement de la lèpre se faisait par une seule molécule qui était la dapsone. Aujourd’hui, c’est la polychimiothérapie qui est utilisée. Elle est l’association de trois molécules. Avec ce progrès, le même médicament est utilisé pour tous les patients, sauf que la différence réside dans la durée de traitement. Six mois pour les malades atteints de la lèpre pauci bacillaire et douze mois pour ceux de la lèpre multi bacillaire. Toujours au sujet des progrès, Léopold Ilboudo indique que les dernières recommandations de l’OMS demandent de passer du dépistage passif à celui actif ciblé. Pour lui, il s’agit pour les équipes de se déplacer dans les formations sanitaires et les localités, pour consulter gratuitement la population.

A cet effet, il déclare que des préparatifs sont en cours afin de conduire un dépistage actif dans les Centres de santé et de promotion sociale (CSPS) de Ramongo et de Pitmoaga, dans le district sanitaire de Koudougou, et les CSPS de Bourou et Ipendo, dans le district sanitaire de Sabou.« Le choix de ces CSPS repose sur le fait que des cas ont été détectés dans ces endroits. C’est pourquoi il est important d’aller examiner ces malades, leur entourage, la population, pour voir si nous allons pouvoir notifier d’autres cas de lèpre », dit-il. Il soutient aussi que ce dépistage actif donne beaucoup d’avantages parce qu’il permet aux agents de santé au niveau local, qui n’ont pas l’habitude de reconnaître les signes de la lèpre, d’apprendre auprès des dermatologues. De l’avis de Dr Ilboudo, le Burkina Faso n’a pas encore éradiqué la maladie. « Lorsqu’on lutte contre une maladie et que le nombre de cas diminue, les derniers efforts sont très souvent pénibles. Il faut qu’on aille dans toutes les contrées pour pouvoir dépister les derniers cas », explique-t-il. Il a également relaté qu‘avec la crise sécuritaire provoquant les mouvements de populations, il est difficile d’atteindre toutes les localités pour effectuer les consultations. « Malgré cette situation, nous sommes en train de travailler pour atteindre les objectifs pour le Burkina Faso sans lèpre d’ici à 2030 », confie-t-il.

Evariste YODA

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