Pendant que tu crapahutais entre les ronces et les cailloux, personne ne s’intéressait à toi. Tes pieds ankylosés s’enflaient et saignaient jusqu’à engourdissement. Tu as continué à marcher en oubliant ta douleur et l’indifférence des autres.
A la sueur de ton front et presque vidé de ton sang, tu parviens au but escompté ; tu marques tes objectifs atteints comme on marque son territoire ; tu souffles un coup comme tu n’as jamais émis de ouf ; et tu entends des ovations et des vivats à t’abasourdir. Tu vois une foule immense défiler et s’incliner à tes pieds ; que de félicitations et d’encouragements à mieux faire ; que de flatteries à faire péter un ballon ; que de flagorneries à vous fendre le cœur et l’égo. Subitement, tu deviens l’enfant prodige, un héros national doublé d’une fierté sans limite. On t’invitera dans les salons feutrés aux carreaux glissants que tu ne pouvais même pas fouler en rêve ; tu rencontreras les plus hautes personnalités du pays dont tu n’étais même pas digne d’avoir une réponse à tes multiples lettres de soutien. Après ton sacre, tu deviens plus convoité que la plus belle femme élue du siècle ; ils te feront la cour en plein jour et sous les feux de la rampe pour se faire une place au soleil de ton indépendance ; ils t’inviteront à des messes politiques pour se faire oindre de ta notoriété, de ton aura. D’impénitents griots inopportuns te chanteront fleurette sur fond de louanges et de mensonges, juste pour mieux vendre de viles pastilles politiques.
Tu seras même appelé au pied du mât de l’honneur pour recevoir des distinctions auxquelles tu n’osais même pas penser à tes heures d’extinction. La reconnaissance de la nation est parfois un jeu d’hypocrisie officiellement légitimé mais éthiquement sans objet.
Pour quelle nation nous battons-nous quand nos efforts ne sont pas soutenus et attendent d’être promus pour être connus ? A quoi sert-il de nous aduler juste quand vient le moment de congratuler ? Peut-on se contenter de récolter ce que l’on n’a pas semé ou contribué à faire émerger ? La jeune plante choyée de la pépinière est arrosée et entretenue, adossée à un tuteur pour éviter de grandir penchée, mais une fois sans tuteur, elle se tord sous les coups du vent. Elle produit des fruits parfois fades, parce que trop arrosés et choyés à l’engrais. Son arrière-goût est une senteur d’égout parce que pourrit à la base. La plante qui pousse entre les failles du rocher n’attend rien d’autre de la nature que les rares pluies perdues qui s’aventurent dans le désert. Cette plante se moque des rafales de vent ; elle se laisse balloter de gauche à droite sans s’arracher, parce que ses racines sont incrustées dans le roc. Ses fruits sont très succulents, mais il faut avoir le courage qu’elle a eu pour oser défier le précipice qui l’environne. Les oiseaux s’y délecteront gracieusement, mais même les singes funambules s’abstiendront de faire le saut périlleux, la queue entre les pattes.
La réussite est une œuvre individuelle qui se bâtit parfois avec plusieurs mains. Le succès est toujours au bout de l’effort, mais l’effort lui-même a besoin de carburant pour transformer l’ambition en réalisation. Malheureusement, sous nos tropiques, c’est au bout de l’effort que l’on se sent soutenu ; c’est à la victoire que notre histoire trouve toute sa gloire ; tous son sens. C’est au pied du trophée que le combat est mérité. Très souvent c’est au moment de poser les jalons que l’on reçoit les coups de moellons. C’est à l’étape de projet, que l’on vous traite de rêveur utopique. On préfère appuyer le neveu ou la nièce du mécène politique, que de tendre la perche à « Patarbtaalé le fils du pauvre ». On recrutera la « pourriture surgelée » pour la mettre au frais, au poste juteux avant de balancer l’ « orphelin du destin » aux confins du désert pour prêcher la bonne nouvelle. Et on attendra la victoire « surprise » du tocard ou de l’outsider pour venir jouer l’apôtre de la « méprise » à ses côtés. Celui qui réussit aujourd’hui dans la dignité était hier le grand battant solitaire dans l’obscurité.
Celui que vous encensez au point de le déifier aujourd’hui n’était qu’un célèbre inconnu du rayon des oubliettes. Mais si rien n’est fait pour encourager les talents dormants, nous continueront à applaudir les virtuoses des autres nations. Ou nous stagnerons dans la complaisance de caresser le flemmard dans le sens de sa paresse. Finalement, la réussite attire les «mouches», trop de «mouches» !
Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr