L’invincible Erdoğan

Alors qu’on le croyait en difficulté et en passe de perdre le pouvoir, le chef de l’Etat turc, Recep Tayyip Erdoğan, 69 ans, est sorti vainqueur du second tour de la présidentielle, tenu dimanche 28 mai 2023. D’après les résultats partiels communiqués par la Commission électorale, le « sultan des temps modernes », comme le surnomment certains médias occidentaux, est arrivé en tête du scrutin, avec 52 % des voix contre 48% pour son rival socio-démocrate, le septuagénaire Kemal Kilicdaroglu.

Savourant sa victoire, Erdoğan a immédiatement appelé à l’unité et à la solidarité autour des défis du pays. « Il est temps de mettre de côté les disputes de la campagne électorale et de parvenir à l’unité et à la solidarité autour des rêves de notre Nation », a-t-il lancé à ses compatriotes. L’alternance tant espérée par les opposants, qui ont affiché une union inédite à cette présidentielle, ne s’est pas faite. Erdoğan reste le maitre de la Turquie, auréolé d’un nouveau mandat de cinq ans. Jamais un président n’a autant duré au pouvoir en terre turque, comme Erdoğan, qui compte déjà 20 ans au pouvoir, d’abord en qualité de Premier ministre avant de briguer la magistrature suprême. Il a battu, en longévité au pouvoir, le fondateur de la République turque, Mustafa Kemal Atatürk.

L’ancien maire d’Istanbul, a su encore surfer sur la vague du nationalisme, pour garder les clés du palais présidentiel. Il a été soutenu, dans son élan, par sa formation politique, l’AKP et son grand allié, le parti nationaliste turc (MHP), qui ont développé à profusion les thèmes nationalistes face à l’électorat. Le chef de l’Etat turc n’était pas en bonne posture, pour demeurer aux commandes, au regard de la situation socio-économique non reluisante de son pays. Son trône n’avait jamais autant vacillé. Hormis l’usure du pouvoir, la crise économique marquée par la « vie chère » et les conséquences dévastatrices du séisme du 6 février 2023, qui a fait plus de 50 000 morts au Sud, ont contribué à fragiliser l’image et l’action d’Erdoğan.

Certains compatriotes du président turc, vent debout contre sa gouvernance, ont dénoncé sans fioritures, son « incapacité » à lutter contre l’inflation qui pèse sur les ménages et à gérer la crise sismique. Imperturbable comme jamais face à ses détracteurs, Erdoğan est un habitué des situations pénibles auxquelles il sait apporter des réponses. La tentative de putsch en 2016, qui a failli emporter son pouvoir, en est un exemple.

Sa côte de popularité a beau prendre un coup ces derniers mois, Erdoğan a fait feu de tout bois durant la campagne présidentielle, préférant raviver la flamme du patriotisme que de répondre à ses ennemis. Il a fait les éloges des drones turcs dans la guerre en Ukraine. Aussi s’est-il évertué à brandir, à la face du monde, les nombreuses réalisations (mosquées, autoroutes, aéroports…) engrangées sous son règne. On a beau l’aimer ou pas, il garde la main sur la Turquie, pays du Moyen-Orient de 85 millions d’habitants, et devra poursuivre ses actions de développement.

Sauf qu’il devra travailler à redorer son blason dans la conduite du pays. Plusieurs réformes font penser à la volonté du chef de l’Etat d’islamiser le pays. L’adoption de lois autorisant le port de signes religieux dans l’administration publique et l’introduction de la notion de djihad dans les programmes scolaires depuis 2017 en font partie. Si à son arrivée au pouvoir, le président turc s’est éloigné de l’idéologie des Frères musulmans, alliant savamment Islam et démocratie, il semble changer le fusil d’épaule. Il privilégie à présent un mélange d’islamisme et de nationalisme.

De quoi inquiéter ses alliés occidentaux, avec qui il commerce. Cette situation complique d’ailleurs les ambitions des autorités turques de voir leur pays intégrer l’Union européenne (UE). La liberté d’expression est aussi décriée par certains observateurs. Depuis 2014, année à laquelle Erdoğan est devenu chef de l’Etat, près de 2000 procédures judiciaires pour injures envers sa personne ont été enregistrées. Le président turc gagnerait donc à se consacrer à résoudre la crise économique et à redonner le sourire aux rescapés et aux familles des victimes du récent tremblement de terre. Du reste, Erdoğan a promis que ce nouveau mandat sera le dernier, mais faut-il encore faire confiance aux hommes politiques.

Kader Patrick KARANTAO

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