Susciter l’engouement des élèves pour la série ‘’C’’, tel est l’objectif qui a motivé le gouvernement burkinabè à lancer, en 2015, le projet de construction de deux lycées scientifiques nationaux en quatre ans. Mais cet ambitieux projet est confronté aux difficultés de démarrage, de rallonge du budget, etc. Décryptage.
Vendredi 26 avril 2019, il est 11 heures, à l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iE) de Kamboisin. Les étudiants de l’établissement sont en cours. Ils ne sont pas les seuls. Ils partagent leurs locaux avec une classe de seconde et de première ‘’C’’. Dans deux salles climatisées mises à leur disposition, les élèves suivent respectivement un cours de versification et de sciences physiques. Ces deux classes constituent le lycée scientifique national de Ouagadougou logé au sein de 2iE, en attendant la construction de ses propres locaux. A Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays, il y a effervescence, le mercredi 29 mai 2019, au secteur n°31, dans un établissement privé laïc mixte nommé Complexe scolaire Rockseed.
Il s’y déroule, sous un ciel clément, une cérémonie de clôture de l’année scolaire. Cette cérémonie n’est pas celle du Complexe scolaire Rockseed, mais plutôt de son hôte, le lycée scientifique national de Bobo-Dioulasso, qui y est en location. Les meilleurs élèves reçoivent des prix d’excellence composés de manuels scolaires avec les félicitations de l’administration. Avec 17,38 de moyenne annuelle, Samuel Yaméogo est le major de la seconde ‘’C’’ et Souleymane Konfé, avec 16,85 de moyenne annuelle, trône en tête de la première ‘’C’’. Selon celui-ci, c’est le travail bien organisé qui lui a permis d’être le meilleur. Quant à sa future orientation après le baccalauréat, son esprit balance entre la filière de l’aviation et celle de l’ingénierie en mines et carrières. L’élève compte se décider pour l’une des filières d’ici à la rentrée prochaine.
100% de succès
Pour le proviseur du lycée scientifique national de Bobo-Dioulasso, Mamoudou Diakité, le bilan de l’année est satisfaisant avec 100% de succès. Cette cérémonie de clôture de l’année scolaire est suivie, quatre jours après, par celle du lycée scientifique national de Ouagadougou, qui enregistre également un taux de succès de 100%. Le meilleur élève de la seconde ‘’C’’ du lycée est William Anicet Bonkoungou avec 17,36 de moyenne annuelle. « Ce succès est ma manière, à moi, d’être reconnaissant à l’Etat qui nous a donné l’opportunité de nous former dans les meilleures conditions », estime-t-il. Au niveau de la première ‘’C’’, deux filles, Amandine Elsie Yintaleo Compaoré et Laureine Chérifa Compaoré, ont obtenu la même meilleure moyenne annuelle de 16,79.
« Ces deux années m’ont permis de comprendre que les matières scientifiques ne sont pas difficiles, mais qu’elles exigent simplement une implication de l’élève pour une meilleure compréhension », fait remarquer Laureine Chérifa Compaoré. Pour le proviseur Jean Paul Boumboudi, ces résultats sont à la hauteur de ses attentes. Cependant, les résultats jugés satisfaisants par les deux proviseurs n’ont pas été sans difficultés. « La première année, quand un élève était malade, on avait des difficultés pour l’évacuer au CSPS ou au dispensaire Paul VI parce qu’on n’avait pas de véhicule administratif. Heureusement, cela a été réglé cette année », explique-t-il. Au lycée scientifique national de Bobo-Dioulasso, le proviseur Mamoudou Diakité soutient qu’ils ont eu des cas de maladies qui ont nécessité l’hospitalisation dans des cliniques. « Cela nous a coûté très cher et a entrainé l’épuisement de notre budget de santé dès le deuxième trimestre », note-t-il. L’autre difficulté exposée par les deux proviseurs est l’absence de maîtres d’internat pour assister les élèves la nuit dans leurs dortoirs. Comme solution palliative, cette tâche est provisoirement gérée par leurs attachés d’éducation respectifs.
« Ceux-ci dorment ici à l’internat à tour de rôle après leurs activités administratives de la journée alors que ce n’est pas dans leurs prérogatives », affirme le proviseur du lycée scientifique national de Ouagadougou. « Il faut comprendre que des pères et mères de famille qui doivent rester passer toute la nuit et le lendemain encore se retrouver au niveau du service pour travailler, c’est vraiment difficile », fait observer le proviseur du lycée scientifique national de Bobo-Dioulasso. Des scientifiques sans laboratoires Si Jean Paul Boumboudi salue l’action de ces attachés d’éducation en attendant le recrutement des maîtres d’internat habilités pour la tâche, son homologue de Bobo-Dioulasso, lui, lance un cri du cœur aux autorités pour que cela soit effectif à la rentrée prochaine. Les deux lycées scientifiques manquent également de laboratoires pour les manipulations sur leurs sites d’emprunt. « Nous sommes obligés de faire appel à un laboratoire mobile, mais celui-ci est limité en matériel. Cela fait que nos élèves n’arrivent pas à expérimenter convenablement le cours », regrette l’enseignant de sciences physiques du lycée scientifique national de Ouagadougou, Lassina Sawadogo. A Bobo-Dioulasso, les manipulations se déroulent dans le laboratoire du lycée Ouézzin-Coulibaly, distante du Complexe scolaire Rockseed. Mais la cohabitation avec les hôtes n’est pas facile.
« Au début, on a eu peur que le mélange de nos élèves avec des étudiants soit une source de difficultés mais à la longue, on s’est rendu compte que chacun se préoccupe seulement de sa réussite », se réjouit le proviseur du lycée scientifique national de Ouagadougou. Il salue l’hospitalité de ses hôtes des 2iE de Kamboisin qui, selon ses dires, ont mis les moyens nécessaires à la réussite de leurs activités pédagogiques. « Nos élèves sont logés dans des chambres individuelles comprenant un lit, une table d’étude, une chaise, un ventilo, une douche, un drap, une couverture et une moustiquaire. Ils bénéficient de trois plats quotidiens », a-t-il affirmé. A la différence du lycée scientifique national de Ouagadougou dont l’ensemble des élèves logent au sein de l’Institut 2iE, à Bobo-Dioulasso, c’est seulement les garçons qui logent au sein du Complexe scolaire Rockseed. Les filles sont logées au Foyer Vicenta Maria des « Religieuses de Marie Immaculée » à cause d’une insuffisance de site d’hébergement au Complexe scolaire Rockseed. Là-bas, les filles participent aux différentes activités des sœurs, notamment, les séances de prières, les travaux d’intérêt commun, l’organisation des fêtes. Si le proviseur du lycée de Bobo-Dioulasso loue la rigueur chez les sœurs, il regrette néanmoins que les tâches auxquelles elles assignent ses filles, occupent énormément celles-ci et les empêchent d’étudier.
« Nous avons interpellé plusieurs fois la sœur directrice mais elle a fait la sourde oreille », déplore-t-il. Face à ces différentes difficultés, les deux proviseurs espèrent pouvoir déménager à la rentrée scolaire prochaine dans leurs propres locaux qui sont πen construction. A ce jour, les travaux des deux lycées scientifiques, officiellement lancés en février dernier pour un délai d’exécution de six mois, accusent du retard. Situé au secteur n°23 de l’arrondissement n°2 sur une superficie de 4 hectares, dans le quartier Colma, le chantier du lycée scientifique national de Bobo-Dioulasso est à un taux d’exécution de 20%. Celui de la capitale situé au secteur n°8 de l’arrondissement n°8, dans le quartier Bassinko, sur une superficie de 3 hectares, n’est guère avancé. Il est à 12%, plus de quatre mois après le lancement des travaux. Selon le coordonnateur du Projet d’amélioration de l’accès et de la qualité de l’éducation (PAAQE), Armand Kaboré, le retard est dû à un problème technique. « Pour ces deux chantiers, nous avons perdu trois mois dans l’approbation des plans d’exécution des entreprises par le laboratoire national du bâtiment et des travaux publics », justifie-t-il. Avec ce retard, le chargé de suivi et de contrôle des travaux des deux lycées scientifiques, Jérémie Belemkoagba, précise que les délais d’exécution seront un peu décalés, mais il rassure quant à la disponibilité des ouvrages à la rentrée scolaire prochaine. « Pour cela, nous tenons chaque semaine deux réunions, l’une les lundis à Bobo-Dioulasso et l’autre les jeudis à Ouagadougou pour booster l’avancée des travaux », souligne-t-il, lui qui est également technicien en génie civil au projet PAAQE. L’optimisme du technicien est partagé par le coordonnateur Kaboré : « on a mis un dispositif de travail de nuit qui va nous permettre de rattraper le retard accusé ».
Selon lui, c’est un challenge de démarrer la prochaine année scolaire dans les locaux des deux lycées scientifiques, car la location des sites d’emprunts pèse énormément sur le budget de l’Etat et celui du partenaire. « En deux ans de location, l’incidence financière pour les deux sites d’emprunt tourne autour de 100 millions FCFA par an et par établissement, pourtant ce n’était pas prévu dans le projet », renseigne-t-il. La construction des deux lycées scientifiques nationaux est un aspect parmi tant d’autres du Projet d’amélioration de l’accès et de la qualité de l’éducation (PAAQE), débuté en 2015 par le gouvernement burkinabè et financé par la Banque mondiale pour une durée de quatre ans. De l’avis du représentant résident de la Banque mondiale au Burkina Faso, Cheick Kanté, ce projet va révolutionner l’éducation au pays des Hommes intègres. D’un montant de 5 milliards FCFA, la construction des deux lycées devait démarrer en 2016, mais elle a été retardée à la suite d’une conjugaison de facteurs. 5 milliards FCFA pour les deux lycées « On a eu des difficultés au départ pour trouver l’architecte pour les études de faisabilité et les études architecturales, car c’était un concept nouveau qui nous vient de la Tunisie », affirme le coordonnateur. Pour le maîtriser, le PAAQE a prévu un voyage d’étude de consultants en Tunisie pour une meilleure mise en œuvre au Burkina Faso. Malheureusement, selon Armand Kaboré, des difficultés n’ont pas permis la réalisation du voyage d’étude pendant les deux premières années du projet.
« C’est à la troisième année que nous avons pu faire le voyage d’étude, puis nous avons recruté l’architecte pour les études techniques et architecturales des deux bâtiments. Il ne nous restait plus qu’une année pour le mettre en œuvre », explique-t-il. Une année qui s’avère insuffisante pour boucler les travaux des deux lycées scientifiques du fait des retards enregistrés par les entreprises sur le délai d’exécution de six mois. Aussi, le gouvernement burkinabè a introduit auprès de la Banque mondiale, une requête de rallonge du projet qui a été accordé dans les principes (en attendant la formalisation) pour un an supplémentaire, c’est-à-dire jusqu’en juillet 2020.
« Ce qui nous laisse largement le temps de terminer les bâtiments, de les équiper et d’organiser les rentrées », se réjouit le coordonnateur. Selon le ministre de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales, Pr Stanislas Ouaro, le projet de construction des deux lycées scientifiques nationaux est parti du constat d’une désaffection des élèves pour les sciences, qui date depuis les années 1970. Selon les chiffres de l’office du BAC, le nombre de candidats au baccalauréat ‘’C’’ n’a guère atteint 200 élèves entre 2015 et 2018. Et pour cause, « lorsque des élèves doivent postuler à une bourse et que tous les bacs sont mis sur un même pied d’égalité, cela les décourage d’aller faire les sciences qui sont des disciplines difficiles », a expliqué le ministre. Leur attitude, après la première ‘’C’’, a-t-il poursuivi, c’est d’aller en Terminale ‘’D’’, plutôt que de continuer en Terminale ‘’C’’ et ce, pour avoir une très bonne moyenne afin d’obtenir la bourse pour aller étudier à l’extérieur. « Nous avons décidé de créer des lycées scientifiques, pour qu’il y ait plus d’engouement autour de la série ‘’C’’, afin que nous ayons des ingénieurs de qualité et des enseignants de sciences de qualité », a indiqué le ministre
Wurotèda Ibrahima SANOU
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