Economiste-fiscaliste, expert en développement international, chargé de recherche en économie au Centre national de recherche scientifique et technologique, Dr Janvier Kini, dans les lignes qui suivent, décrypte les mesures socioéconomiques annoncées par le président du Faso pour faire face aux conséquences désastreuses de la pandémie à coronavirus.
1. Introduction
Le Burkina Faso, un des pays les plus pauvres et vulnérables au monde, subit de plein fouet les conséquences désastreuses de la pandémie à Corona Virus, et particulièrement les mesures coercitives pour freiner la maladie qui met le système socio-économique en léthargie. Entre autres mesures fortes, la fermeture des frontières aériennes, terrestres et maritimes signifiant qu’il n’y a plus d’échange physique avec l’extérieur ; la mise en quarantaine des zones infectées ; la fermeture des marchés et yaars; et le couvre-feu qui suspend les activités de nuit de plusieurs entités économiques, notamment les entreprises culturelles, les vendeurs des abords des routes.
Vu que le pays est quasi-dépendant de l’extérieur (presque tout est importé) et du fait de la faible propension à épargner des ménages, l’économie ne pouvait que subir lourdement les conséquences de ces mesures drastiques. Aussi, notons-nous que le temps a manqué pour sécuriser les stocks des produits de grande consommation, alors que la production intérieure ne peut satisfaire aux besoins intérieurs.
Face à cette situation, le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, dans son adresse à la nation du Jeudi 2 avril 2020, a annoncé un ensemble de mesures sociales et fiscales visant à juguler les effets de la crise. Il nous a paru utile d’analyser la pertinence et la cohérence de ces mesures gouvernementales et les conditions de leur succès dans la mise en œuvre. Tel est l’objet de notre modeste contribution.
Rappelons que les objectifs visés par la relance par le budget sont : (1) soutenir l’offre de santé ; (2) assurer la relance économique du pays ; (3) garantir la soutenabilité budgétaire. L’atteinte de ces objectifs guidera la présente analyse qui comprend deux points : les mesures fiscales et mesures non fiscales. Par ailleurs, le cadre d’analyse porte sur trois éléments : la pertinence, cohérence et l’efficacité attendue de ces mesures.
2. Mesures fiscales
A la lecture des mesures fiscales initiées par le Chef de l’Etat, il ressort que c’est une réponse libérale/capitaliste car elles visent d’abord à soutenir l’entreprise. Ces mesures peuvent être classées en deux groupes : les mesures de «favoritisme» et les mesures d’«équité ».
2.1. Mesure fiscales d’équité et justice
Les mesures fiscales d’équité comprennent : la remise des pénalités et amendes exigibles (liée à la TVA, retenue à la source, IUTS/TPA par exemple) du fait de la crise ; l’exemption de la contribution du secteur informel (CSI) pour les micro-entreprises ; l’annulation des pénalités de retard dans l’exécution des marchés publics ; la réduction de 25% des patentes. Ces mesures fiscales sont pertinentes parce qu’elles allègent les tensions de trésorerie subies par les entreprises. Toutefois, la cohérence de ces mesures pose problème. En effet, si l’on considère l’exemption de la contribution du secteur informel, la mesure ne fait aucune différence entre ceux exerçant dans les marchés et yaars, les vendeurs ambulants et ceux dans les zones d’habitation (boutiquier du quartier…). Ainsi, bien que fondées, ces mesures risquent d’être partiellement efficaces, car un sentiment d’injustice y réside.
Par contre, l’exonération de la TVA sur la vente des produits utilisés dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 (Ex : gel hydroalcoolique, gans, cache-nez, chloroquine…) ; et l’exonération des taxes et droits de douanes sur les produits pharmaceutiques, consommables médicaux et équipements sont appropriées. En effet, ces exonérations réduisent le prix d’achat de ces biens, les rendant ainsi pertinentes, cohérentes et efficaces car de portée sociale et de justice sans conteste.
2.2. Mesures fiscales de favoritisme
Certes, l’entreprise est au cœur du système économique parce qu’elle crée la richesse. Mais certaines mesures prises par le gouvernement sont purement et simplement du favoritisme, voire une autorisation ouverte à la fraude. Ce sont : la suspension des opérations de contrôle sur place à l’exception de cas avérés de fraudes (c’est le cas des industries extractives, qui ne seront plus contrôlées lors des coulées ou pesées d’or sur trois mois) ; la suspension de la TPA (Taxe patronale d’apprentissage) sur les salaires au profit des entreprises du secteur du transport des personnes et de l’hôtellerie, de la restauration et du tourisme ; les remises d’impôts directs dans le cadre d’un examen individualisé des demandes et ce, pour les cas extrêmes.
En particulier, la suspension des opérations de contrôle est la mesure qui est loin d’être pertinente. Vu sous un angle, c’est une autorisation légale à la fraude notamment dans le secteur minier. Aussi, conduirait-elle à une surexploitation/surproduction dans ces industries extractives, afin de maximiser les profits sans contrôle du fisc ? En conséquence, fraude ou évasion fiscale est escomptée s’accroitre. Par ailleurs, la cohérence de ces mesures laisse à désirer car elles ciblent essentiellement la catégorie des grands contribuables (transporteurs, les mines…). Autrement dit, ce sont les plus riches qui en profiteront comme le rappelle Robert Kiyosaki (1998) dans le quadrant du cashflow : «le système capitaliste tel que le riche entrepreneur paie moins d’impôts en réalité du fait d’exonérations légales. Par contre, le travailleur paiera toujours l’impôt et ne peut en bénéficier d’aucune réduction». Ainsi, cette mesure apparaît comme inefficace surtout dans l’atteinte de la soutenabilité budgétaire.
3. Mesures non fiscales
3.1. Mesures d’accès au financement
La mesure de répercuter la baisse du coût de ressources de la BCEAO sur les taux d’intérêts de crédits à la clientèle relève de la politique monétaire. Dans le principe, cette mesure est pertinente en ce sens qu’en période de crise, l’activité économique subit une récession avec la méfiance des banques et établissements financiers d’accorder des prêts aux clients. Cette mesure est aussi cohérente vis-à-vis des besoins des entreprises car elles font face à des problèmes de trésorerie et veulent des ressources pour financer leur fonds de roulement. En conséquence, son efficacité, c’est-à dire, sa capacité à accroître l’activité économique est réelle. Toutefois, si les conditions actuelles d’accès au crédit (Ex. les garanties) à la fois par les entreprises et les ménages demeurent, cette mesure ne bénéficiera pas à la majorité des acteurs économiques surtout les micro, petites et moyennes entreprises, et les ménages pauvres.
3.2. Mesures sociales
Les mesures non fiscales à caractère social prises par le gouvernement sont pertinentes dans l’ensemble. Ce sont : la prise en charge des tranches sociales (d’eau et électricité) ; gratuité de l’eau des bornes fontaines ; rabattement de 50% des factures d’électricité pour les couches sociales ; annulation des pénalités ; réduction de moitié les coûts de kits solaires ; réactivation des boutiques de la SONAGESS. Elles touchent une partie des Burkinabè et non la majorité (les personnes pauvres n’ayant pas accès à ces services (zones non-loties des villes et les villages), si fait qu’elles sont cohérentes en partie. Ces mesures sont réputées efficaces en ce sens que les ménages bénéficiaires sentiront un allègement de leurs charges.
Un bémol est que ces mesures ne font aucune distinction entre les ménages engagés dans des activités informelles ou PME et les ménages des travailleurs. En effet, les premiers bénéficient déjà des mesures fiscales ci-dessus énumérées et les seconds non. Aussi, les entreprises individuelles pour lesquelles il n’y pas de distinction nette entre le propriétaire et l’entreprise elle-même sont aussi des bénéficiaires. Dans ce cas d’espèces, la notion de mesures sociales n’est plus valable, car elles supportent le capital au même titre que le travail. En conséquence, ces mesures instaurent plus une iniquité dans la dépense publique.
Aussi, les mesures supplémentaires visant les acteurs des marchés et yaars fermés, notamment la suspension des loyers et des droits de place, la prise en charge des factures d’eau et d’électricité et la prise en charge des frais de gardiennage. Ces mesures sont bien pertinentes et mêmes cohérentes vis-à-vis des besoins/plaintes exprimées par ces acteurs lors de la fermeture des marchés. Ces mesures sont potentiellement efficaces pour atténuer les effets de la crise sanitaire sur les acteurs du secteur d’activités.
Enfin, les mesures de relance à effets durables comprennent : la mise en place d’un fonds de relance économique des entreprises en difficultés; l’acquisition d’intrants agricoles et d’aliments pour bétail; l’instauration d’un fonds de solidarité au profit des acteurs du secteur informel (femmes du commerce des légumes et fruits) ; le financement de la recherche sur les maladies infectieuses et la production de médicaments.
De telles mesures sont pertinentes en ce qu’elles escomptent soutenir durablement l’activité économique tant dans le secteur agricole (agriculture-élevage), le secteur des services (commerce) et le secteur de la recherche en matière de santé. Aussi, il y a une cohérence entre les besoins réels et les mesures d’autant plus que le secteur agricole emploie la majorité des Burkinabè.
Aussi, une bonne dotation de ressources à la recherche (en santé) révèle la prise de conscience de la part des autorités de l’importance de la recherche scientifique dans la stabilité macro-économique dans les pays. L’efficacité des deux premières mesures dépend des bénéficiaires réels ciblés ; objectivement, les plus nantis s’en tireront mieux que les moins nantis.
4. Conclusion
Cette panoplie de mesures traduisent la solution libérale à la crise qui place au cœur du système l’entreprise au détriment du travailleur alors que les deux sont complémentaires. Ceci est un paradoxe lorsque l’on demande un sacrifice et un engagement collectif et que les mesures favorisent les uns par rapport aux autres. En effet, comment rechercher une soutenabilité budgétaire (supposant accepter l’austérité) pendant qu’une certaine catégorie d’acteurs sont autorisés à frauder ?
Aussi, toutes ces mesures fiscales ne garantissent aucunement que certains travailleurs (du privé notamment) ne tombent dans le chômage car ils sont toujours les premières victimes de ce système en temps de crise.
Le travailleur (permanent et temporaire) est supposé bien solide pour affronter les effets de la crise et doit financer de gré ou de force les dépenses publiques envisagées. Bien-sûr, les mesures sociales liées aux factures d’eau, d’électricité et voire de la SONAGESS allègent, mais pourquoi aucune mesure fiscale n’est prise pour lui étant donné qu’il représente une part importante de la consommation nationale. C’est dire que les objectifs visés par les présentes mesures risquent fort de ne pas être atteints, surtout en période de grogne syndicale.
En perspective, il conviendrait : (1) d’annuler les mesures de favoritisme pour plus de justice fiscale, (2) mieux identifier les acteurs du jeu économique touchés (toute couche professionnelle) et leurs besoins spécifiques pour des mesures plus adéquates, car les ressources sont limitées ; (3) revoir les dépenses superflues de l’administration et les montants des comptes spéciaux à la baisse pour plus de ressources à engager avec efficacité et transparence.
Par Dr Janvier KINI
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