Moussa Alex Sawadogo, DG du FESPACO: “Le cinéma paie un lourd tribut à cause du coronavirus”

La 27e édition du FESPACO, prévue du 27 février au 6 mars 2021, a été reportée sine die, lors du dernier Conseil des ministres, en raison de la persistance de la maladie à coronavirus. Le Délégué général de la biennale du cinéma africain, Moussa Alex Sawadogo revient, dans cette interview sur cette décision et évoque les perspectives pour les mois à venir.

Sidwaya (S): La 27e édition du FESPACO vient d’être reportée pour cause de coronavirus. Quelle commentaire cela vous inspire?

Moussa Alex Sawadogo (M.A.S.): La 27e édition du FESPACO devait se tenir dans un contexte particulier, marqué par la survenue de la COVID-19 qui crée une situation sans commune mesure dans l’histoire contemporaine de l’humanité. Et ses effets se font violemment ressentir dans le secteur de la culture et notamment sur les grands rendez-vous culturels. Même le mythique festival de Cannes n’y a pas échappé, lui qui a dû reporter ses dates. La bourrasque s’est répandue sur bien d’autres manifestations, notamment sur le continent africain avec les annonces de révision du format, puis du report des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), la sœur jumelle du FESPACO en Tunisie. Hormis, ces événements, l’industrie cinématographique, elle-même, subit les contrecoups de la pandémie de la COVID- 19, et ce, dans le monde entier. Les restrictions et les mesures sanitaires adoptées ont obligé bon nombre de plateaux de tournages à, soit s’arrêter, soit s’annuler. L’exploitation et la diffusion des films connaissent un coup d’arrêt dans de nombreux pays avec la fermeture des salles de cinéma, ou se sont déportées sur les plateformes en ligne. L’Afrique, où l’industrie culturelle et créative évolue déjà dans des conditions « précaires et difficiles », a vu les effets de la pandémie de la COVID-19 sur son cinéma se démultiplier. Les fondements, qui prédestinaient à l’organisation des évènements artistiques et culturels, sont aujourd’hui questionnés. Au moment où se profile la 27e édition, celle qui doit donner à voir un nouveau départ attendu de cette manifestation, il s’agit d’interroger notre capacité de création afin d’imaginer une manifestation fortement ancrée dans ses objectifs fondateurs, mais aussi l’adapter au contexte mondial, dont elle est tributaire.

S : N’était-il pas possible d’envisager un format plus réduit au niveau local au lieu d’un report ?

M.A.S: Oui, il était possible d’envisager plusieurs scénarii à l´instar de nombreux festivals décalés ou « reformatés ». Différents formats ont été réfléchis, pensés pour le public et les professionnels nationaux, mais la recrudescence de la pandémie nous a amené à proposer un report afin de préserver la santé de notre public. Nous avons même imaginé une alternative avec un FESPACO virtuel, mais cela nécessite une importante logistique en terme de télécommunication… Mais le FESPACO vous le savez, c’est une âme, c’est la rencontre entre un public et son cinéma, c’est son caractère populaire et en toute responsabilité le gouvernement a décidé du report. Le FESPACO, est un évènement culturel certes, mais il a aussi une responsabilité citoyenne, et nous ne saurons tenir un évènement qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses sur la santé des populations, pour lesquelles nous travaillons justement.

S : Quelle alternative pour satisfaire, en attendant, un tant soit peu les cinéphiles africains et burkinabè en particulier ?

M.A.S.: Nous ne voulons pas prendre de risque pour l’instant. De toutes les façons, nous tenons à la 27e édition en 2021. Et une période est envisagée pour le dernier trimestre de l’année. Mais, comme plusieurs festivals ont reporté leurs dates, des concertations sont en cours avec des festivals de cinéma dans le monde, afin d’harmoniser nos dates, et que l’un n’empiète pas sur l’autre en terme de calendrier. Comme tout le monde, nous sommes déçus de ne pas tenir le FESPACO à la date prévue, mais il s’agit pour le moment de report et pas d’annulation. Nous espérons et prions pour que les choses aillent dans le bon sens, afin que nous nous retrouvions très rapidement dans les salles pour voir du cinéma, et ces films africains que nous aimons tant !

S : D’aucuns estiment que c’est plutôt un problème technique sur le plan organisationnel qui aurait occasionné ce report. Qu’en pensez-vous ?

M.A.S.: J´ai été nommé le 15 octobre 2020. On me dirait que le temps est si court pour réussir l´organisation d´un festival de cette envergure. Avancer de tels propos, c´est ignorer que le FESPACO est une solide institution avec une solide équipe d’hommes et de femmes rompus dans l´organisation de cet événement. J’ai rejoint des collègues qui étaient déjà prêts à relever les défis de l’organisation de cette 27e édition avec un plan de préparation bien avancé. D’ailleurs vous l’avez vu, l’appel à films avait été lancé en octobre et nous avons commencé à recevoir des films. C’est dire que les choses se mettaient en place et que la décision du report est motivée uniquement par la recrudescence de la maladie à coronavirus. Il est vrai que c’est une décision qui aura des conséquences fâcheuses pour de nombreuses personnes, mais tous les grands évènements de ce monde connaissent un chamboulement dans leur structuration et les activités qu´ils mènent. Pensons à la santé des réalisateurs, des producteurs, des distributeurs, des programmateurs, du public. Etc. C´est avec eux que nous réussirons et garderons l´âme de notre festival.

S : Ce report a-t-il occasionné des pertes sur le plan financier ?

M.A.S. : Les pertes financières pour qui ? Pour le FESPACO ou pour l’industrie du cinéma ? Pour le FESPACO, non, pas vraiment ! Pour les professionnels du cinéma certainement, mêmes si elles ne sont pas précises en ce moment. On sait que de nombreuses productions calent la sortie de leurs films sur les dates du FESPACO. Des organisations programment des activités pendant le FESPACO. Les établissements hôteliers et de restauration, les agences de voyage et de tourisme, attendaient ce FESPACO pour améliorer leur chiffre d’affaires de l’année. Pour ceux-là, il y a sûrement des pertes, mais je dirais plutôt des reports puisque la décision porte bien sur le report du FESPACO.
Il est clair que le cinéma et partant la culture paie un lourd tribut du fait de la pandémie.

Interview réalisée par
W. Aubin NANA

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