Moussa Koné, président de la Chambre nationale d’agriculture

A quoi servent les chambres d’agriculture au Burkina Faso ? A travers cet entretien, Moussa Koné, président de la Chambre nationale d’agriculture donne la réponse et décline également ses attentes vis-à-vis de l’Etat, des partenaires et du monde rural. M. Koné parle par, ailleurs, des questions liées à la carte professionnelle de l’agriculteur, la maîtrise de l’eau, la distribution électronique des intrants et les brouilles entre personnels et responsables du ministère en charge de l’agriculture.

Sidwaya (S) : Comment voyez-vous le déroulement de la campagne agricole 2020-2021 ?

Moussa Koné (M.K.) : Cette campagne a connu un retard dans son démarrage. Cela a suscité des inquiétudes chez l’ensemble des acteurs du monde rural. Mais, Dieu merci, les pluies se sont installées et l’on peut dire aujourd’hui que la campagne a bien démarré.

S : De nombreux citoyens ignorent les missions assignées aux chambres d’agriculture. Quel est le rôle dévolu à la Chambre nationale d’agriculture du Burkina Faso ?

M.K.: La Chambre nationale d’agriculture (CNA) est une institution consulaire du monde rural qui est investie d’une mission de service public, ayant une autonomie de gestion et une personnalité juridique. Elle se positionne comme l’interface entre les acteurs du monde rural et les pouvoirs publics. C’est une institution qui fait la promotion des activités agro-sylvo-pastorales, halieutiques et fauniques. Elle travaille beaucoup dans l’information, la sensibilisation et accompagne les pouvoirs publics, notamment dans la mise en œuvre des projets et programmes dans les domaines agro-sylvo-pastoral, halieutique et faunique. Nous jouons un rôle central dans l’accompagnement des acteurs du monde rural. C’est une institution qui représente les acteurs à la base. Nous sommes représentés dans tous les villages avec quatre délégués consulaires par village, nous avons également des délégués aux niveaux départemental, provincial et régional.
Lors du Conseil des ministres du mercredi 22 juillet 2020, le gouvernement a adopté deux décrets dont l’un porte sur la création du Fonds de développement agricole (FDA), domicilié dans les livres de la Banque agricole du Faso (BADF) et l’autre sur la création d’un mécanisme d’assurance agricole au Burkina Faso. L’adoption de ces deux décrets participe à la facilitation de l’accès des petits producteurs aux crédits agricoles, nécessaire pour le développement de leurs activités et aussi, à un mécanisme permettant de réduire leurs vulnérabilités face aux aléas climatiques.
Je voudrais, au nom de l’ensemble des producteurs agro-sylvo-pastoraux, halieutiques et fauniques, remercier l’ensemble du gouvernement et singulièrement le ministère de l’Agriculture et les autres acteurs du monde agricole pour les efforts consentis en vue de l’adoption de ces textes qui viennent répondre aux préoccupations du monde rural. Nous fondons l’espoir que l’opérationnalisation du FDA et de l’assurance agricole se fera dans des délais raisonnables à la grande satisfaction du monde rural.

S : Une étude diagnostique menée en 2016 a montré que la majorité des chambres régionales d’agriculture assurent difficilement leur rôle vis-à-vis des populations et des partenaires des services publics et privés. Qu’est-ce qui est envisagé pour remédier à cela ?

M.K. : Nous travaillons avec les pouvoirs publics pour donner un nouveau visage à la chambre d’agriculture. Nous faisons toujours le plaidoyer auprès des autorités afin qu’un certain nombre de projets et programmes soient au niveau des chambres d’agriculture. Ce qui nous permettra de suivre leur mise en œuvre et donner la vraie information aux acteurs. Aussi, nous travaillons avec le ministère de l’Agriculture pour renforcer tout ce qu’il y a comme accompagnement en lien avec le fonctionnement de la Chambre nationale d’agriculture, les capacités des acteurs du monde agricole mais également en matériel roulant. Parce que nous sommes aujourd’hui dans une situation où les acteurs à la base attendent beaucoup de cette chambre. Ces deux dernières années, les lignes ont pu bouger. Il y a plusieurs partenaires aujourd’hui qui accompagnent les chambres d’agriculture à travers des signatures de conventions et toujours par le truchement de notre tutelle technique qui est le ministère de l’Agriculture avec également les autres ministères intervenant dans le développement rural. Nous travaillons en étroite collaboration pour que nous soyons plus impliqués dans la mise en œuvre d’un certain nombre de projets de développement.

S : La communication est inscrite au centre de cette 3e mandature afin de faire bouger les lignes. Quelles sont les dispositions que vous avez prises dans ce sens pour réussir le pari ?

M.K. : Ce que nous faisons déjà, c’est de la communication. On ne peut pas mener une activité aujourd’hui sans prendre en compte l’aspect lié à la visibilité. Nous avons cette mission de redevabilité à l’endroit des acteurs qui sont à la base. Nous recherchons la visibilité de nos actions sur le terrain, c’est pour cela que pour cette mandature nous avons mis l’accent sur la communication. Celle-ci va nous permettre de nous faire connaître parce que c’est une jeune institution mais qui a une lourde responsabilité. Une communication qui va nous permettre également d’attirer un certain nombre de partenaires parce que si vous n’êtes pas visible, il sera difficile pour certains partenaires de venir vers vous. Ces deux dernières années beaucoup d’actions ont été faites en matière de communication et cela nous a permis de rencontrer de nouveaux partenaires. Cela nous a permis également de renforcer notre lien avec les autorités et de créer cette confiance entre nous et certains acteurs. Du reste, nous voulons que cette chambre ne soit pas visible uniquement au niveau central. Que cela se fasse au niveau déconcentré, au niveau communal. Nous avons élaboré notre plan stratégique de développement, dans lequel des actions en lien avec la communication ont été prises en compte. C’est un plan quinquennal et nous pensons que si nous arrivons à avoir de l’accompagnement, nous allons pouvoir le mettre en œuvre.

S : Pour atteindre vos objectifs, il faut une certaine sérénité au sein de votre ministère de tutelle notamment celui de l’agriculture, ce qui n’est pas actuellement le cas avec les tensions entre les premiers responsables et une partie du personnel. Quelle lecture en faites-vous ?

M.K. : Comme dans toute institution, il y a toujours des difficultés entre les partenaires. Nous, en tant que bénéficiaires des actions du ministère, on ne peut que souhaiter que l’ensemble des parties reviennent à la raison et que l’on privilégie l’intérêt général des acteurs qui est de maximiser nos productions. Ce n’est pas du tout facile, la plupart des agents de terrain se battent jour et nuit à nos côtés pour la maîtrise des itinéraires techniques de production, l’élaboration des plans d’affaires… Nous avons intérêt à ce qu’il y ait une bonne collaboration, que ces agents aussi puissent être dans de bonnes conditions de travail.

S : Quels sont, à l’heure actuelle, les défis que la Chambre nationale d’agriculture doit relever ?

M.K. : La Chambre d’agriculture est une institution qui regroupe pratiquement tous les domaines de développement rural. On attend beaucoup de nous dans le sous-secteur de l’élevage, de l’environnement, de l’agriculture. Il y a plusieurs défis à relever. Mais, il faut travailler à fixer des priorités. Aujourd’hui, le plus grand défi que nous avons, c’est arriver à atteindre l’autosuffisance alimentaire. Nous devons accompagner durablement le gouvernement dans ses actions pour atteindre cet objectif. Cela ne va pas se passer sans les acteurs à la base, sans le sens de l’organisation. L’une des grandes missions de la Chambre d’agriculture, c’est d’arriver à organiser ces acteurs pour qu’ils puissent profiter d’un certain nombre d’actions qui vont leur permettre de booster leurs productions. En 2018, nous avons fait une sensibilisation à la création et à l’organisation des coopératives. Avec la nouvelle loi OHADA, nous avons sensibilisé suffisamment les acteurs afin qu’ils aillent à la nouvelle coopérative. Nous travaillons également avec des projets et programmes pour des formations en lien avec le renforcement des capacités. Les défis sont énormes et nous en sommes conscients. Mais nous allons procéder par élimination afin d’atteindre nos objectifs.

S : De nos jours, il est de plus en plus question de la distribution électronique des intrants, une première au Burkina qui connaît des difficultés sur le terrain. Comment s’y prendre pour que cette opération se déroule normalement ?

M.K. : Il y a eu de l’évolution au niveau de la distribution des intrants et équipements subventionnés de l’Etat. Il s’agit de la distribution électronique qui a pour but d’envoyer des bons électroniques aux bénéficiaires. C’est une innovation majeure qui va sans doute révolutionner un peu le mécanisme de distribution des intrants au niveau du secteur agricole. Comme tout nouveau mécanisme, il peut y avoir un certain nombre de difficultés. Sur le terrain on en a rencontrées, surtout par rapport à la couverture du réseau, à l’analphabétisme des acteurs qui n’arrivent pas à lire les messages et même pour le paiement de ces intrants via Orange money. Mais il y a des efforts qui ont été faits dans ce sens pour régler ces problèmes. Nous pensons que si nous travaillons à déceler tout ce qui a été posé comme problème par-ci, par-là, nous allons résoudre ces difficultés et avoir un mécanisme qui sera véritablement adapté aux réalités du monde rural.

S : Rien que le mardi 28 juillet dernier, des producteurs sont sortis de leur silence pour dénoncer, par voie de presse, le détournement massif d’intrants par un certain nombre d’acteurs. En tant que responsable d’une structure chargée de la défense des intérêts des producteurs, qu’en dites-vous ?

M.K. : Je ne ferai pas de commentaire à ce niveau parce que c’est une association de droit privé qui a fait cette communication par rapport aux détournements. Je pense que c’est un problème interne à cette organisation. Nous travaillons à défendre les intérêts moraux et matériels des agriculteurs. Nous ne serons pas d’accord que les intrants qui sont destinés aux producteurs soient détournés à d’autres fins.

S : Il y a également la qualité des intrants qui est souvent remise en cause par les producteurs. Comment se fait-il que l’Etat en vient à distribuer des intrants de mauvaise qualité à ses producteurs et qu’est-ce qui est envisagé à votre niveau pour changer la donne ?

M.K. : Nous avons toujours interpellé l’autorité par rapport à la qualité des intrants agricoles, que ce soit les engrais ou les produits phytosanitaires, nous sommes les premières victimes. L’interpellation c’est de dire à l’institution qui est chargée du contrôle de ces intrants de travailler à ce qu’il y ait une certaine proximité et que nous puissions avoir de petites unités de contrôle au niveau déconcentré et de renforcer la police à ce niveau. Parce que la plupart des acteurs s’approvisionnent aujourd’hui dans les marchés de rue. Ils achètent les pesticides d’origine douteuse parce que, malheureusement, nous avons des frontières très poreuses et ces intrants rentrent n’importe comment. Les produits prohibés exposent vraiment nos acteurs. Donc, il serait bien que l’autorité joue son rôle régalien et renforce ses dispositifs de contrôle jusqu’au niveau déconcentré. C’est seulement à ce prix que nous pourrons vaincre ce trafic illicite qui met à mal notre production nationale. Je profite de votre micro pour interpeller encore une fois de plus le ministère de l’Agriculture afin d’éviter l’achat des intrants qui ne sont pas du tout homologués. Du reste, nous en tant qu’institution consulaire, nous travaillons à la sensibilisation, à donner l’information à certains producteurs pour qu’ils jouent un peu ce rôle de veille citoyenne pour que si, par mégarde, il y a une prolifération de ces produits prohibés, dans certaines zones, on puisse avoir l’information et donner l’alerte à l’autorité.

S : Cette année, vous avez entamé l’enregistrement des exploitations agro-sylvo-pastorales, halieutiques et fauniques. Quelle est l’importance d’une telle opération ?

M.K. : L’une des grandes missions des chambres d’agriculture est d’arriver à créer un registre des exploitants agricoles, halieutiques et fauniques au niveau de chaque Chambre régionale d’agriculture. Nous avons eu la chance qu’en 2015, dans la loi N°070, cette disposition a été prise. En 2018, le décret a été finalement adopté en conseil des ministres. C’est le lieu de remercier le gouvernement parce qu’aucune activité ne peut prospérer sans qu’il n’y ait un statut. Aujourd’hui, le statut de métier d’agriculteur est connu. Grâce à ce décret, nous allons opérationnaliser ce processus d’enregistrement des exploitations agro-sylvo pastorales, halieutiques et fauniques. Comme cela relève, en fait, des chambres d’agriculture, c’est à elles d’opérationnaliser ce décret et très rapidement nous avons lancé le processus d’enregistrement. Nos délégués départementaux ont été mis à contribution. Ils mettent à la disposition des producteurs des fiches de demande parce que dans le décret, il est dit que l’adhésion est volontaire. C’est l’agriculteur qui fait la demande d’enregistrement. Ces fiches seront collectées au niveau de chaque chambre régionale et ensuite acheminées à la chambre nationale. Après validation, nous allons procéder à la délivrance des cartes professionnelles de l’agriculteur. Cette carte donne beaucoup d’avantages à son détenteur. Elle peut lui permettre de bénéficier de l’accompagnement de l’Etat à travers un certain nombre de projets et programmes. Ça va lui permettre également de bénéficier des crédits agricoles. Comme vous le savez, aujourd’hui, nous avons la banque agricole. Les clients de cette banque qui veulent faire des investissements structurants dans le secteur agricole doivent être détenteur de cette carte. Il y a également le décret sur le nantissement. Vous conviendrez avec moi que la plupart de nos petits exploitants n’ont pas de garantie et ne disposent pas d’équipements éligibles en termes de nantissement auprès des institutions bancaires de la place. Grâce à ce décret, ils pourront nantir ces équipements auprès de certaines d’institutions. Je pense qu’aujourd’hui, en tout cas, l’environnement juridique est favorable, à nous maintenant de profiter de ce cadre juridique pour pouvoir accompagner durablement les acteurs du monde rural. Aussi, il n’y a que la carte professionnelle de l’agriculteur qui va donner le statut d’agriculteur. De nos jours, qui est agriculteur et qui ne l’est pas ? J’ai toujours souhaité que quand on donne la profession « cultivateur » à quelqu’un, cela soit attesté par un document. Quand vous partez faire votre pièce d’identité et qu’on demande votre profession, vous dites cultivateur. Quel document l’atteste ? Par contre, quand vous avez la carte professionnelle de l’agriculteur, je pense que l’autorité sera plus à l’aise de vous donner cette profession. Ce que je voudrais signaler au passage, c’est que ça ne concerne pas uniquement les acteurs des productions végétales. Ça prend en compte tous les acteurs des secteurs agro-sylvo-pastoral, halieutique et faunique. Il ne faut pas que le mot « agriculteur » déroute ceux qui sont dans la production animale. C’est l’agriculteur avec grand « A », donc ils sont tous concernés ainsi que tous les producteurs qui sont dans l’environnement, dans les transformations des produits forestiers non ligneux. C’est un grand chantier que nous avons en face de nous et nous pensons qu’avec l’accompagnement des partenaires, de l’Etat, nous allons rendre opérationnel ce décret qui va permettre véritablement de donner un statut au métier d’agriculteur.

S : Est-ce que le fait que les exploitations ne soient pas sécurisées ne va pas poser problème ?

M.K. : C’est un sérieux problème. Aujourd’hui, quand on parle de production on parle de la sécurité foncière. Quand vous voulez faire des investissements structurants sur une exploitation, il faut que cette exploitation soit sécurisée. Pour que certains partenaires vous accompagnent même dans ces investissements, ils vont sans doute se rassurer que l’exploitation sur laquelle vous allez faire les investissements vous appartient. Ça nous ramène vraiment à la question foncière qui est une question épineuse aujourd’hui dans notre pays. Nous sommes en train de voir avec l’autorité dans quelle mesure on va assouplir les conditions d’obtention des attestations de possession foncière au niveau des communes. Notre rôle au niveau des chambres d’agriculture actuellement, c’est de travailler beaucoup à la sensibilisation, à l’information. Nous disons toujours aux producteurs : Travaillez à sécuriser vos terres parce que quand vous n’avez pas une exploitation sécurisée, aucun bailleur ne va vous accompagner. Mais comme nous le savons très bien, notre secteur agricole est dominé par de petits exploitants familiaux, souvent les problèmes de moyens font que les gens n’arrivent pas à sécuriser leurs terres.

S : S’il y a un aspect que vous jugez important et que nous n’avons pas pu aborder au cours de l’entretien, à vous la parole.

M.K. : Je voudrais dire que pour que notre secteur agricole se développe, il faudrait que nous travaillions à changer les mentalités. L’agriculture du Burkina ne peut pas être une agriculture pluviale. J’ai toujours dit que 80% des agriculteurs jouent à la loterie. Parce qu’on attend toujours la pluie, on ne sait pas quand est-ce qu’il va pleuvoir. Alors, pour que ce secteur se développe, il faut que nous soyons beaucoup plus professionnels. C’est pour cela que le ministère de l’Agriculture, dans son schéma de développement de l’agriculture, a intérêt à mettre un accent particulier sur la maîtrise de l’eau. Quand vous n’avez pas l’eau, vous ne pouvez pas produire. Quand vous regardez, 80% de ces acteurs travaillent pratiquement 3 mois sur 12. C’est inconcevable et il faut vraiment arriver à inverser un peu la tendance de sorte que ces 80% puissent travailler au moins 8 mois sur 12. Nous pensons que pour pouvoir révolutionner notre secteur agricole c’est de travailler sur des exploitations modèles, des exploitations qui vont permettre à certains producteurs de produire en moyenne 3 ou 4 fois dans l’année. Et cela est possible. Ailleurs, ça se fait, au Burkina aussi on peut le faire. Ces exploitations peuvent être approvisionnées de diverses manières soit avec des eaux de barrage, soit en exploitant les eaux souterraines. Nous pensons que déjà, de plus en plus, les mentalités changent et que nous orientons nos efforts sur les capacités de maîtrise d’eau pour permettre aux acteurs de produire durablement. Aussi, cela ne peut pas se faire sans une prise en compte de toute la chaine de valeurs. La plupart des producteurs aujourd’hui ont les produits sous la main qu’ils n’arrivent pas à vendre parce qu’il n’y a pas de petites unités de transformation. Donc tous ces aspects doivent être pris en compte. Egalement, il y a la question du marché qu’il faut régler. S’il y a un secteur aujourd’hui qui peut développer notre pays, c’est vraiment celui de l’agriculture.

Interview réalisée par

Ouamtinga Michel ILBOUDO
Omichel20@gmail.com

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