La quatrième audience du procès du putsch avorté de septembre 2015 a eu lieu, le lundi 26 mars 2018,
à Ouagadougou. Le président du tribunal, Seydou Ouédraogo, a rejeté les nombreuses observations préliminaires et les exceptions de procédure soulevées par les avocats des accusés. Des mémoires en nullité et des requêtes en récusation de la défense n’ont également pas eu d’écho favorable.
Le procès du putsch manqué se poursuit lentement mais sûrement. La Chambre de première instance du tribunal militaire s’est réunie en audience, pour la quatrième fois, le lundi 26 mars 2018 à Ouagadougou. Dès l’entame, à 8h30, le président du tribunal, Seydou Ouédraogo, a tout de suite rendu une décision relative aux observations préliminaires et exceptions soulevées par la défense lors des sessions précédentes. Il n’a donné droit à aucune d’entre elle, rejetant certaines requêtes et se déclarant incompétent pour statuer sur d’autres. Seydou Ouédraogo a estimé, par exemple, que sa juridiction ne peut connaître des irrégularités attenant à la composition de la Chambre de première instance, ni de celles ayant entaché l’opération de tirage au sort des juges assesseurs militaires, telles que soulevées par les avocats de la défense.
Quant aux magistrats civils nommés au parquet militaire pour assister le procureur militaire, le président du tribunal a indiqué que leur mandat est à durée indéterminée, et que par conséquent, ils ont bel et bien qualité pour siéger aux côtés du procureur Alioun Zanré à ce procès.
A propos de la requête mettant en doute l’indépendance et l’impartialité du tribunal, le président de la juridiction l’a rejetée, la jugeant «mal fondée». Au sujet de la requête relative à son auto-récusation, le président Seydou Ouédraogo, prenant motif sur les articles 27 du code de justice militaire
et 649 du code de procédure pénale, s’est encore déclaré incompétent pour statuer. Ces dispositions commandent notamment à l’accusé désireux de récuser un magistrat du siège, d’adresser une requête au président de la Cour d’appel.
A la suite de cette première décision, le président du tribunal a ouvert les débats sur deux nouvelles requêtes introduites par la défense. C’est d’abord l’avocat de la défense, Me Mathieu Somé, qui a défendu un mémoire demandant l’annulation de l’arrêt de renvoi de la Chambre de contrôle pour violation des droits de la défense. Au moyen de sa demande, il soutient notamment que son client, Gilbert Diendéré, n’a pas pu bénéficier de l’assistance de trois de ses avocats étrangers, du fait que leurs constitutions à ses côtés ont été refusées par le juge d’instruction.
«C’est après les décisions de la Cour de cassation et de la Cour de justice de la CEDEAO, qui a amené la Chambre de contrôle à admettre leur constitution, que les avocats ont été rappelés, alors que l’instruction était terminée. C’est une cause de nullité substantielle, car les droits de la défense ont été violés», a-t-il soutenu.
De la perquisition chez Diendéré
Me Somé a également argué sur l’irrégularité de la perquisition au domicile de Gilbert Diendéré parce qu’elle aurait été réalisée, selon lui, à l’insu de l’accusé. Mais surtout, l’avocat a encore soutenu que les expertises réalisées à propos de son client n’ont pas été faites dans le respect de la loi, puisque les objets soumis à expertise devraient être au préalable présentés à l’accusé pour reconnaissance. «Après l’expertise de son téléphone principal, la puce a disparu. Des sommes d’argent également ont disparu lors de son arrestation», a renchéri l’avocat de Gilbert Diendéré. Autant de raisons qui lui ont fait demander au président du tribunal d’annuler ledit arrêt. «Appliquez la loi s’il vous plaît», a-t-il clamé.
Sur cette première requête, le parquet militaire a soutenu que ces moyens avaient déjà été soulevés et débattus devant la Chambre de contrôle et que la défense s’est déjà pourvue en cassation à la suite de l’arrêt de mise en accusation. «Votre juridiction n’est pas celle devant laquelle il faut invoquer ces moyens», a déclaré le procureur militaire au président du tribunal. Au demeurant, il a soutenu que la défense tend à remettre en cause le professionnalisme des officiers de police judiciaire, ce sur quoi il se porte en faux. Abondant dans le même sens, la partie civile, par la voie de Me Prosper Farama a estimé que cette requête constituait une redite et que le président du tribunal n’est nullement tenu d’y faire droit. Le deuxième mémoire est l’œuvre du collectif d’avocats Ouattara,Sory et Salembéré, soulevant la nullité de la procédure dans le cadre de ce dossier.
En effet, selon Me Prosper Salembéré, il n’y a aucune pièce indiquant l’ordre de poursuite donné au parquet par le ministre de la Défense, comme en dispose la loi, encore moins d’acte de délégation de pouvoir du même ministre au chef d’état-major de l’armée, comme le prévoit la réglementation. Ce qui les a fondés donc à demander le prononcé de la nullité des poursuites entamées sur la présente affaire. Par ailleurs, Me Salembéré a demandé que le juge prononce la nullité de la citation à comparaître de ses clients Lassina Ouédraogo et Paul Sawadogo pour défaut de charge sur l’acte de citation. Le parquet a ressorti les mêmes observations que pour la requête précédente : « L’arrêt de renvoi a purgé toutes les nullités censées être dans la procédure», a soutenu Alioun Zanré.
Il a tout de même reconnu « une erreur matérielle », à propos de la citation des deux prévenus sus-cités, contenue dans l’arrêt de renvoi. Après une suspension de plus de quatre heures pour délibérer, le tribunal s’est encore déclaré incompétent de connaître ces nouvelles requêtes, tout en souhaitant que la nullité de la citation à comparaître de Lassina Ouédraogo et Paul Sawadogo soit prononcée, car violant les droits de la défense. N’ayant pas encore reçu notification de la Cour de cassation sur sa saisine d’une requête en lien avec le procès en cours (comme a soutenu la défense), Seydou Ouédraogo a conclu qu’il n’y a pas lieu de surseoir à statuer. Il a donc renvoyé la poursuite du procès à 9h ce mardi 27 mars 2018, pour examiner la liste des témoins.
Fabé Mamadou
OUATTARA
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Dans les coulisses du procès
Entrée en scène de Me Yérim Thiam
Des avocats européens et africains sont constitués auprès de certains accusés, dont les deux généraux, Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé, aux côtés de leurs confrères burkinabè. C’est le cas du Sénégalais, Yérim Thiam, qui s’est officiellement présenté à l’audience du lundi 26 mars. L’ancien bâtonnier a annoncé les couleurs de ses plaidoiries, en formulant immédiatement une requête en faveur des accusés. En l’espèce, il a demandé à ce que certains écrans installés dans la salle d’audience, qui empêchent les prévenus d’avoir une vue sur les membres du tribunal, soient dégagés. Le président du tribunal a promis examiner le problème, sans plus. Très peu connu du public burkinabè, le très expérimenté Yérim Thiam est l’avocat de l’Etat sénégalais dans l’affaire Khalifa Sall, du nom du maire de Dakar, épinglé dans une affaire de détournement de deniers publics.
Accusés malgré eux
Le sort de trois prévenus retient particulièrement l’attention à ce procès. C’est celui du soldat de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP), le caporal Léonce Sow, du responsable associatif, Paul Sawadogo et du journaliste de la radio privée Optima, Lassina Ouédraogo. Inculpés dans un premier temps, ils ont ensuite bénéficié d’un « non-lieu total », puisque la Chambre de mise en accusation du tribunal militaire les a blanchis, faute d’éléments à charge contre eux. Malheureusement, leurs noms ont été maintenus dans la liste des accusés, obligeant le procureur militaire, Alioun Zanré, à les citer à comparaître, comme le veut la procédure. Le cas de Léonce Sow avait déjà été évoqué à l’audience inaugurale, tandis que celui des sieurs Paul Sawadogo et Lassina Ouédraogo l’a été à l’audience du lundi 26 mars, à travers un mémoire en nullité déposé par leur avocat, Me Paulin Salembéré. « Ça fait des mois que ces personnes ne dorment pas. Il faut que cette erreur soit purgée », a-t-il signifié au président du tribunal, Seydou Ouédraogo. Après examen du mémoire, celui-ci s’est déclaré incompétent pour connaître de cette question, même s’il a souhaité que la nullité des citations à comparaître des intéressés soient prononcée, car constituant une violation des droits de la défense. C’est à la Cour de cassation, juridiction compétente, que ce problème devra être tranché définitivement, à en croire Me Salembéré.
Désintérêt du public ?
Au fil des audiences, l’intérêt du public pour le procès semble diminuer. Les suspensions, dues à la bataille procédurale menée par les avocats de la défense, expliquent-elles cette perte d’engouement ? On pourrait parier un sous là-dessus. En tous les cas, les places réservées au public, et même aux parties civiles, ne sont plus pleinement occupées, comme on l’a constaté à l’audience du lundi 26 mars 2018. Alors que le procès ne fait que commencer.
Rassemblés par Kader Patrick KARANTAO et Fabé Mamadou OUATTARA
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Appréciations de citoyens
Des citoyens, témoins du déroulement du procès du coup d’Etat manqué de septembre 2015, ont livré leurs appréciations à visage découvert ou sous anonymat, à Sidwaya, à l’audience du lundi 26 mars 2018.
Isidore Ouangraoua, commerçant : «…je pense que les lignes ont bougé »
«Depuis le début du procès, le 27 février 2018, jusqu’à maintenant, je pense que les lignes ont bougé. La défense était trop radicale, mais on ne sent plus cela. Il n’y a plus non plus trop de débats sur la forme, vu que les avocats aiment parler. Vu les avancées, et si les requêtes diminuent, j’espère qu’on pourra entrer dans le vrai jugement. L’essentiel pour moi est que la justice soit rendue, dans cette affaire qui a marqué les Burkinabè.»
Un citoyen sous anonymat : «Ça prendra le temps qu’il faut, mais on attendra»
«Les procédures prennent du temps, mais la justice travaille en fonction de ses règles. Nous citoyens, nous ne ferons que prendre acte de ce que la justice aura tranché. C’est normal que je sois impatient, car je suis curieux de savoir ce qui s’est passé lors du coup d’Etat manqué. Ça prendra le temps qu’il faut, mais on attendra.»
Fatim Bambara, agent de santé « Il y a trop de suspensions et de reports»
«Je suis le procès depuis le début, mais je ne constate pas vraiment une évolution. Il y a trop de suspensions et de report, ce qui n’est pas intéressant pour nous autres, impatients de connaître la vérité dans ce dossier. Je ne sens pas non plus trop de sérieux dans la conduite de la procédure. J’espère que les choses iront mieux, et que la justice sera rendue dans sa rigueur.»
Philémon Sawadogo, veilleur de
nuit : «Nous voulons toute la lumière sur cette affaire.»
«Mon souhait est que le jugement se fasse dans les règles de l’art, et qu’on n’aille pas de report en report, car cela est frustrant. Depuis l’entame du jugement, je quitte mon domicile à pied, depuis le quartier Tanghin, pour venir assister aux audiences dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. Je n’ai aucun intérêt particulier à le faire, sauf la soif de connaître la vérité sur le coup d’Etat raté. Nous voulons toute la lumière sur cette affaire.»
Un étudiant en droit sous anonymat : «A ce rythme, on ne saurait présager de la suite»
«Depuis l’ouverture du procès jusqu’à présent, je me rends compte que les lois qui régissent la justice sont un peu diverses, pour ne pas dire qu’elles se contredisent. Une loi peut contredire une autre, et on ne sait pas sur laquelle se baser pour entrer dans le fond du problème. Du coup, il y a trop de suspensions pour l’analyse des observations et des exceptions. A ce rythme, on ne saurait présager de la suite. Je sais que c’est un dossier complexe, par comparaison à des procès portant sur des vols où les avocats sont parfois pressés d’aller au fond. Dans ce procès, ça semble le contraire.»
Propos recueillis par Kader Patrick KARANTAO et Fabé Mamadou OUATTARA