L’avocat français exerçant en Europe et en Afrique, Jacques-Louis Colombani, suit avec intérêt l’actualité sociopolitique au Burkina Faso, pays qu’il connaît depuis plus de 20 ans. Auteur de plusieurs ouvrages, dont « Cyberespace et terrorisme », il évoque dans cet entretien réalisé par mail, le procès Thomas Sankara et la lutte contre le terrorisme au pays des Hommes intègres.
Sidwaya (S) : Le procès Thomas Sankara s’est ouvert, le 11 octobre dernier, 34 ans après les faits. Espériez-vous un tel dénouement ?
Jacques-Louis Colombani (J.L.C) : N’étant pas partie à ce procès, je n’avais pas un espoir particulier. L’ouverture d’un procès n’est pas un dénouement, c’est le début de l’écriture d’une vérité judiciaire. Après tant d’années de lutte pour que justice soit rendue à Thomas Sankara, j’espère que ce procès nous éclairera définitivement sur les événements tragiques du 15 octobre 1987.
S : L’ancien président du Faso et principal accusé, Blaise Compaoré, ne va pas assister au procès. Ses avocats ont dénoncé un « procès politique ». Ne faut-il pas craindre de ne pas connaître toute la vérité sur cette affaire ?
J. L. C. : Il faut faire confiance à la justice burkinabè, pour travailler à la manifestation de la vérité dans l’affaire Thomas Sankara. Je crois que les principes cardinaux d’un procès sont garantis au Burkina Faso : le contradictoire, la présomption d’innocence, la possibilité d’un acquittement….Je ne pense pas que le procès sera mené à la va-vite. Du reste, le président Compaoré a des conseils et il ne m’appartient pas de me prononcer sur ses choix.
S : L’autre grand absent, c’est Hyacinthe Kafando, ex-chef de sécurité de Blaise Compaoré, en fuite. Il est soupçonné d’avoir dirigé le commando qui a assassiné Thomas Sankara, le 15 octobre 1987 au sein du Conseil de l’Entente à Ouagadougou. Son témoignage était pourtant attendu….
J. L. C. : Les règles du procès équitable valent pour lui et pour l’ex-président, Blaise Compaoré. Le peuple a une soif légitime de savoir, de comprendre, mais il devra s’accommoder du fait que « le doute profite à l’accusé » et que sans sa comparution et la confrontation en règle de sa parole, de ses motifs éventuels de fuite et de ses réponses aux règles de droit et aux accusations, il y aura toujours des détracteurs ou des partisans pour penser que Hyacinthe Kafando a fui une machinerie à charge…
S : La seule figure importante dans le lot des 12 accusés présents est le général Gilbert Diendéré, ancien chef d’Etat-major particulier de Blaise Compaoré. Peut-on s’attendre à des révélations de sa part ?
J. L. C. : Je suivrai avec attention ses déclarations. J’espère qu’il va répondre aux questions qu’on lui posera. Entre ce qui est dit en audience et ce qui se raconte, il faut prendre garde. Il allait être intéressant, si le procès était filmé et diffusé en direct. Cela allait permettre à chacun de se faire une idée sur les échanges réels, les règles applicables choisies par la juridiction….
S : Au cas où l’ex-président Blaise Compaoré est reconnu coupable, quelle serait la procédure, vu qu’il est en exil en Côte d’Ivoire ?
J. L. C. : Lorsque l’on se tourne vers le recueil des instruments bilatéraux d’entraide judiciaire, on se dit que ce procès pourrait être celui qui va mettre en lumière certaines limites du panafricanisme juridique en construction. Il revient indéniablement au Burkina Faso de choisir les règles applicables aux procès qui se tiennent sur son sol. Il revient au Burkina Faso de donner à ses décisions de justice, l’efficacité qu’elles méritent dans la construction d’une Afrique des droits. La question de la nouvelle nationalité de l’ex-président Blaise Compaoré, la conjoncture politique en Côte d’Ivoire, sa décision de ne pas comparaître, tout cela relève de mon point de vue, de conjectures dans lesquelles je ne m’y hasarderai pas.
S : L’implication de puissances étrangères, dont la France, dans l’assassinat de Thomas Sankara n’a pas été prouvée jusque-là. Quel commentaire en faites-vous ?
J. L. C. : Je ne dispose donc d’aucun élément pour répondre à cette question.
S : Les idées axées sur le développement endogène de l’illustre disparu sont toujours d’actualité, près de quatre décennies après la Révolution. Ses assassins n’ont-ils pas échoué ?
J. L. C. : Le président Sankara a fait des émules avec ses idées au pays des Hommes intègres, mais aussi ailleurs en Afrique et dans le monde. En tant que symbole, il doit être respecté. Je n’ai pas d’autre commentaire à faire.
S : Aviez-vous connu personnellement Thomas Sankara de son vivant ?
J. L. C. : J’avais 20 ans lorsqu’il a pris le pouvoir. J’étais jeune à cette période, je n’ai pas eu la chance de croiser son chemin.
S : Que retenez-vous de son passage à la tête du Burkina Faso ?
J. L. C. : Je retiens des bases solides, qui en dépit de transitions douloureuses, permettent l’édification d’un Etat souverain et de droit dans le respect des mémoires et la valorisation des ressources du pays au profit des Burkinabè. Sankara a semé des graines pour un développement raisonné et généreux, un autre positionnement avec les partenaires y compris étrangers, le respect des autres et de soi-même. Il a fait montre d’un style aussi souple que décontracté, avec une grande éducation et un courage exemplaire qui fit baisser les yeux au défunt président français, François Mitterrand !
S : Quel regard portez-vous sur la lutte contre le terrorisme au Burkina?
J. L. C. : Le Burkina Faso contribue efficacement à la lutte contre le terrorisme au Sahel et expérimente un nouveau format d’unités spéciales. En dépit de ses moyens modestes, le pays refuse les valeurs obscurantistes des terroristes dans le droit fil de l’émancipation révolutionnaire voulue par Sankara. Je suis convaincu de la résilience du Faso face aux forces du mal.
Entretien réalisé par Kader Patrick KARANTAO