A certains endroits de la capitale, de longs rangs d’étudiants devant les restaurants universitaires, communément appelés « RU », débordent parfois jusque dans les rues. Mais les bénéficiaires ne sont pas toujours satisfaits du service rendu. Les griefs contre la carte magnétique et la qualité des repas servis sont nombreux. Reportage !
Ambiance studieuse, ce jeudi 6 juin 2019 à l’université Joseph-Ki-Zerbo de Ouagadougou. Nous sommes au jardin de l’Unité de formation et de recherche en Lettres, arts et communication (UFR/LAC). Il est 10 heures. Sur l’un des bancs de soupir, disposés de part et d’autre, Hyacinthe Tioyé, étudiant en philosophie, est en train de ranger ses documents dans son sac à dos. Il jette un coup d’œil à sa montre et semble pressé. Quand nous l’accostons, il explique vouloir se rendre au Restaurant universitaire (RU), situé au sein même de l’université. Nous faisons chemin avec lui. En cours de route, l’étudiant en philosophie rapporte qu’il aurait dû être en train d’étudier, mais il a plutôt fait le choix de garantir son déjeuner. Tioyé a établi son programme sur la base des heures d’ouverture du restaurant. Il suit ses cours jusqu’à 10H, part manger au RU, récupère le cours qu’il a manqué auprès de ses camarades restés en salle, le lit dans l’après-midi en attendant le prochain cours à 15H, qu’il suit jusqu’à 17H, avant de repartir à nouveau au restaurant pour le dîner. Le lendemain matin, il va photocopier la partie du cours manquée dans la soirée, et la journée se déroulera suivant le même programme. Il semble consacrer davantage de temps au RU qu’à l’amphithéâtre. Le jeune homme dit ne pas savoir comment échapper à ce cycle infernal, avec son allocation annuelle de 175 000 FCFA (aide du FONER), qui doit lui servir à régler son loyer mensuel, ses factures d’eau et d’électricité, les frais divers pour ses études, et son alimentation.
Un rapport qualité prix discutable
Le plat au RU, d’une valeur de 600 F CFA en principe, revient à 100 F CFA aux étudiants. Tioyé nous donne ces informations au moment où, nous arrivons au RU central, sis en plein cœur de l’université Joseph-Ki-Zerbo. Il est 10H25 mn. Le service a commencé depuis 25 minutes et plusieurs files d’étudiants sont formées au niveau des différentes entrées du restaurant. Chaque rangée donne accès à un menu précis. L’étudiant connaît tous les plats servis à ce restaurant (riz gras, riz sauce, pâtes alimentaires, haricot, gâteaux, yaourt, etc.). Aujourd’hui, notre guide a envie de pâtes. Il va donc prendre le rang dans la file correspondant à ce menu. Si Tioyé apprécie la variété de plats proposés, il a tout de même des réserves sur leur qualité. Nous engageons alors une discussion. Son voisin immédiat dans le rang, étudiant en 3e année de psychologie, Diagnoagou Yarga s’y invite aussitôt. Il trouve que le rapport qualité-prix des plats servis au RU n’est pas équilibré. « Quand on regarde le prix et la qualité de ce qu’on sert dans nos assiettes, c’est comme un plat de 200F vendu dans la rue. La qualité et la quantité font défaut », soutient-il. La discussion finit par se généraliser, plusieurs étudiants dans la file lançant leurs griefs à l’encontre du restaurant universitaire.
L’insuffisance des plats servis est ainsi dénoncée. Le jeune Yarga se plaint que ce soit 10 000 plats qu’on sert pour une population estudiantine estimée à 80 000. L’innovation introduite par le Centre national des œuvres universitaires (CENOU) au service de la restauration, notamment une carte magnétique, est aussi décriée. « Il faut d’abord recharger la carte, ensuite s’aligner pour retirer les tickets et faire de même pour prendre son plat. Souvent les cartes se bloquent, ou restent inactives, muettes, nécessitant un changement », déplore Hyacinthe Tioyé. Le passage des tickets ordinaires aux cartes magnétiques n’est pas non plus à la convenance de l’étudiant Boureima Oualy. La raison : il y a toujours « un monde fou » au CENOU pour recharger les cartes. En cas de perte, regrette-t-il aussi, il faut obligatoirement faire une déclaration et payer 500 F CFA pour acquérir une nouvelle carte alors que l’acquisition de la première ne fait l’objet d’aucun frais. En outre, le ticket n’est valable que pendant 72 heures et uniquement dans le restaurant universitaire où il a été tiré. « La carte coûte 7000 F CFA/mois, alors que pour avoir trois plats par jour, donc 90 plats le mois, comme le CENOU le prétend, elle devrait coûter 9000 F CFA », poursuit M. Oualy.
Le CENOU rassure
L’étudiant se plaint aussi du fait que même si l’on recharge plus de 7 000 F CFA sur sa carte, le surplus ne peut être utilisé. « Cette situation empêche les actes de solidarité qui existaient entre les étudiants. On ne peut plus offrir de ticket à nos camarades qui sont dans le besoin », se plaint Boureima Oualy. Le jeune étudiant, appuyé par ses camarades désire « simplement » que le CENOU résolve le problème des cartes magnétiques, revoie la qualité et la quantité des repas servis, permette aux étudiants d’atteindre 90 plats par mois, autorise que les tickets tirés puissent être utilisés dans n’importe quel restaurant universitaire et cesse de réclamer 500 F CFA pour le renouvellement des cartes magnétiques perdues. Et à l’entendre, les responsables universitaires sont au parfum de ces récriminations.
« J’ai assisté à une rencontre de l’ANEB (Association nationale des étudiants du Burkina Faso) où ces revendications ont été portées auprès des autorités. En plus, au sein du restaurant, nous adressons nos plaintes directement aux serveurs », précise-t-il, avant de s’en aller prendre son plat et se diriger au réfectoire. Mais du côté du CENOU, la Direction générale estime que les cartes magnétiques sont un changement capital implémenté pour résoudre les difficultés rencontrées dans la restauration universitaire. « On a voulu éliminer les cas de fraude à travers ce système informatisé. Des non-étudiants mangeaient au RU. L’un dans l’autre, on a trouvé nécessaire que l’argent débloqué pour la subvention des plats serve uniquement aux étudiants », explique le Directeur général (DG) du CENOU au moment du reportage, Mahamado Yaoliré. S’il reconnaît quelques difficultés liées à l’utilisation de ce système, celui-ci assure que le CENOU travaille à les minimiser. « Les étudiants doivent savoir que nous les comprenons. Il faut travailler à améliorer plutôt que de chercher à revenir à l’ancien système, c’est-à-dire les tickets physiques », estime M. Yaoliré. Quant à l’utilisation des tickets tirés, l’ex-DG explique que les appareils sont configurés par restaurant.
« L’appareil sur lequel l’étudiant tire le ticket, enregistre immédiatement qu’un repas est servi par ce prestataire. Ce sera donc une perte pour le prestataire chez qui il sera utilisé, si l’étudiant se rend dans un autre restaurant », poursuit-il. L’ex- DG confie par ailleurs que le coût pour le renouvellement des cartes perdues avait été fixé à 200 F CFA, par une commission dont les étudiants étaient membres, mais vu le taux élevé de perdition et le coût de la confection (3 500 F CFA déboursé par le CENOU), il a été rehaussé à 500 F CFA. Pour M. Yaoliré, le montant des frais de renouvellement vise à amener les étudiants à prendre soin de leurs cartes. Concernant le nombre de plats accessibles, l’ancien DG estime que le fait de recharger la carte au-delà de 7 000 F CFA ne cause pas de problème dans la mesure où, dit-il, le surplus peut être utilisé le mois suivant. « Dans le mois, c’est pendant 10 jours qu’il est possible de prendre 3 plats, pour les 20 autres jours c’est 2 plats, la carte se bloque à 70 plats », explique-t-il. Le nombre de plats qui doit être servi répond à une sorte de quota déterminé en fonction du budget du CENOU. Quant à la qualité de la nourriture, l’ex-DG se veut encore rassurant. « Les prestataires retenus répondent à des critères précis tels que disposer d’un équipement adéquat, respecter des normes d’hygiène, ne pas servir de la nourriture avariée, etc.», précise-t-il Pour lui, le plat s’évalue en termes de poids. En tout état de cause, M. Yaoliré informe que le CENOU a une convention avec le Laboratoire national de santé publique (LNSP) qui fait des prélèvements spontanés sur les repas servis aux étudiants pour analyse.
« S’il y a des choses à corriger, la structure nous informe et ensemble on essaie d’assainir. Pour nous l’essentiel, c’est l’hygiène. Il nous sera difficile de retrouver le sommeil, si toutefois nous intoxiquons les étudiants », soutient-il, tout en sollicitant la confiance des étudiants. Pour en savoir davantage, nous nous sommes entretenu avec le Directeur du contrôle des aliments et de la nutrition appliquée du LNSP, Fulbert Nikiéma, qui a confirmé le partenariat entre le laboratoire et le CENOU, au titre duquel près de 500 échantillons ont été prélevés au niveau de 15 RU et analysés au cours du premier semestre de l’année de 2019. Malheureusement, tous nos efforts ne nous ont pas permis de rencontrer le prestataire en charge du RU central pour comprendre dans quelle mesure les notions de qualité et de quantité sont prises en compte et comment sont traitées les plaintes des étudiants.
Dawara Sylvie SOU
(Stagiaire)