Le coup d’Etat du 30 septembre 2022 qui a porté le capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir a changé le cours de la Transition au Burkina Faso. Même si le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) reste au pouvoir, des réaménagements s’imposent. Dans cette interview accordée à Sidwaya, le dimanche 16 octobre 2022, l’analyste politique, Siaka Coulibaly, donne sa lecture sur l’adoption de la nouvelle Charte, la nécessité d’une prestation de serment par le chef de l’Etat…
Sidwaya (S) : Une nouvelle Charte de la Transition vient d’être adoptée en l’espace de quelques mois, était-ce vraiment nécessaire d’autant plus qu’il s’agit du même Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) ?
Siaka Coulibaly (S.C.) : Oui, c’était nécessaire. La Charte, ce n’est pas seulement les lignes qui sont écrites. C’est aussi un exercice politique par lequel les représentants du peuple, à travers les composantes, adhèrent à un projet politique qui est le contenu de la Charte. C’est à ce titre qu’à chaque fois, on est obligé de refaire l’exercice de la modification et de l’adoption de la Charte. Ne voyons pas seulement le contenu qui ne change pas beaucoup mais l’exercice politique d’adhésion ou de validation d’un projet politique, à savoir celui du MPSR2.
S : Quels sont les défis qui attendent le président Ibrahim Traoré ?
S.C : Les défis sont énormes. Ces deux derniers jours, vous avez vu le nombre d’attaques qui commencent à remonter. Cela montre que nous sommes loin d’être sortis de la spirale d’insécurité qui a justifié aussi le coup d’Etat du 30 septembre 2022. Puisque de nombreuses personnes considéraient au final, malgré les déclarations, que l’équipe de Paul-Henri Sandaogo Damiba n’arrivait pas du tout à résorber la crise sécuritaire. Maintenant, il faudra voir dans quelle proportion la nouvelle équipe va réussir à réduire l’incidence de l’insécurité sur le territoire national. C’est le premier et le principal défi. Si le capitaine Ibrahim Traoré réussit à résoudre la question sécuritaire, tout lui sera pardonné par la suite. Il y a aussi la refondation de l’Etat à travers un certain nombre de réformes institutionnelles et politiques, notamment la Constitution qui doit être retouchée, le cadre juridique des partis qui doit être revu, le Code électoral également. Ce sont ces réformes qui existent et sur lesquelles on n’avait pas vu un début de commencement au temps de l’ancien président Damiba. Même la réconciliation nationale qui était considérée comme un volet important de son gouvernement, à part la rencontre entre les anciens chefs d’Etat, on n’a pas observé un acte concret de Damiba en la matière. Donc, elle reste un défi également pour Ibrahim Traoré.
S : A quoi devrait ressembler le prochain gouvernement, un gouvernement d’union nationale ?
S.C : Je peux donner ma pensée mais c’est au capitaine Ibrahim Traoré d’imposer sa vision. Pour moi, un gouvernement, c’est un outil de la politique. En fonction du contexte du moment, on fait un gouvernement qui cherche à résoudre les problèmes du moment. C’est pour cela que je ne suis pas trop partisan du fait de fixer le nombre de ministres par exemple. On peut avoir besoin de résoudre certains problèmes et au final, on se rend compte qu’on a tel nombre de ministres. Mais quand on fixe parfois, il devient difficile de composer le gouvernement en termes de découpage. Et on est obligé d’assembler certains départements ministériels qui ne sont pas forcément compatibles. Donc, en termes de composition, je pense que l’idée maitresse, c’est que le gouvernement doit déjà être une étape préalable de la réconciliation nationale. D’où, une possibilité d’aller vers un gouvernement d’union nationale. Il y a une autre approche possible, celle de considérer que l’urgence c’est la sécurité et de faire un gouvernement qui soit totalement orienté sur la question sécuritaire en se disant que d’ici à un an si les résultats sont bons, on peut penser à la partie politique de la Transition avec un gouvernement élargi.
S : De nombreux Burkinabè réclament un partenariat avec la Russie dans le cadre de la lutte contre le terrorisme y compris avec le groupe Wagner. Que pensez-vous de cela ?
S.C. : Je suis pour l’ouverture des partenariats. Aller vers tous ceux qui peuvent nous aider à nous en sortir. Dans le principe de la souveraineté, les partenariats exclusifs ne sont pas à souhaiter. Donc, les partenaires qui vous disent, si vous allez avec un tel je m’en vais, ne sont pas de bons partenaires à mon avis. On devrait pouvoir coopérer avec tous les pays du monde en fonction de ce qu’ils peuvent nous apporter. Les pays n’ont pas les mêmes possibilités, même entre les Etats-Unis et la France, ce ne sont pas les mêmes apports que nous aurons. Les Etats-Unis peuvent faire plus d’apport financier. Sur le plan militaire, ils sont beaucoup plus avancés, étant donné que c’est l’une des premières puissances militaires, etc. Dire, par exemple, que nous allons aller avec la France, mais ne pas traiter avec l’Italie ou l’Espagne, je ne suis pas du tout favorable à une telle approche. Je suis ouvert à une approche qui intègre tous les partenariats possibles y compris la Russie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran, … Je ne fais pas de limitation à cela. Wagner, c’est une question de forme. Mais, on peut en discuter. Dès le début du partenariat, nous dirons que nous voulons peut-être des instructeurs qui vont venir nous montrer comment les armes achetées fonctionnent. C’est tout. Et je ne suis pas certain que la Russie ait suffisamment de personnel dans le secteur militaire qui peut venir se battre sur le terrain et tuer des terroristes. Par contre, elle a de la logistique de pointe et il faut des opérateurs pour ces logistiques. Si vous recevez des canons directionnels, des radars optiques, nous n’avons pas le personnel pour animer ces matériels, il faut des spécialistes pour le faire. Donc, j’inclus tout ce qui peut permettre de nous sortir de cette situation.
S : Aucune organisation des acteurs judiciaires ne figurait parmi les participants aux assises nationales. Comment expliquez-vous cela ?
S.C : Aucun acteur de l’administration publique n’a été invité. Ce n’est pas seulement la Justice. Puisque les agents publics sont dans un cadre juridique de sujétion à l’Etat. Sur le plan politique, il n’est pas recommandé qu’ils prennent des postures puisqu’on demande que l’administration soit dépolitisée. Si vous les amenez dans ce genre de scénario, et qu’ils prennent une posture, cela peut jouer, par la suite, sur leurs prestations en tant qu’acteurs publics. C’est pour cela que je préfère que toute l’administration publique, comme cela a été fait, ne soit pas impliquée. On a juste invité les forces vives, les autorités coutumières et religieuses, les Organisations de la société civile (OSC) et l’armée parce qu’elle est à la manœuvre.
S : Est-ce nécessaire pour le capitaine Ibrahim Traoré de prêter serment ?
S.C. : Oui. C’est indispensable à mon avis. Des juristes vous diront que ce n’est pas nécessaire parce que c’est un coup d’Etat. Le droit que j’ai appris, Dieu merci pour moi, ceux qui sont venus après 1991 malheureusement ne l’ont pas connu. Nous avons eu dans notre pays une période où on n’avait pas de Constitution. De 1980, du coup d’Etat de Saye Zerbo, jusqu’à l’adoption de la Constitution en 1991, cela a fait onze ans que nous avons vécu sans loi fondamentale. Mais nous avions du droit. C’est possible de fonctionner dans un Etat sans droit constitutionnel. Cependant, à un moment donné, la communauté internationale a estimé que la Constitution protège les droits des populations et qu’il n’était pas bon que les pays fonctionnent sans elle. Donc, elle a commencé à imposer la remise en place de la Constitution avec la Guinée de Dadis Camara, après Amadou Haya Sanogo au Mali et au Burkina en 2014. Une fois que la Constitution est remise en place et pour que le chef de l’Etat puisse disposer des prérogatives constitutionnelles et des pouvoirs qu’elle lui confère, cela impose l’acte de prestation de serment. C’est exactement comme un fonctionnaire qui est nommé dans un service, il y a la nomination mais il y a aussi la passation de service et le certificat de prise de service qui lui permettent de disposer pleinement de ses pouvoirs. Sans ces éléments, je pense que sur le plan administratif, il va manquer quelque chose. Donc la prestation de serment vise à permettre au président de prendre possession des prérogatives constitutionnelles. Un exemple plus concret : la Constitution prévoit que le président du Faso nomme aux hautes fonctions. Mais s’il ne prête pas serment, comment va-t-il le faire ? Est-ce que l’acte de nomination sera valide ? Ces aspects-là échappent à de nombreuses personnes. « C’est un coup d’Etat, il faut qu’il gouverne par ordonnance », disent-elles. Or, le pouvoir d’ordonnance est un pouvoir exceptionnel qui doit être limité dans le temps et dans la matière. Ce n’est pas toutes les matières que l’ordonnance peut gérer. On le fait pour un moment en attendant qu’une loi arrive. Donc, gérer par ordonnance a existé quand il n’y avait pas de Constitution. Sous la Révolution, il n’y avait pas un organe législatif, le Conseil national de la Révolution (CNR) légiférait par ordonnance. Mais, par la suite, on a été obligé d’adopter des formules qui ressemblaient au cadre juridique constitutionnel. Par exemple ce qui devait être appelé la loi, c’était la « Zaatu », les décrets s’appelaient « Kiti » et les arrêtés étaient les « Koega ». Pourquoi, on cherchait à se conformer ? Parce que c’était nécessaire. Ceux qui n’ont pas toutes ces subtilités historiques, juridiques, parlent parfois sans avoir de base et n’expliquent pas non plus.
Propos recueillis par Aly SAWADOGO