Débuté, le 11 octobre 2021, le procès Thomas Sankara et 12 autres a livré son verdict ce 6 avril 2022. La plupart des accusés ont été condamnés à des peines privatives allant de trois ans à la perpétuité. Me Jean Patrice Sidpayangdé Yameogo, avocat à la cour, suppléant de Me Stanislas Sankara avocat de la famille de Thomas Sankara revient dans cette interview sur les contours de ce procès qui a duré près de six mois.
Sidwaya (S): Trois décennies après l’assassinat de Thomas Sankara et ses 12 compagnons, le procès ouvert, le 11 octobre 2021, a livré son verdict ce 6 avril 2022. Comment appréciez-vous le verdict final ?
Jean Patrice Sidpayangdé Yaméogo (J. P. S. Y.) : L’appréciation du verdict peut se faire à deux niveaux. D’un point de vue juridique, durant ces six mois de débats devant le Tribunal militaire, il y a eu beaucoup de témoignages et de présentation de preuves. Au finish, la juridiction a rendu une décision. En tant que praticien du droit, il faut le souligner à sa juste valeur, c’est un jugement qui a respecté les principes élémentaires en matière de procès équitable. Cela veut dire que les droits de la défense ont été très bien respectés. L’instruction a été menée avec sérieux par la juridiction. Ce qui fait dire que du point de vue juridique, c’est une décision qui mérite d’être saluée. Ce procès doit aussi être appréhendé sur l’angle historique, je dirai que c’est une page de l’histoire de ce pays qui est en train de s’écrire avec la manifestation de la justice pour Thomas Sankara et ses douze compagnons décédés, le 15 octobre 1987.
S : Quelle appréciation d’ensemble faites-vous du déroulement du procès au regard du temps que cela a pris avant le jugement (plus de 35 ans) ?
J. P. S. Y. : La durée d’une procédure judicaire ne doit pas empêcher la manifestation de la vérité. C’est vrai que 35 ans de bataille judiciaire est très long. Certains avaient même perdu espoir mais pour paraphraser le président Thomas Sankara, « là où s’abat le découragement, s’élève la victoire des persévérants ». Il suffit de persévérer et c’est ce qui a été fait dans ce dossier qui a rendu aujourd’hui sa décision.
S : Les avocats de la partie civile avaient formulé la requête de pouvoir enregistrer le procès. Vos confrères de la défense se sont opposés. Au final, le tribunal militaire a rejeté votre requête. Quel impact pourrait avoir une telle décision sur le procès que d’aucuns qualifient d’historique ?
J. P. S. Y. : La décision de refus d’enregistrement n’a pas d’impact sur le procès d’un point de vue purement juridique. Il est vrai que l’enregistrement est permis par des dispositions du code pénal. Pour certains dossiers emblématiques comme celui de Laurent Gbagbo ou de l’affaire Klaus Barbie, ce sont des dossiers judiciaires qui ont fait l’objet d’enregistrement audio et vidéo. Mais pour notre cas, le Tribunal militaire a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’enregistrer et nous respectons sa décision. Mais il faut relever que cela n’a aucun impact judiciaire et juridique sur le procès. Nous regrettons simplement que le procès n’ait pas pu être enregistré pour deux raisons. La première, à mon humble avis, est historique. Car on aurait pu archiver ces audios et vidéos. Et cela aurait servi pendant des milliers années pour les Burkinabè et pour toute l’Afrique. Car Sankara était une icône. La deuxième raison est d’ordre pédagogique car le procès a donné beaucoup d’enseignements aussi bien aux praticiens de droit, aux journalistes et à tous les Burkinabè.
S : Deux prévenus, acteurs clés dans cette affaire, l’ancien chef de l’Etat, Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando étaient aux abonnés absents. Leur absence n’a-t-il pas entaché le bon déroulement du procès ?
J. P. S. Y. : Quelque part on peut dire que leur absence a entaché le bon déroulement du procès. C’est sûr que si Hyacinthe Kafando et Blaise Compaoré étaient dans le box des accusés, les choses allaient se dérouler probablement d’une autre manière. Leur absence a fait de telle sorte que pour ce qui concerne Kafando, tous les membres du commando étaient unanimes à lui jeter l’anathème. Ils ont dit que c’est lui qui a perpétré le forfait et qu’eux-mêmes n’étaient pas au courant. Si Hyacinthe était là, il nous aurait donné sa version des faits et forcement, on aurait confronté cette version avec celles des autres membres du commando. Quant à Blaise Compaoré, il est ressorti que le commando est parti de son domicile pour aller perpétrer le coup d’Etat du 15 octobre. S’il était au procès, il allait aussi donner sa version des faits et on aurait su ce qui s’est réellement passé le soir du 15 octobre 1987. Malheureusement, ces deux personnes étaient absentes. Il est sûr que nous aurions gagné à les avoir dans le box des accusés.
S : Cela veut-il dire que ceux qui estiment que le droit n’a pas été dit dans ce procès ont raison ?
J. P. S. Y. : (Rires) Dire que le droit n’a pas été dit, je dirai non. Le code de procédure pénale et la loi du Burkina Faso sont bien écrits. Il n’y a pas de soucis. Au début du procès, on a émis une notification au profit des deux absents, Hyacinthe Kafando et Blaise Compaoré, pour leur demander de se présenter devant le Tribunal militaire afin de pouvoir assurer leur défense. Cela a été fait publiquement. Ils ont répondu aux abonnés absents. La loi dit dans ces conditions, si une personne qui doit être jugée refuse à comparaitre, il y a une procédure qui est prévue. Le juge statue par défaut et c’est ce qui a été fait.
S : L’avocat de Blaise Compaoré, Me Olivier Sur a déclaré à travers les ondes que son client n’avait aucune notification et qu’il aurait appris que cette note a été placardée à son domicile. Quel commentaire cela vous inspire ?
J. P. S. Y. : Me Olivier Sur est un avocat. Nous avons lu les mêmes textes. En la matière, je ne lui apprends rien en lui disant qu’il y a plusieurs formes de notification des actes de procédure. Il y a ce qu’on appelle une notification à personne lorsqu’on trouve la personne ; la notification à domicile si on connait le domicile de la personne ; à parquet ou à mairie. Ici, connaissant le domicile de Blaise Compaoré, les dispositions légales permettent d’aller notifier ledit acte à son domicile. C’est ce qui a été fait, je suis désolé. C’est un acte valable et prévu par les dispositions légales au Burkina.
S : Bon nombre de Burkinabè s’attendaient à un grand déballage. Ce qui semble n’avoir pas été le cas. Peut-on déduire qu’il s’agit d’un procès au rabais ?
J. P. S. Y. : Absolument pas. Il ne s’agit pas d’un procès au rabais. Je pense que le procès a été très riche en enseignements à plusieurs niveaux. Je n’étais pas au Conseil de l’entente, le 15 octobre 1987, mais j’ai appris qu’un commando est arrivé. Nous avons su dans quels véhicules ce commando est arrivé pour perpétrer le coup d’Etat. Nous avons su également qui a tiré, et également su comment le président Thomas Sankara s’est présenté à ses assaillants et j’en passe. Nous avons eu beaucoup d’éléments et des choses véridiques dont l’opinion a pris connaissance qui montrent qu’il ne s’agit pas d’un procès au rabais. Ce procès a permis au public de connaitre beaucoup de choses même si une partie de la vérité, nous l’attendons toujours surtout le volet international du dossier.
S : Peut-on donc affirmer que la tenue de ce procès a permis de savoir ce qui s’est réellement passé au Conseil de l’Entente dans l’après-midi du 15 octobre 1987 ?
J. P. S. Y. : C’est clair, la reconstitution des faits a été une réalité. J’ai eu la chance de participer à cette reconstitution. Nous savons ce qui s’est passé le soir du 15 octobre 1987.
S : Selon vous, le délibéré du procès Thomas Sankara permet-il d’apaiser les cœurs et surtout pour les familles de faire enfin le deuil ?
J. P. S. Y. : Oui ce délibéré permet d’apaiser les cœurs, car c’est déjà une victoire après 35 ans de bataille. Ce qui permet quelque part aux familles de savoir ce qui s’est passé au soir du 15 Octobre 1987, de punir certains auteurs de ses faits. Les familles vont s’atteler à faire leurs deuils dans les jours à venir, dans le respect des procédures judiciaires et des coutumes de nos sociétés.
S : Quel enseignement peut-on tirer de ce procès ?
J. P. S. Y. : Nous pouvons tirer un enseignement surtout moral. Car le temps de l’impunité des crimes est révolu. C’est un message fort qui est passé à tout Burkinabè et au-delà à tout Africain. Le temps où comme certains le disaient : « si tu fais, on te fait et il n’y a rien » est révolu. C’est une manière de dire aux uns et aux autres que désormais, si quelqu’un se rend fautif, auteur d’une infraction, d’un crime, que la personne soit prête à aller répondre un jour devant la justice peu importe le temps que cela prendra. C’est un message fort qui est lancé également à tous ceux qui seraient tentés de perdurer et de demeurer dans l’impunité. Le peuple et la justice burkinabè disent : «C’est fini, Il n’y aura plus d’impunité au Burkina Faso ».
S : Quelle suite sera réservée au dossier Thomas Sankara après ce verdict du Tribunal ?
J. P. S. Y. : Pour le volet international, le juge d’instruction a eu l’intelligence de faire une disjonction. C’est à dire qu’il a fait deux volets dans le dossier. Le volet national qui implique les acteurs et les exécutants de ce qui s’est passé au conseil de l’entente le 15 octobre et le volet international qui est lié à une implication de certaines puissances étrangères. Le volet national a été jugé et le verdict a été rendu. Mais pour la disjonction qui concerne le volet international, le juge d’instruction dit n’avoir pas à la date d’aujourd’hui tous les éléments nécessaires pour pouvoir apprécier l’implication des puissances étrangères dans l’assassinat de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987. Il va donc continuer à mener certaines investigations pour recueillir d’autres éléments de preuves. Le juge avait adressé en son temps des commissions rogatoires à la France pour l’obtention de certains lots d’informations. Le dernier lot est venu bien après l’ordonnance de clôture de ce procès. Il est venu après que le juge d’instruction a rendu son ordonnance de clôture pour le volet national. Et quand le juge d’instruction va estimer qu’il a beaucoup d’éléments sur le volet international, il va rendre une ordonnance et l’on va se trouver encore devant une juridiction au niveau national.
S : Les ayant droits des victimes avaient cité l’Etat à se constituer garant pour réparer les dommages et intérêts en cas de condamnations des prévenus. Mais l’Agence judiciaire de l’Etat a plaidé que cette requête soit rejetée par le Tribunal, car les accusés sont bien solvables. Quelle est votre réaction ?
J. P. S. Y. : L’argument de l’Agence judiciaire de l’Etat n’est pas très pertinent. Car l’Etat est civilement responsable dans ce dossier. Ceux qui sont allés perpétrer l’assassinat du président Thomas Sankara et de ses compagnons le 15 octobre 1987 étaient des agents publics. Ils y sont allés avec du matériel de l’Etat, des armes, des munitions, des véhicules de l’Etat et dans ce cas de figure, il est clair que l’Etat est responsable pour avoir laissé ou permis à certains de ses fonctionnaires de commettre une infraction dans l’exercice de leurs fonctions d’agents publics ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. La jurisprudence sur la question est très claire, l’Etat doit répondre civilement des actes posés par ses agents publics dans l’exercice de leurs fonctions. Les parties civiles demandent une condamnation solidaire de l’Etat et des personnes reconnues coupables. S’il y a condamnation solidaire, par la suite, qu’on ne préjuge pas le compte que la décision soit exécutée. La décision peut être unique contre les accusés condamnés, comme elle peut être exécutée contre l’Agence judiciaire de l’Etat par le biais de l’action récursoire. Il ne s’agit pas d’une question de coupable fortuné. C’est un principe de droit, on ne fait qu’appliquer les règles.
S : Le procès reprend ce 13 avril. Sur quoi va statuer le Tribunal militaire ?
J. P. S. Y. : Le 13 avril, le Tribunal va statuer sur les intérêts civils. Des familles ont perdu beaucoup de choses avec les évènements du 15 octobre. Tous ces préjudices peuvent être d’ordre moral ou matériel.
Interview réalisée par Abdoulaye BALBONE W.
Marie Sawadogo (Stagiaire)