Village de Sankouy: l' »ancêtre » oublié de Ouagadougou

Le village de Sankouy (province du Kadiogo), dont l’un des clans descend de Naaba Oubri, a joué un rôle central dans l’ancien empire des Mossés. Les gardiens des fétiches du Moogho y habitaient. A l’origine de l’actuel Ouagadougou, cette localité située entre les quartiers Wemtenga et Dagnoën, est aujourd’hui méconnue ou reléguée aux oubliettes.

Face à la perte des valeurs traditionnelles, et de l’oubli progressif de son histoire, les gardiens de la tradition du « village » de Sankouy (province du Kadiogo) veulent transmettre, depuis quelques temps, aux filles et fils de la localité (située entre les quartiers Wemtenga et Dagnoën), les us et coutumes ancestraux. Selon Paul Victor Guiatin, originaire de Sankouy, il s’agit d’un devoir de restitution des faits, et qui ont marqué, par ailleurs, le royaume mossi de Wogodogo. A l’entendre, le combat actuel de Sankouy est de développer la conscience historique de son patrimoine culturel. « De nombreux faits et lieux sacrés n’ont pas résisté à l’usure du temps et de la modernité. Nous devons donc tout mettre en œuvre afin que tous les ressortissants de Sankouy, et les Burkinabè de manière générale, s’approprient nos traditions et coutumes respectives », explique-t-il. L’occasion faisant le larron, la modernité, poursuit-il, a permis aux anciens de partager les faits marquants, et les traditions ancestrales de Sankouy avec le reste du Moogho (espace territorial du royaume Mossi, ndlr). Le Sankouy se devait, en outre, de faire, fait-il remarquer, un travail de remise à jour.
« C’est une restitution de la mémoire du clan, de la préservation de ses lieux de rituels, et de l’histoire de Sankouy, de manière générale », précise-t-il.

Les sandales en caoutchouc

La chefferie de Sankouy, relate-t-il, a été interrompue, il y a environ une centaine d’années. Pour lui, peu de gens, aujourd’hui, savent que Sankouy est l' »ancêtre » de Ouagadougou, l’actuelle capitale burkinabè. Dans son récit, M. Guiatin rapporte que Ouagadougou était, à l’origine, peuplé par les autochtones «Ninssi ». Cette zone était convoitée, commente-t-il, par Naaba Oubri, le chef craint et connu pour ses hauts faits de guerre. Et les Ninssi étaient, dit-il, conscients de sa vaillance. « Afin de se prémunir contre toute agression extérieure, les habitants de Sankouy ont entouré leur village d’un cordon d’arbres épineux. Toute invasion a été donc pendant longtemps impossible », affirme M. Guiatin. A l’époque, les bottes et les chaussures, souligne-t-il, n’existaient pas. Car, il fallait, explique-t-il, des sandales en caoutchouc pour traverser cette muraille d’épines. Une « banale » histoire d’amour, confie-t-il, viendra, malheureusement, mettre fin à cette invincibilité de Sankouy. Une idylle liait, en effet, un jeune homme du royaume de Sankouy et une jeune fille originaire de Oubritenga, où régnait le redoutable Naaba Oubri. En fin stratège, le monarque se servira de cette histoire amoureuse pour s’emparer de Sankouy. Instrumentalisée, la jeune fille usera de moult subterfuges, notamment ses charmes pour mettre la main sur les chaussures en caoutchouc de son amoureux. C’est ainsi que les artisans d’Oubritenga réussirent à « copier » le modèle, et à en confectionner une grande quantité pour l’armée du royaume. Naaba Oubri conquerra donc sans coup férir Sankouy… Selon Paul Victor Guiatin, les sacrifices annuels de Sankouy se tenaient sur le site actuel du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST). Le clan de sankouy administrait chaque année des sacrifices en cet endroit. Il indique que « Sankouy» était le premier fils de son père. Elevé chez ses parents maternels, il a reçu des initiations. Il était très puissant sur le plan des fétiches. En tant qu’aîné, il était celui qui devait hériter du royaume.

La règle indéniable

Une charge qu’il refusa pour se consacrer aux fétiches et garder les lieux sacrés. Avant la prise du pouvoir, il se chargea de préparer mystiquement son frère cadet. L’ancêtre de Sankouy-Naaba a choisi un lieu appelé « Sankouy » pour le rituel de consécration au trône. En réalité, laisse entendre M. Guiatin, c’est le grand frère qui a dirigé Sankouy et le frère cadet a dirigé le Moogho. Thomas d’Aquin Ouédraogo est lui, aussi, originaire de Sankouy. Descendant du fils aîné, il est le gardien des traditions. Il a surtout la charge de mener les rituels dans des lieux sacrés. Il est « Nakomsé » (serviteur du roi, en langue nationale mooré, ndlr). La responsabilité du « Nakomsé », soutient-il, est de gérer les sorties des masques lors des cérémonies.
L’organisation des différents rites, fait-il savoir, qui se déroule lors des funérailles à travers des sacrifices, fait partie des privilèges des « Nakomsé ». Dans l’organisation sociopolitique du royaume mossi, poursuit-il, l’on dénombre plusieurs clans dont le « Sankouy » qui a eu l’avantage d’être le premier. Entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, narre-t-il, la notion de territoire ne se posait pas. « Seul le Moogho Naaba était habilité à délimiter son royaume », soutient-il. Avec le temps, raconte-t-il, des villages se sont constitués. « Après chaque occupation de lieu, tout habitant sait qui est autochtone », insiste-t-il avant d’appuyer que dans l’histoire de toute tradition africaine, la règle indéniable est qu’il est impossible de faire des sacrifices sur les terres d’autrui. Les zones sacrées étaient sous la responsabilité du Sankouy. Cette assertion est confirmée par le Baloum Naaba, interprète du chef de clan. Il regrette, cependant que de nos jours, le rôle de la lignée demeure imperceptible, voire relégué aux oubliettes. Cette situation, estime-t-il, est à la fois due aux péripéties de l’histoire du royaume moaga, et de l’avènement de la modernité.

Des sites à protéger

Qu’à cela ne tienne, l’observance des rites sacrés ancestraux, laisse-t-il entendre, se poursuit au sein du clan de Sankouy. «Dans l’année, nous avons deux rites. L’un dans le mois de mai et l’autre en décembre y compris le Nabasga », détaille le « Premier ministre » du Sankouy Naaba. L’essence des sacrifices coutumiers, indique le Baloum Naaba, est de demander aux ancêtres, la bénédiction et la protection du royaume. Honorer ces différents rituels, explique-t-il, relève des prérogatives du patriarche de Sankouy. «Le rituel le plus important est le tinssé », souligne-t-il avant de préciser que c’est une fête où sont célébrés les ancêtres.
« La famille en charge de la tenue des rites est le clan de Sankouy », relate-t-il. Le dernier rituel de «tinssé », rappelle-t-il, remonte aux années 1972-1973, lors de la sécheresse. Ces rites se déroulaient, révèle-t-il, à divers endroits de la ville de Ouagadougou. Ils sont aujourd’hui envahis ou entourés par des infrastructures modernes. Il s’agit d’un lieu de sacrifice à Wemtenga, à Dagnoen, du site du Lycée technique de Ouagadougou, de l’actuel emplacement du CNRST, du Trypano, de l’Institut français, de la Primature, de Tangzugu à l’aéroport, à 100 m de la cour du Moogho Naaba, à Saint Léon, au camp Guillaume Ouédraogo.
De son côté, le Baloum Naaba lance un cri de cœur pour la protection de ces lieux et la pérennisation des us et coutumes de Sankouy. « Depuis belle lurette, les sacrifices se poursuivent sans interruption », soutient l’interprète du chef du patriarche de Sankouy. Plusieurs autres sites où avaient lieu autrefois les rites et sacrifices sont, aux dires de M. Ouédraogo, dispersés à travers les quartiers de la capitale. A son avis, ces lieux hautement sacrés et historiques doivent être protégés. Ces endroits sacrés, affirme-t-il, ont sur le plan historique, soit porté la chance, soit accueilli des rencontres décisifs, ou des tombes royales.

Achille ZIGANI
(Collaborateur)

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