Agroécologie : La clé de la résilience de l’Afrique face au changement climatique

Pour l’agriculteur Noaga Edouard Ouédraogo, les pratiques agroécologiques lui permettent d’améliorer ses rendements et de préserver la fertilité de ses sols cultivables.

Du paysan au scientifique, en passant par le politique et l’acteur de société civile, le rôle de l’agroécologie comme solution d’atténuation et d’adaptation au changement climatique n’est plus à démontrer. De plus en plus, des voix s’élèvent pour revendiquer son financement conséquent et sa prise en compte dans l’agenda de la Conférence des parties sur le climat (COP). Récits et argumentaires ! 

 

Nous sommes en 2009. Un terrain dénudé, « complètement lessivé », est abandonné par les paysans. Il est cédé à l’Association Yelemani, qui veut dire changement en langue locale gourmantché. « A l’époque, les propriétaires terriens disaient qu’ils nous cèdent ce terrain car, il ne servait plus à rien, il était impropre à l’agriculture. Effectivement, le terrain était un glacis, il n’y avait que deux balanites », confie la coordonnatrice de Yelemani, Blandine Sankara. Deux ans plus tard, l’Association décide de mettre en valeur ce domaine nu de deux hectares. L’objectif, poursuit-elle, est de montrer aux paysans qu’il est possible de restaurer ce lopin de terre « inculte », à travers des techniques culturales agroécologiques éprouvées de récupération des sols dégradés. Les employés formés en agroécologie par l’ONG Terre Humanisme du défunt Pierre Rabi, se sont mis à l’ouvrage. Creusage du terrain pour des demi-lunes, des zaï, trouaison pour le reboisement, paillage, production et apport en bio intrants. « Nous avons commencé par la partie la plus dure, la plus pauvre du domaine, avec des cultures peu demandeuses de nutriments, comme le haricot, et qui sont des fixeurs d’azote ; il ne fallait pas à ce stade trop solliciter le sol », explique Mme Sankara.

L’agroécologie constitue à la fois une solution d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

Une dizaine d’années après, grâce aux pratiques agroécologiques, la terre « inculte » est devenue une terre « promise ». Tout y pousse : tomates, choux, oignons, mil, maïs, betteraves, bananes, goyaves, citronnelle, manguiers, etc. Une mini forêt constituée de centaines d’arbres de diverses espèces s’y dresse, tutoyant le paysage désertique environnant. « Il y des plantes médicinales en voie de disparition que les femmes viennent chercher ici au niveau de notre ferme agroécologique qui a régénéré une diversité d’espèces végétales », confie la coordonnatrice de Yelemani. Aujourd’hui, la ferme emploie une quinzaine de personnes, dont des personnes déplacées internes, contraintes par des attaques terroristes de quitter leurs localités d’origine. Elle alimente la capitale, Ouagadougou, en produits maraichers bio.

D’un glacis, il y a dix ans, l’Association Yelemani a transformé, à travers des pratiques agroécologiques, ce terrain de deux hectares en un domaine végétatif florissant.

L’exemple de ce glacis devenu un domaine végétatif florissant, illustre la capacité des pratiques agroécologiques à restaurer les écosystèmes, la biodiversité, à reverdir les terres désertiques, à récupérer des sols dégradés, improductifs. Il démontre combien l’agroécologie constitue, pour les paysans burkinabè voire africains, un moyen efficace d’atténuation et d’adaptation aux effets du changement climatique.

Aujourd’hui, de nombreuses recherches scientifiques montrent la capacité de l’agroécologie à régénérer les écosystèmes et à contribuer à la résilience des petits producteurs au changement climatique. Pour le chercheur en chimie et fertilité des sols, Dr André Bationo, qui totalise 40 ans de carrière dans la recherche scientifique, on ne peut pas nier aujourd’hui, les évidences scientifiques sur la capacité des pratiques agroécologiques comme les demi-lunes, les Zaï, les cordons pierreux, à contribuer à la restauration des écosystèmes, à la reforestation, à la récupération des terres dégradées. Des évidences scientifiques ont été produites sur la pertinence de ces pratiques en Afrique, mais surtout en Amérique latine, souligne Dr Bationo.

Un instrument de lutte contre la désertification

La coordonnatrice de l’Association Yelemani, Blandine Sankara : « La prise en compte de l’agroécologie à la COP est une question centrale pour l’Afrique, ou du moins pour les pays comme les nôtres ».

Alfred Yamba Sawadogo, est vulgarisateur agricole à la retraite et actuel président du Conseil d’administration de l’ONG SOS Sahel International Burkina, créée en 1982 pour lutter contre les effets des sécheresses et du changement climatique dans les pays du Sahel.  « Celui qui pratique l’agroécologie lutte en même temps contre la désertification. Car, lorsque vous apportez de la fumure organique, vous facilitez la pénétration de l’eau dans le sol, limitant les ruissellements des eaux qui ravinent les sols et engendrent leur dégradation. D’ailleurs, c’est parce que les gens ne pratiquent pas l’agroécologique qu’il se crée dans nos différentes régions des glacis qui sont des sols complètement dénudés où rien n’y pousse », soutient-il. Ces cinq dernières années, son ONG a transformé 4000 hectares de glacis en terres arables, propices à la production agricole dans quatre régions du Burkina Faso à savoir le Centre, le Centre-nord, le Nord et l’Est.

Selon le chercheur en chimie et fertilité des sols, Dr André Bationo, il existe des évidences scientifiques sur la pertinence des pratiques agroécologiques en matière de récupération des terres dégradées et de régénération des écosystèmes.

Le chercheur Dr André Bationo, soutient qu’il importe d’intensifier les actions de récupération des sols dégradés. « Le Burkina a besoin de récupérer ses terres cultivables. Car, il vaut mieux récupérer les terres dégradées que d’aller défricher de nouveaux domaines que l’on va encore conduire à la dégradation », préconise-t-il. Pour ce faire, il faut mobiliser les ressources nécessaires pour le financement de l’agriculture de conservation. Les effets positifs de l’agroécologie en matière de restauration des écosystèmes, de préservation de la fertilité des sols, d’amélioration des rendements et de la qualité des systèmes alimentaires ont amené nombre de Burkinabè à se tourner vers ce système de production durable, respectueux de l’environnement.

Selon une étude réalisée en 2018 par le Conseil national de l’agriculture biologique (CNABio), on dénombre environ 350 acteurs (associations et personnes physiques) de l’agriculture biologique et l’agroécologie au Burkina Faso. « Dans notre région, nous avons plus d’une centaine de producteurs agroécologiques, avec environ une cinquantaine pour la seule province de l’Oubritenga. Certains pratiquent l’agroécologie dans des fermes où ils reçoivent des étudiants stagiaires des universités publiques et privées. Ils sont spécialisés dans la production et l’utilisation des bio fertilisants et des bio pesticides », précise le chef de service des productions végétales à la direction régionale de l’agriculture, des ressources animales et halieutiques de la région du Plateau Central, Drissa Minoungou. Ce regain d’intérêt pour les pratiques agroécologiques, ajoute-t-il, s’explique par une prise de conscience de la part des agriculteurs des effets néfastes de l’agriculture conventionnelle sur leurs sols cultivables, leur santé et sur l’environnement.

Une question centrale

Noaga Edouard Ouédraogo est agriculteur à Douré, un village de la commune rurale de Toeghin, dans la province de Kourwéogo, région du Plateau-central. Depuis, dix ans, il s’est reconverti aux pratiques agroécologiques, à travers le zaï et l’utilisation des intrants organiques. Ces pratiques agroécologiques lui permettent d’améliorer ses rendements et de préserver la fertilité de ses sols cultivables, confie-t-il.

Les acteurs de l’agroécologie mènent le combat pour sa prise en compte dans les politiques publiques agricoles. Au Burkina Faso le plaidoyer a porté fruit. Car le gouvernement s’est doté d’une stratégie nationale de développement de l’agroécologie sur une période de cinq ans (2023-2027), d’un coût global de 19,5 milliards F CFA. Ce référentiel national a pour vision : « A l’horizon 2027, l’agroécologie est motrice d’une production agro-sylvo-pastorale, halieutique et faunique durable, compétitive, respectueuse de l’environnement, de la santé des consommateurs et des valeurs culturelles et résiliente face aux changements climatiques ». Avec pour objectif global « d’accroitre durablement la productivité et la production agro-sylvo-pastorale, halieutique et faunique par l’intensification agroécologique ».

Pour Alfred Yamba Sawadogo, c’est déjà une très bonne chose d’avoir une stratégie nationale et une direction au sein du ministère de l’agriculture qui s’occupe l’agroécologie. Mais pour un développement de la filière agroécologique et sa vulgarisation à grande échelle, il nécessite d’y injecter des ressources financières conséquentes… Au-delà de l’échelle nationale, pour les acteurs de la société civile, le débat sur le rôle de l’agroécologie comme solution de résilience des exploitants familiaux face aux effets du changement climatique, doit être au centre de l’action climat, et surtout inscrit à l’agenda de la COP, la Conférence des parties sur le climat.

 

« La prise en compte de l’agroécologie à la COP est une question centrale pour l’Afrique, ou du moins pour les pays comme les nôtres. C’est la voix que le continent devrait porter à cette rencontre internationale sur les négociations sur le climat. Car, l’agroécologie est l’alternative face aux effets néfastes du changement climatique. Les mécanismes agroécologiques de régénération des écosystèmes, de reverdissement des sols dégradés permettent d’atténuer les effets du changement climatique. Ils contribuent à la préservation de la nature, de la biodiversité ou à la création d’une certaine biodiversité », argumente la coordonnatrice de l’Association Yelemani.

 

Il est temps d’écouter l’Afrique

 

Le président de SOS Sahel international Burkina croit également à la pertinence de l’agroécologie comme solution africaine d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. « Lorsque la pratique de l’agroécologie va être généralisée, la désertification va s’atténuer. Elle permet au paysan, impuissant dans l’immédiat face au changement climatique, d’être au moins résilient. Malheureusement, la crise climatique ne fait que se dégrader, il nous faut accélérer les progrès dans l’agroécologie pour nous y adapter », soutient-il.

Le président du Conseil d’administration de l’ONG SOS Sahel International Burkina, Alfred Yamba Sawadogo : « il est absolument important que l’agroécologie soit inscrite à l’agenda de la COP et qu’une partie des ressources générées pour lutter contre le changement climatique soit allouée à son financement ».

Pour lui, il est absolument important que l’agroécologie soit inscrite à l’agenda de la COP et qu’une partie des ressources générées pour lutter contre le changement climatique soit allouée à son financement ; car elle constitue un mode de production durable dont les résultats sont palpables. M. Sawadogo réfute d’ailleurs la thèse selon laquelle l’agroécologie ne peut répondre aux besoins alimentaires du continent ou de toute l’humanité. « Cet argument ne tient pas. Car, depuis la nuit des temps l’agriculture familiale a tenu pendant des siècles et a permis de nourrir le monde », martèle-t-il. Il est temps que la communauté internationale arrête de faire la sourde oreille aux préoccupations africaines en matière de lutte contre le changement climatique. « J’ai participé à deux COP, en 2009 et en 2010 ; et j’ai eu l’impression qu’il y a eu la mainmise des pays occidentaux qui n’écoutent pas l’Afrique. Alors que ce sont leurs productions industrielles qui menacent la couche d’ozone. L’Afrique est une victime qui n’est pas suffisamment écoutée », déplore-t-il.

Pour la présente COP28 qui se tient du 30 novembre au 12 décembre 2023, à Dubaï, du haut de ses 80 ans, Alfred Yamba Sawadogo a un seul vœu : « Je souhaite qu’à la COP28, un grand nombre de pays africains puissent s’unir et porter la voix du continent afin que l’agroécologie soit inscrite parmi les thématiques phares de cette rencontre internationale sur le climat et que des fonds puissent être levés pour le financement de l’agroécologie », conclut-il.

Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com

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