Apprentissage de métiers: une autre vie pour des femmes et filles vulnérables

A « Viimato » les femmes et les jeunes filles apprennent aussi la couture et bien d’autres métiers.

La crise sécuritaire que traverse le Burkina Faso depuis plusieurs années a fait de nombreux déplacés internes. A Bobo-Dioulasso, plus précisément au quartier Sabaribougou, « Viimato », un centre de formation aux métiers force l’admiration à travers la prise en charge des femmes et filles vulnérables dont la plupart constitue
des déplacées internes. Ce cadre est l’œuvre de Azèta Yaméogo, couturière de profession.

Au centre d’apprentissage de métiers « Viimato » (Ndlr : une autre vie en langue mooré), le premier jour du mois de mai, fête du travail, n’est pas férié cette année. En cette matinée du jeudi 1er mai 2025, au centre, sis au quartier Sabaribougou, dans la périphérie ouest de Bobo-Dioulasso, le hangar qui sert de salle de classe, vit dans une ambiance
studieuse. En effet, une quarantaine de pensionnaires constitués d’enfants, d’adolescentes et des femmes adultes sont sous l’encadrement de l’animateur en Alphabétisation formative intensive pour le Développement (AFID), Albert Sanou. Ce dernier a été mis à la disposition du centre par l’Association « Yeleen », une structure de la place qui évolue dans l’éducation non formelle.

Son rôle est d’alphabétiser tous les apprenants, en langue Dioula. « Nous faisons la lecture, le calcul, le langage, le sport, la culture, la production, des causeries avec des thèmes tirés du livre de lecture », précise M. Sanou. Etudiant en année de licence en Lettres modernes à l’université Nazi-Boni, il a accepté de sacrifier de son temps pour inculquer le savoir à ces apprenants. Pour ce faire, il a dû d’abord se faire former par « Yeleen ».

Bien que la norme en alphabétisation prévoit 30 apprenants pour une classe, dit-il, l’engouement est tel que cet effectif est largement dépassé. Les cours ont débuté en janvier 2025 et 4 mois après, l’encadreur dit être fier de sa classe. « Les apprenants sont motivés. La première de classe a une moyenne de 9,33/10 et la dernière a 5. Le niveau est acceptable », se félicite Albert Sanou. L’âge requis pour l’alphabétisation AFID va de 9 à 16 ans mais certains en ont moins, à en croire M. Sanou. « Il y en a qui ont 7 ans mais nous
les acceptons vu qu’ils sont motivés », explique l’animateur.

Mettre son savoir-faire au profit des vulnérables

Ces apprenants en plein cours d’alphabétisation sont pour la plupart
des enfants de déplacés internes.

L’initiative de ce centre pour métiers vient de la couturière de profession et formatrice en coupe couture, Azèta Yaméogo. Avec une vingtaine d’années d’expérience, elle décide de mettre son savoir-faire au profit des jeunes filles et femmes vulnérables de son quartier. C’est dans ce sens qu’elle mettra en place en 2020, avec ses propres moyens, un atelier qui sert en même temps de centre de formation et d’apprentissage, où elle encadre des jeunes filles en coupe couture.

« Tout l’argent que je gagnais à travers mon travail, je l’ai investi dans ce projet. En 2020, j’avais en charge 15 filles dans mon atelier et c’est ma manière à moi de me rendre utile à la société », confie dame Yaméogo. L’atelier prend une autre envergure avec la venue massive des déplacés internes dans le quartier. Au début, raconte-t-elle, sans distinction d’ethnie ni d’origine, elle accompagnait ou orientait les déplacés internes vers des
services de l’Action humanitaire pour qu’ils puissent bénéficier d’appuis et d’aides alimentaires.

Mais à la longue, elle s’est dit qu’il était mieux de leur trouver de quoi exercer pour subvenir à leurs besoins. Avec la compréhension, l’accord et l’accompagnement de son époux, elle décide alors de déménager l’atelier à son domicile conjugal pour avoir plus d’espace et prendre en compte ces femmes. Dame Yaméogo était déjà la présidente d’une association de femmes du quartier, dénommée « Yankadi », qui promeut l’entraide entre ses membres.

Très vite, la confiance s’instaure entre elle et les femmes déplacées internes et l’idée de les former au métier de couture prospère. Mais un autre défi se pose à elle : quelle occupation pour les enfants de ces femmes qui, sont déscolarisés ou non scolarisés ? C’est là que l’idée lui vient de « greffer » au centre d’initiation à la couture, le volet alphabétisation au profit des enfants de ces déplacés internes.

Elle entre en contact avec l’association « Yeleen ». Celle-ci répond favorablement et affecte un animateur et des bancs pour les apprenants. Azèta Yaméogo va même jusqu’à se faire former pendant quelques jours en alphabétisation en langue Dioula à Dédougou. Initialement prévue pour les plus jeunes, l’alphabétisation sera élargie aux femmes et adolescentes apprenantes du centre et même à celles âgées déplacées internes ou résidentes du quartier. Le résultat est sans appel aux yeux de Azèta Yaméogo. « Quand j’ai commencé à accueillir ces femmes, aucune ne savait lire ou écrire son numéro de téléphone ou son nom. Mais aujourd’hui, elles sont toutes à mesure de le faire », témoigne la fondatrice du centre.

Une école de la vie

Avec ces vieilles femmes en pleine filature de coton, le centre est aussi un cadre de partage d’expériences
et de réconfort pour les unes et les autres.

Mieux, ce centre d’initiation à la couture va se muer en un véritable cadre de partage d’expériences et d’éducation, avec à la clé, plusieurs métiers à apprendre. A la couture viendront s’ajouter entre autres, la teinture (Koko Dunda), le tissage du Faso Dan Fani, la filature, la fabrication du beurre de karité et la saponification. « Certaines des déplacées internes maitrisaient déjà un métier et se sont portées garantes à l’apprendre aux autres.

Les plus vieilles quant à elles, apprennent aux plus jeunes, les pratiques ancestrales comme la filature traditionnelle du coton », témoigne Mme Yaméogo. Dans ce centre on rencontre diverses ethnies venues de plusieurs horizons. Des Gourmantchés, des Peuls, des Samos, des Mossis et des Foulsés (Kouroumba) venues entre autres, des régions du Nord, du Sahel, de l’Est, des Cascades, de la Boucle du Mouhoun et du Centre-Est.

« Viimato » se veut une école des métiers mais également de la vie tout court. La vieille Fati Tao est venue de Taouremba dans la province du Soum, et Bobo-Dioulasso est sa 6e destination. « Nous avons souffert. Nous avons laissé tout derrière nous mais ici, nous avons été bien accueillis », témoigne-t-elle.

Tout comme les autres, elle ne tarit pas d’éloges à l’endroit de Azèta Yaméogo.
« Nous ne saurons remercier assez Mme Yaméogo qui nous traite comme si nous étions de sa propre famille. Elle assure gracieusement l’alphabétisation et la formation de mes petits fils et de mes belles filles », confie cette grand-mère. En retour, les plus anciennes décident de partager à cœur ouvert leur savoir-faire et savoir-être avec les jeunes.

C’est le cas de Bintou Ouédraogo qui évolue dans la pharmacopée depuis une trentaine d’années à Bobo-Dioulasso. Elle s’est jointe à l’initiative de Mme Yaméogo, dit-elle, pour renforcer la cohésion sociale dans le quartier. Elle y expose ses produits et partage son savoir de thérapeute avec ses consœurs. Mariam Barry, a quitté la zone de Sidéradougou (dans la région des Cascades), en proie à l’époque au terrorisme, pour Sabaribougou depuis trois ans. Elle a commencé à fréquenter le centre, il y a environ trois mois. Elle y apprend à lire et écrire, mais aussi à tisser le Faso Dan Fani.

Avec le savoir reçu au centre, elle avoue être prête à s’auto-employer si elle dispose de l’équipement nécessaire après sa formation. Haguiratou Tall, elle, est venue du Yatenga pour cause de terrorisme et a pris ses quartiers à Sabaribougou depuis deux ans. Chez « Tantie », comme elle appelle affectueusement Mme Yaméogo, elle apprend non seulement à lire et à écrire, mais également la teinture du Koko Dunda. Zalissa Kindo est une résidente du quartier. Elle fait partie des femmes qui se font former chez Azèta Yaméogo.
En quatre mois d’apprentissage, cette femme au foyer est satisfaite de ce qu’elle a pu acquérir comme savoir. « J’arrive maintenant à écrire mon nom et mon numéro de téléphone et à répéter ce que l’encadreur nous enseigne », se réjouit-elle.

Faire grandir le centre

La fondatrice du Centre « Viimato», Azèta Yaméogo : « j’ai de grands projets d’intérêts sociaux
et humanitaires pour ce centre ».

Alima Ganamé est une jeune apprenante en coupe couture et en tissage au centre. Elle a quitté son Baraboulé natal, une commune de la province du Soum, pour échapper aux violences terroristes. Aujourd’hui cette adolescente maitrise la machine à coudre et le métier de tissage et rend hommage à sa bienfaitrice. Résidant non loin de la famille Yaméogo, la ménagère Habibou Kafando, assise en face de son étal composé entre autres de céréales, de patte d’arachide et d’autres denrées alimentaires, vient également en aide aux déplacées internes. Son ménage a accueilli des dizaines de personnes venues de son village d’origine.

« Presque toute ma famille a migré du Yatenga à Bobo-Dioulasso à cause de la crise depuis trois ans. Aux premiers instants, ça n’a pas été facile », raconte-t-elle avec amertume. La plupart des hommes déplacés internes, soutient-elle, sont actuellement sur des sites d’orpaillage, laissant leurs femmes et enfants avec elle. Pour occuper utilement ces femmes, Habibou Kafando a décidé de les initier au petit commerce qu’elle exerce. Au moment de notre passage, quelques femmes sont à l’œuvre pour torréfier les graines d’arachide, en vue de la fabrication de la patte d’arachide destinée à la vente.

« Mme Yaméogo est une sœur pour moi, elle m’a vraiment aidée depuis les premiers instants de l’arrivée de mes déplacés jusqu’à ce jour », souligne-t-elle. Et d’insister que plusieurs de ses hôtes et leurs enfants ont été cooptés par Azèta Yaméogo dans son centre.
« Tous les enfants de mes déplacés internes sont dans son centre d’alphabétisation », affirme-t-elle. S’il y a quelque chose qui tient à cœur dame Yaméogo, c’est bien de faire grandir son centre.

« J’ai de grands projets d’intérêts sociaux et humanitaires pour ce centre », affirme-t-elle. Mais à court terme, elle souhaite régulariser le centre afin qu’il soit officiellement reconnu comme tel, et trouver un cadre bien adapté et doté de matériel adéquat pour améliorer les conditions d’apprentissage.

Pour Azèta Yaméogo, donner du réconfort et de l’espoir à des femmes et enfants vulnérables est devenu un sacerdoce.
Toutefois, cette « Mère Teresa » de Sabaribougou a plus que besoin d’accompagnement.

 Alpha Sékou BARRY
alphasekoubarry@gmail.com

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