Cash transfer : « Tous les montants seront harmonisés et applicables à tous » Nandy Somé, ministre en charge de la solidarité

La ministre de la Solidarité, de l’Action humanitaire, de la Réconciliation nationale, du Genre et de la Famille, Nandy Somé/Diallo donne, dans cette interview accordée à Sidwaya, les raisons de la prise de mesures suspensives des transferts monétaires au niveau de certaines régions du Burkina. Les changements survenus après cette suspension, l’élaboration d’un protocole national en vue de baliser les interventions sont également, entre autres sujets évoqués par la première responsable du département en charge de la solidarité.

Sidwaya (S) : Qu’est-ce que le cash transfer ?

Nandy Somé (N.S.) : Vous savez bien qu’au cours des 15 dernières années, le Burkina Faso a connu de manière récurrente des crises socioéconomiques qui fragilisent la capacité des ménages, surtout en milieu rural. A cela s’ajoutent la crise sécuritaire caractérisée par les déplacements massifs des populations et une crise alimentaire affectant les capacités des ménages surtout vulnérables et cela, depuis 2019. Dans un tel contexte, le cash transfer apparait comme un outil qui permet d’atteindre directement et rapidement les personnes ou les ménages en situation de besoin d’appui des pouvoirs publics. Au Burkina Faso, à travers le projet « Filets sociaux » qui a été créé en 2014, l’Etat a introduit le cash transfer dans un programme plus vaste de protection sociale adopté en 2012 au profit des populations très pauvres et vulnérables des villages et campagnes de notre pays.

S : Cette intervention concernait-elle uniquement une catégorie de personnes vulnérables ?

N.S. : Les transferts monétaires sont réalisés au profit des personnes pauvres et vulnérables qui sont identifiées à partir d’une enquête rigoureuse et validée par les communautés. Au départ, l’intervention était destinée aux communautés hôtes, mais progressivement avec les déplacements massifs liés à la crise sécuritaire, les autorités locales ont demandé la prise en compte des personnes déplacées internes. Cette requête a été acceptée. Il est important de savoir qu’il y a un travail préalable de ciblage et d’enregistrement qui est fait par nos structures suivant des critères pour déterminer les personnes vulnérables. C’est le cas du Secrétariat permanent du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (SP/CONASUR) pour ce qui concerne les Personnes déplacées internes (PDI) et les éventuels sinistrés, et bientôt le Secrétariat technique du Registre social unique (ST/RSU) pour les personnes pauvres et vulnérables. A titre d’information, le RSU a été créé en 2021 et a pour mission d’identifier les ménages et les personnes pauvres et vulnérables potentiellement éligibles aux différents programmes de protection sociale et de lutte contre la pauvreté. Pour ce qui concerne notre pays, cela se traduit par l’octroi en numéraire de bourses aux élèves et étudiants, de transferts monétaires aux pauvres, de bons d’achat aux personnes vulnérables, etc.

S : Combien de types de cash transfer existe-t-il ?

N.S. : La classification des transferts monétaires est assez complexe mais de manière globale, on peut retenir deux types, à savoir les transferts monétaires inconditionnels et les transferts monétaires conditionnels. Les transferts monétaires inconditionnels sont généralement adressés aux ménages très pauvres et vulnérables. C’est ce que fait le projet « Filets sociaux » et aux personnes en situation d’urgence réservées au CONASUR et les acteurs humanitaires sans aucune contrepartie ni attentes. Ce type de cash est généralement octroyé pour la consommation, le redressement et la résilience. Les transferts monétaires conditionnels sont délivrés sur la base d’une contrepartie attendue ou donnée par le bénéficiaire. C’est le cas du cash for work (travail contre argent), le cash abris, les bourses… dont la poursuite est conditionnée par des acquisitions, la présence ou les performances attendues. Ce type de cash sert à rétablir les moyens de production ou d’existence. Dans les classifications également, on peut souvent faire allusion aux mécanismes de transfert. C’est dans ce sens que vous entendez parler de transfert direct en espèces, de transfert électronique ou des bons d’achats.

S : Cette modalité d’intervention, qui avait été saluée en son temps, a été, entre-temps, suspendue par certaines autorités régionales. Pouvez-vous expliquer les raisons de cette suspension ?

N.S. : Effectivement, plusieurs raisons ont été évoquées par certains responsables administratifs au niveau régions pour justifier la prise de mesures suspensives des transferts monétaires. Ces raisons sont entre autres : – les plaintes de délaissement formulées par les populations hôtes au détriment des PDI qui sont les principales bénéficiaires ; – les conflits familiaux nés de la gestion de ces fonds transférés ; – les pratiques de corruption dans le processus de transfert des fonds ; – la paresse que les transferts de cash favorisent souvent au sein des populations bénéficiaires ; – le possible approvisionnement de certains groupes armés terroristes par le cash; – le mauvais ciblage des bénéficiaires ; – le montant non harmonisé des acteurs humanitaires; – la faible lisibilité des transferts (faible implication des autorités locales). Ce sont les principales raisons qui ont justifié la suspension des transferts monétaires dans certaines régions.

S : Des changements sont intervenus après cette suspension. Quels sont ces changements ?

N.S. : C’est exact. Le ministère a entrepris des concertations avec l’ensemble des gouverneurs et des acteurs humanitaires afin d’améliorer la coordination des programmes humanitaires en général et des transferts monétaires en particulier afin de minimiser les problèmes évoqués. Ainsi, un comité ad hoc a été mis en place pour élaborer un protocole national en cours de finalisation. Ce protocole va baliser les interventions, à savoir : le ciblage, les modalités des cash, le montant, la coordination et définir les rôles et les obligations de toutes les parties prenantes.

S : Après ces changements, quelle est la prochaine étape ?

N.S. : A partir de cette année et à la faveur des dispositions que notre ministère est en train de prendre, tous les montants seront harmonisés et applicables à tous. Aussi, une liste unique des bénéficiaires sera disponibilisée par le RSU. Par ailleurs, pour favoriser une résilience des populations à la crise, d’autres formes de transferts comme le cash contre le travail, les activités génératrices de revenus, la formation professionnelle, la réorientation vers des investissements structurants sont en train d’être envisagées par le gouvernement.

S : A combien estimez-vous le nombre de personnes bénéficiaires de ces transferts monétaires et les montants octroyés à cet effet ?

N.S. : L’Etat et les principaux acteurs qui utilisent le cash en faveur des communautés injectent plusieurs milliards dans les cash. Cet appui passe à travers le programme  « Filets sociaux » qui, en 2022, a déployé 19 024 039 750 F CFA au profit de 128 207 bénéficiaires directs, soit 897 449 individus dans les ménages. Il y a également le Fonds d’appui à la sécurité alimentaire (FASA) qui a déboursé 2 300 000 000 FCFA et le Projet d’urgence et de développement territorial et de résilience (PUDTR) a mobilisé environ 5 milliards FCFA dans le cadre des transferts monétaires. En plus de l’Etat, les partenaires du Système des Nations unies et les organisations non gouvernementales ont par exemple transféré environ 20 milliards FCFA en 2022. Sans comptabiliser les bourses et autres appuis aux populations par cash transfert, nous sommes autour de 46 milliards l’an.

Interview réalisée par la Rédaction

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