Eviter de tirer sur la corde

L’élection présidentielle au Sénégal est prévue pour le 25 février 2024. A moins d’un an du scrutin, les états-majors des partis politiques sont à pied d’œuvre pour la conquête de la magistrature suprême. Pour obtenir le feu vert des autorités en charge de l’organisation des élections, chaque prétendant doit au préalable recueillir les parrainages des citoyens et du corps électoral dans au moins sept des quatorze régions du Sénégal, à raison de 2000 parrainages au minimum. Si visiblement, les caciques de l’arène politique sénégalaise ne sont nullement inquiets de cette condition, il n’en demeure pas moins que certains d’entre eux soient embêtés pour des raisons qui leurs soient propres. C’est le cas pour le président sénégalais, Macky Sall, soupçonné à tort et à raison, de vouloir briguer un troisième mandat après avoir été élu en 2012, puis réélu en 2019.

Cette suspicion qui a créé de la méfiance voire même radicalisé les positions entre les anti et les pro troisième mandat pourrait polluer davantage l’atmosphère politique si d’aventure le chef d’Etat sénégalais venait à confirmer sa candidature. Nous ne sommes pas encore à ce scénario, mais le président sénégalais a décidé cette semaine de mettre au goût du jour la question. Le lundi dernier, il a publiquement confié que la Constitution révisée en 2016 pour raccourcir les mandats présidentiels de sept à cinq ans lui confère le droit de briguer un autre. Pour lui, le débat a été tranché juridiquement lorsque le Conseil constitutionnel avait été consulté avant la révision de la loi fondamentale. Les sages avaient considéré que son premier mandat était en dehors du champ de la réforme.

Si le président sortant est convaincu que sa candidature ne souffre d’aucune ambiguïté juridique, cet argumentaire est botté en touche par l’opposition sénégalaise qui l’accuse de vouloir opérer un passage en force. L’autre candidat qui risque de se voir exclure de la course au pouvoir est l’opposant Ousmane Sonko, figure emblématique de l’opposition sénégalaise. Le candidat du parti Patriotes africains du Sénégal (Pastef) a maille à partir avec la justice sénégalaise. En 2021, il a été convoqué devant un tribunal dans une affaire de viol présumé. La bête noire de l’actuel président sénégalais, Macky Sall, est encore dans le collimateur de la justice pour cette fois des faits de diffamation à la suite d’une plainte du ministre en charge du tourisme, Mame Mbaye Niang. Le 16 mars dernier, jour du début du procès de M. Sonko pour diffamation, des heurts ont opposé des groupes de jeunes aux forces de sécurité dans plusieurs villes du pays. A la suite de ces émeutes, l’opposant a été hospitalisé 5 jours après avoir respiré du gaz lacrymogène expédié par les forces de l’ordre lors de son transfert forcé vers le tribunal de Dakar.

Ses partisans accusent le pouvoir en place d’avoir tenté d’empoisonner leur champion. Pour certains observateurs de la scène politique sénégalaise, ces incidents à répétition n’augurent guère un lendemain meilleur pour le pays de la Teranga qui a été un havre de paix dans la sous-région depuis des années. Pour l’heure, le président Macky Sall qui ne s’est pas clairement prononcé sur sa candidature doit situer ses compatriotes. Toutefois, il admet que le débat est politique. Pourquoi ne pas se prononcer à temps afin de situer ses compatriotes ? Au-delà des arguments juridiques avancés de part et d’autre, les deux parties ne doivent pas perdre de vue l’intérêt supérieur de leur pays. Car, à force de trop tirer sur la corde, l’on finit d’une manière ou d’une autre par récolter les fruits de ses propres turpitudes. Et en la matière, des exemples sont légion dans la sous-région. L’expérience burkinabè en 2014 et celle encore récente de l’ancien président guinéen, Alpha Condé, viennent rappeler la nécessité de privilégier le consensus. La classe politique entendra-t-elle de cette oreille ? Wait and see.

Abdoulaye BALBONE

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