Exploitation illégale du barrage de Bidiga : l’or bleu en péril

Le barrage hydroagricole de Bidiga dans la commune de Tenkodogo, région du Centre-Est, est menacé de disparition. En effet, la bande de servitude de cet ouvrage est envahie par des exploitants agricoles. Ce, malgré les actions de sensibilisation du Comité d’usagers d’eau (CUE) mis place en 2018 et du Comité local de l’eau (CLE) fonctionnel depuis 2016. Malheureusement, leur activité occasionne l’ensablement progressif de l’ouvrage. Reportage !

Pierre Nonkané dit exploiter le site depuis 2005 et n’entend pas quitter les lieux sans trouver un autre terrain à emblaver.

Le ciel est un peu dégagé, ce lundi 25 juillet 2022. Le soleil se faufile entre des nuages épars. Il est 14h30 mn, au barrage hydro-agricole de Bidiga dans la commune de Tenkodogo, région du Centre-Est. Située à 15 km de Tenkodogo, cette infrastructure hydraulique est à un jet de pierre de la commune de Garango. Elle dessert les populations des deux communes. Sur le lit Ouest du barrage, une vingtaine de personnes sont tranquillement en train de labourer leurs champs. Visiblement, une bonne partie de la bande de servitude est envahie par des exploitations agricoles. Le maïs, le sorgho et le riz sont les principales spéculations des lieux. Des bornes sont bien implantées, délimitant cette bande de servitude. Une plaque est également fixée, indiquant les activités interdites sur les berges du barrage dont l’exploitation agricole. Nous avançons vers les exploitants. Notre présence attire leur attention. Ils cessent momentanément leurs travaux et lèvent la tête vers notre direction. Un homme âgé d’environ une soixantaine d’années, vêtu d’un habit blanc-sale, vient à notre rencontre, sa daba sur son épaule. Chef de famille, Pierre Nonkané dit exploiter les berges de ce barrage avec ses épouses et sa dizaine d’enfants depuis 2005. « Nous sommes ici pour chercher à manger. Nous y cultivons du maïs et du riz qui produisent très bien chaque année. Ce cours d’eau est très important pour nous et pour notre bétail. Nous sommes conscients que notre activité dans cette bande contribue fortement à l’ensablement du barrage.

Mais, nous ne savons pas où aller. Tant qu’il n’y a pas de mesures d’accompagnement, nous n’allons pas libérer les lieux », prévient M. Nonkané. Sur le côté Est du barrage, le constat est aussi alarmant. Une quinzaine de cultivateurs sont carrément dans le lit du barrage. Des femmes sont en train de désherber leurs champs. Maïmouna Zaré est une des exploitantes. Dans son champ de riz, elle s’appuie sur sa daba et nous regarde d’un air surpris. Rassurée, elle se lâche : « Nous cultivons sur ce site depuis une vingtaine d’années. Nous y tirons notre pitance quotidienne. Nous savons que notre activité dégrade le barrage. Le problème est que nous n’avons pas d’autre espace à exploiter. Nous n’avons pas eu de parcelle dans la plaine aménagée. Il est donc difficile, pour nous, pour le moment, de quitter le lit barrage », affirme-t-elle. Le problème a la peau dure, puisque même l’exploitation du président du Comité d’usagers de l’eau (CUE), Ousmane Tarnagda, déborde visiblement la bande de servitude et il en est conscient, tout comme les autres exploitants des berges. Il rassure tout de même que le CUE mène des activités de sensibilisation depuis 2018 pour que les producteurs libèrent les lieux.

Des exploitants réticents

Le seul cas exemplaire est celui de Issa Nonkané qui a décidé de quitter la bande, à la suite de la sensibilisation du CUE, pour s’installer non loin du barrage. Avec 3 épouses et père de 22 enfants, il a réalisé un forage pour alimenter sa production maraichère. Il produit également du maïs et du riz. Malheureusement, témoigne sa femme, Mariam Monè, M. Nonkané est confronté à un problème foncier. Car, l’espace qu’il occupe appartiendrait à une autre personne qui estime avoir acquis 10 hectares dans la zone dont l’exploitation de Issa Nonkané. L’affaire ayant été portée en justice, relate sa femme, il a perdu le procès et écopé de six mois de prison ferme. Qu’à cela ne tienne, le président du CUE confirme que la pression foncière contribue fortement à l’envahissement des berges du barrage. « Nous sommes mandatés pour sensibiliser les populations à ne pas cultiver dans la bande de servitude du barrage. Nous avons bénéficié de formations dans ce sens. Le barrage est même borné. Les bornages à têtes bleues indiquent les limites de l’eau. Ceux à têtes rouges désignent la limite des berges à ne pas franchir par les producteurs. Mais, les paysans ont nettement dépassé cette limite, malgré nos séances de sensibilisation», regrette-t-il. Les occupants de bande, appuie Ousmane Tarnagda, disent qu’ils cultivaient dans ces lieux, il y a longtemps et qu’avec l’agrandissement de l’ouvrage, leurs champs et vergers ont disparu. Ces paysans, explique-t-il, demandent des portions de terrains à exploiter dans la plaine aménagée, mais ils n’en trouvent pas.

« Nous avons demandé des puits pour qu’ils reculent pour mener leurs activités. La Société nationale des véhicules industriels (SNVI), a réalisé quelques puits pour nous, mais les exploitants estiment qu’ils sont mal placés. Car, ils se trouvent en amont du barrage. Donc, ils refusent de reculer. Nous avons également reboisé tout autour du barrage pour les empêcher d’occuper la zone, mais presque tout est mort. Nous avons aussi réalisé une haie pour la pépinière. Notre principale difficulté est la réticence des populations », confie M. Tarnagda. Le CUE est appuyé par le Comité local de l’eau (CLE) qui est fonctionnel depuis 2016. Selon le président du CLE de Bagré, aval Est, Issaka Guingané, le barrage de Bidiga fait partie du sous bassin du Nakanbé qui regroupe six communes dont celle de Tenkodogo. La mission des CLE, relève-t-il, est la gestion des ressources en eau, d’où la protection des cours d’eau et des barrages. « En ce qui concerne ce barrage, notre travail consiste à l’organisation des usagers en comité, la programmation des activités d’entretien du barrage et de protection des berges de cette infrastructure hydraulique.

Nous travaillons depuis 2016 dans la protection du barrage, nous avons notamment initié des reboisements dans la bande de servitude. Nous y avons planté des épineux, des fruitiers et d’autres espèces », renchérit M. Guingané. Par ailleurs, il souligne que lorsque les agriculteurs ont pris conscience que ces arbres sont une menace pour leurs activités, ils les ont presque tous « tués ». Désespéré, il nous montre quelques arbres qui ont pu échapper à leur vigilance. «Nous menons des activités de sensibilisation concernant la répartition de l’eau, parce qu’elle est utilisée d’une part par les maraichers et d’autre part par les producteurs de la plaine rizicole. Chaque année, il y a des conflits parce que l’eau ne suffit pas et le barrage s’assèche vite. Nous avons aussi formé les exploitants des berges et le CUE sur la pratique de l’assistance naturelle des ressources », fait-il savoir. Cette année, promet-il, le CLE va entreprendre la construction des digues de sable filtrantes sur l’affluent qui conduit l’eau dans le barrage pour le traitement des ravins qui dégradent l’ouvrage. Le CLE, ajoute-il, va également réaliser des cordons pierreux sur les côtés emblématiques du barrage.

La difficulté majeure

Maïmouna Zaré cultive du riz dans le lit de ce barrage depuis une vingtaine d’années.

Pour M. Guingané, le barrage est très ensablé. « Nous estimons à plus de deux mètres de profondeur d’ensablement », reconnait-il. L’agent de police de l’eau de la région du Centre-Est, Souleymane Lankoandé, confirme que l’ensablement du barrage est une triste réalité. Selon lui, le barrage a déjà perdu 1/3 de sa capacité initiale. A entendre M. Guingané, la difficulté majeure, c’est la production agricole dans la bande de servitude. « Les berges sont considérées par les producteurs comme étant très fertiles. Ils ont donc pris le goût de les exploiter depuis des années. Nous n’arrivons pas à leur faire quitter ces berges. Il y a un réel conflit entre ces exploitants et le CUE. Ces paysans sont très réticents. Nous sommes arrivés à déguerpir certains du site, mais d’autres s’y maintiennent ou s’installent progressivement », relate-t-il. Issaka Guingané témoigne également que les exploitants demandent à ce qu’on leur trouve une zone aménagée où ils peuvent accéder à l’eau. La mesure de rigueur doit être prise à travers la police de l’eau, mentionne-t-il, puisque l’on remarque que la sensibilisation n’a pas trop d’impact sur le terrain. L’agent de police de l’eau, Souleymane Lankoandé, rassure que la police de l’eau est à pied œuvre en vue de faire respecter la règlementation en matière des ressources en eau dans la région. « En ce qui concerne le barrage, nous dénombrons près de 300 personnes qui exploitent les berges. Il y a certains qui sont même dans le lit du barrage.

Nous avons mené des patrouilles de surveillance au niveau des berges pour amener les gens à respecter la bande de servitude afin de protéger la ressource en eau. Nous sommes allés plusieurs fois en répression sur le site. Nous avons même retiré des motopompes à ceux qui exploitaient sur la digue et qui l’endommageaient. Pour le moment, nous n’avons pas pris d’individus qui utilisent des produits chimiques dans la bande de servitude, certainement il doit en avoir dans sa partie aval », indique-t-il. Il admet tout de même que la difficulté est la réticence des occupants des berges à libérer la zone. « Avec l’appui de l’Agence de l’eau du Nakanbé, nous avons pu faire la délimitation de la bande de servitude et des séances de sensibilisation à respecter cette bande pour espérer que cette ressource en eau soit mieux protégée. Malheureusement, il y a certaines personnes qui sont vraiment très réticentes, arguant par moment qu’elles ne savent pas où aller. Car, elles estiment occuper ces berges depuis plusieurs années et qu’il s’agit de leur unique moyen de subsistance. Cette situation complique sérieusement les actions de la police de l’eau », regrette-t-il.

Passer à la répression

A son avis, la police de l’eau doit miser sur la répression, mais il s’inquiète d’une éventuelle crise foncière qui pourrait naître de cette action. «Donc, il faut aller par étape. Nous pensons qu’il faut toujours accentuer les sorties de sensibilisation. Si les producteurs font toujours la sourde oreille, nous serons obligés de passer à la phase de répression», prévient M. Lankoandé. Le directeur régional de l’eau et de l’assainissement du Centre-Est par intérim, Riim-Yam Albert Koumsongo embouche la même trompette. Pour lui, l’une des difficultés est que le barrage fait partie des anciens barrages qui n’ont pas fait l’objet de délimitation dès le début.

Ce qui a permis, selon lui, à toutes ces personnes d’exploiter la portion de terre qui était dans la bande de servitude. Après plus de 30 ans d’exploitation, signifie-t-il, c’est difficile pour ces producteurs de laisser le terrain. D’un volume initial de 935 000 m3, estime-t-il, le barrage a été réhabilité par SNVI en 2017. En 2019, expose M. Koumsongo, avec l’accompagnement de l’Agence de l’eau du Nakanbé, de nombreuses actions de sensibilisation ont été menées pour que la population accepte la délimitation de la bande de servitude. « A la suite de cela, il y a eu plusieurs sorties sur le terrain pour constater le respect de cette bande de servitude. La plupart des maraichers qui étaient installés dans cette bande ont été délogés par la police de l’eau. 20 hectares ont été aménagés pour des maraichers et des producteurs de riz. La difficulté qui reste concerne ceux qui font l’agriculture pluviale puisqu’ils évoquent des raisons liées à la pression foncière et le fait qu’ils n’ont pas d’autres terres pour cultiver. Ce qu’ils demandent est que l’on puisse les accompagner pour qu’ils libèrent la bande. Actuellement nous sommes dans cette situation », déplore le directeur régional en charge de l’eau par intérim.

Sauver le barrage

Le vice-président du Comité villageois de développement (CVD) de Bidiga, Nouhou Monè, relève l’importance du barrage et sollicite l’accompagnement des autorités et de bonnes volontés pour sauver l’ouvrage. « Cette infrastructure nous aide beaucoup dans l’élevage, l’agriculture, le jardinage et la pêche », indique-t-il. Il dit être conscient de l’ensablement du barrage lié aux activités menées dans la bande de servitude. « Nous sommes impliqués dans la sensibilisation des populations, mais la principale difficulté, c’est comment arriver à déloger les exploitants. Nous lançons un appel pour que les producteurs aient d’autres sites à exploiter », demande-t-il. Même son de cloche chez le président du Comité d’usagers de l’eau (CUE), Ousmane Tarnagda.

« Notre doléance, c’est d’avoir un site aménagé pour les producteurs ou des soutiens pour qu’ils bénéficient d’autres activités génératrices de revenus comme l’élevage. Cela leur permettra de quitter les lieux », suggère-t-il. Le président du CUE, Issaka Guingané abonde dans le même sens. « Nous sommes à la quête de partenaires qui vont nous aider à aménager un site pour les occupants des berges. Notre partenaire principale est l’Agence de l’eau du Nakanbé. Déjà, nous avons eu un partenaire qui est Faso Koom, mais cela ne suffit pas. Nous lançons un appel dans ce sens pour sauver le barrage de Bidiga qui contribue fortement au développement de la localité à travers la plaine aménagée », déclare-t-il. Ces cris du cœur semblent avoir eu un écho favorable au niveau de la direction régionale en charge de l’eau.

« Il y a moins d’une semaine (ndlr le 20 juillet 2022), la police de l’eau s’est rendue sur le terrain et elle a constaté que des semis de mil, de maïs, de riz…poussent dans la bande de servitude. Comme c’est un problème foncier, nous prenons ces difficultés au sérieux. Nous sommes en train de voir, si l’on peut réaliser aux alentours un forage et aménager des terrains pour ces producteurs », confie Riim-Yam Albert Koumsongo. Selon lui, il faut passer par une bonne stratégie pour éviter que les producteurs ne soient pas vraiment touchés. Car, l’objectif de la protection du barrage, c’est le développement, la pérennité de la ressource en eau de la région du Centre-Est.

Kowoma Marc DOH

kowomadoh@gmail.com

Laisser un commentaire