Présidentielle aux Etats-Unis « L’élection de Joe Biden va apaiser la diplomatie américaine », Pr Jacques Nanema

Pr Jacques Nanema : « les démocrates vont certainement réinventer un autre rapport qualitatif avec le reste du monde ».

Sidwaya (S ) : Le démocrate Joe Biden vient d’être élu 46e président des Etats-Unis. Quel commentaire faites-vous de sa victoire ?

Pr Jacques Nanema ( J. N. ) : je ne peux pas cacher la joie qui m’anime que Joe Biden ait remporté les élections aux Etats-Unis. Il était le coéquipier de Barack Obama, dont nous avons tous apprécié l’action à la tête de l’Etat américain. Ce fut un symbole très important pour le monde dans la perspective de l’égalité et du progrès de l’humanité dans ce sens. Il y a quelques éléments qui se dégagent de cette élection. Les démocrates reviennent au pouvoir. Joe Biden promet de s’entourer des compétences d’une vice-présidente qui sera avec lui à la tête de l’Etat.

Cela est très important et significatif, et ce geste fort parle à notre monde moderne, encore malheureusement habité et hanté par les inégalités et les préjugés (en défaveur des minorités et de la majorité discriminée des femmes). C’est un fait qui s’inscrit dans le sens de la promotion de l’égalité entre l’homme et la femme. Il est important que l’on voie effectivement une implication forte des femmes à un haut niveau dans la gestion des affaires de l’Etat.

Cela est parlant, stratégique et névralgique pour les Etats-Unis et pour le monde entier qui regarde du côté des USA, même s’ils ne sont pas de bons exemples à tout point de vue. Le pays donne l’exemple de la valorisation de tous dans cette dynamique de la gestion des affaires publiques. Ce qu’on peut retenir aussi dans cette élection, c’est bien sûr tout le cinéma comique qu’on a vu de la part du président sortant Donald Trump qui réunit autour de lui des religieux dont on dit qu’ils sont fanatiques, et que nous avons vus priant pour que leur candidat remporte l’élection.

Ces derniers qui veulent prendre une certaine revanche contre l’orientation moderne de la vie politique dans le monde, donnent une sorte d’onction et de bénédiction religieuses à l’ambition présidentielle de Donald Trump qui joue à être l’avocat de leurs causes unilatérales (la nostalgie d’une moralisation chrétienne totale de la vie publique et politique des USA et du monde). Nous ne sommes plus au Moyen-Age et il n’appartient pas à l’autorité religieuse de s’immiscer à ce niveau dans les affaires politiques et publiques.

Il n’y a pas que le christianisme comme religion aux Etats-Unis et on devrait éviter de donner l’impression que telle religion ou tel religieux serait plus en faveur de tel président. Le politique doit tenir compte de tous les citoyens avec leur éthique, leurs engagements religieux, mais il doit aussi éviter les excès dont certains se rendent coupables, car l’Etat c’est un bien commun qui n’appartient pas à une seule catégorie de personnes, croyantes ou non.

Je suis quasiment heureux que les Etats-Unis montrent clairement aux yeux du monde que ce n’est pas parce quelqu’un s’affuble de l’aura religieuse que forcément, il accède au pouvoir. Le pouvoir politique n’est pas un pouvoir spirituel mais temporel, moderne. Il faut peut-être dénoncer une sorte de manipulation des religieux par les politiques dans cette affaire et vice-versa. Ce n’est pas normal que dans les affaires de l’Etat, on en vienne à des situations de ce genre. (…)

S : Le président sortant, Donald Trump, qui rempilait pour un second mandat a été battu. Quelles peuvent être les raisons de son échec ?

J. N. : Cela se voit déjà au niveau du personnage. Tout le monde aura vu ce qui ressemble à l’irruption d’un « fou », personnage atypique et singulier sur la scène politique. Donald Trump s’est montré un homme excessif, dont le comportement est dans la démesure. C’est un homme dont la parole n’est pas dans la rétention, dans la sobriété mais dans l’outrance. Il y a quelque chose qui parle en défaveur de cette personne.

C’est peut-être la première fois que nous voyons de façon si évidente un président dont le comportement est aux antipodes d’un chef d’Etat d’un si grand pays. Il était grotesque, fantasque avec son langage quelque peu ordurier, son mépris pour les différences, pour les femmes et pour une catégorie de la population américaine. C’est très difficile pour lui de masquer le regard condescendant et méprisant qu’il avait vis-à-vis de certains citoyens américains. Un président doit rassembler et non diviser.

La politique, c’est la capacité à inventer les moyens pour réunir les gens qui sont différents, divergents et séparés. Ce qui se passait avec ce personnage, je dis bien personnage car peut-être cachait-il si bien dans son for intérieur une personne différente discrète et d’une éthique irréprochable, nous a soit amusés, soit fatigués, soit horripilés. Il a beaucoup amusé la galerie, il a réussi à irriter beaucoup de gens et à dégoûter un bon nombre de gens de la politique. Si le président de la plus grande puissance du monde se comporte ainsi, cela veut dire que n’importe quel individu « voyou » pourrait avoir accès à la première place de l’Etat dans un pays aussi grand et qui commande au destin du monde.

Le monde devient plus vulnérable avec de telles situations car à tout moment, tout peut basculer. C’est à peine croyable. Il avait bien sûr des soutiens, pas seulement religieux, c’est pourquoi il a réussi à se faire élire, d’autant plus que la bataille entre les Républicains et les Démocrates fait qu’on a un camp derrière soi, même si on ne vous aime pas. Il nous a beaucoup déçus et on s’attendait à ce changement. Et par bonheur, le peuple américain, malgré ses franges extrémistes, reste quand même lucide. Les Etats-Unis, c’est aussi un pays des Lumières, de la raison et du droit, malgré la grande violence qui entoure son histoire.

On ne peut pas laisser quelqu’un fouler aussi longtemps les droits des citoyens américains qui se sentent quotidiennement insultés par quelqu’un qui est censé réunir la nation au lieu de la diviser. Les comportements antipolitiques et peu diplomatiques du président Trump devaient cesser. J’espère que les démocrates qui ont poussé Joe Biden à accéder au pouvoir nous redonneront une nouvelle image des Etats-Unis qui restent aux côtés des autres nations pour le combat climatique, de l’environnement et des droits de l’homme.

Cela passe par la question de l’hospitalité qui ne peut pas être refusée aux gens. La terre appartient à tous et il faut des systèmes qui permettent aux gens une mobilité géographique, d’un pays à l’autre, dont les enjeux culturels, économiques et sociaux sont non négligeables, sans la mobilité nous aurons une régression du monde. Je pense que cela va régler certaines interdictions qui pesaient ou planaient sur des pays musulmans. Ce sont des discriminations inacceptables au 21e siècle. (…) Ce qui fait progresser l’humanité, c’est non l’exclusion, la séparation, mais le principe de l’égalité et du respect des différences.

S : A l’issue de la présidentielle, bien avant la proclamation des résultats, Donald Trump a commencé à crier à la fraude ? Comment appréhendez-vous cette attitude de la part d’un président sortant ?

J. N. : Je considère que ce sont des enfantillages. C’est le comportement typique d’un personnage égocentrique qui ne pense qu’à lui et qui pense que tout doit tourner autour de lui. Dès que les choses ne tournent pas autour de lui, c’est qu’il y a triche. Il y a quelque chose de pathologique dans cette affaire. Donald Trump est un personnage très narcissique et tout le monde l’a vu. Il est le centre du monde, c’est lui qui décide, il a le pouvoir et fait ce qu’il veut. Il se voit comme le messie et le défenseur de l’Amérique. On voit clairement que c’est moins son pays qui est en avant que lui. Cela devrait changer. Même pour lui, il y a une fin des caprices !

S : Cette avalanche de félicitations à travers le monde est-elle un pied de nez à Trump que beaucoup souhaitaient voir partir sans l’exprimer ?

J. N. : C’est évident que la précipitation dans les éloges et dans les félicitations indique clairement l’essoufflement dans lequel les gens se trouvaient. Ils n’en pouvaient plus. Il est parti et on s’empresse de saluer celui qui a gagné comme pour s’assurer et se rassurer qu’il a bien gagné. C’est une manière de dire à Donald Trump que c’est du passé. Good bye Mister Trump, on a été heureux de faire votre connaissance, maintenant, on est désolé, on va vous laisser tout seul jouer au golf ou prier avec vos camarades fanatiques autant que vous voulez.

Cela exprime clairement le ras-le-bol vis-à-vis de ce personnage. L’Afrique est en droit de dire son soulagement par rapport à la fin de ce personnage aux allures de despote. Bien que l’Amérique soit une démocratie, ce n’est pas sûr que tous les présidents aient été démocrates dans l’âme. Encore une fois, les Etats-Unis, ce n’est pas n’importe quel pays. C’est pour cela que les choses doivent se passer au mieux là-bas. (…) Il y a de fortes chances que ce monsieur essaie de corriger les excès de son comportement et de ses paroles. Peut-être que ce sera l’occasion pour lui de dire que les pays africains ne sont pas si merdiques que cela.

Parce qu’il y a des pays africains où la succession se passe beaucoup mieux que ce qu’on a vu aux Etats-Unis. L’Afrique a des leçons à donner à des gens comme Trump. Le Ghana est un modèle qui peut parler aux Etats-Unis qu’on peut finir son règne sans entrer dans une hystérie comportementale qui décrédibilise l’image même du pays.

S : Le président élu aura-t-il les coudées franches pour gouverner s’il n’a pas la majorité au sénat ?

J. N. : Je ne connais pas bien les alvéoles de la vie politique américaine. Mais de toute façon, la politique est l’art des compromis. Je ne m’inquiète pas pour cela. Ils trouveront le compromis nécessaire pour que le président élu déroule bien son programme. C’est normal qu’il y ait une lutte dans l’Etat et qu’elle ne s’arrête pas à l’élection. Il y a des forces sociales et politiques au sein de l’Etat qui continuent de s’équilibrer pour garder des parcelles de pouvoir.

Il ne faut pas s’attendre à ce que la mer soit calme pour qu’on puisse naviguer en toute tranquillité. Même dans nos pays, il y a toujours des forces de résistance et d’opposition. Que l’on soit différent ou opposé n’est pas un problème, mais qu’on ne trouve pas de solution à nos divergences, c’est cela le problème. Les Américains sont assez mûrs sur le plan politique pour trouver les ressorts nécessaires pour que le nouveau président puisse jouer pleinement son rôle et faire son mandat avec ses ambitions qui seront à la fois profitables aux Etats-Unis et au monde qui regarde ce pays.

Quoiqu’on dise, c’est un pays modèle qui a de la puissance économique et militaire, mais aussi un rayonnement culturel absolument important et majestueux. Rien qu’à travers le cinéma, nous avons intérêt à ce que ce modèle ne diffuse pas n’importe quoi dans le monde. Nous ne pouvons pas absolument nous passer du spectacle de ce modèle-là. Nous souhaitons que ce modèle soit le meilleur possible surtout en matière d’éthique politique pour que cela aide, dans le monde, d’autres pays à accepter le verdict des urnes et à considérer que chacun passe quand il réussit et que la politique est un service.

La politique, ce n’est pas le lieu des caprices individuels, subjectifs d’une personne, mais celui d’un service de la communauté. Et pour servir la communauté, il ne faut pas la diviser. Commencer par solidifier la cohésion nationale dans le pays, c’est vraiment quelque chose d’essentiel.

S : Que peut-on espérer de l’arrivée du démocrate Joe Biden à la tête des Etats-Unis dans les relations internationales ?

J.N. : L’élection de Joe Biden va, je l’espère, apaiser la diplomatie américaine qui était très arrogante et ultra sélective. Il va ouvrir d’autres portes. Ce que Barack Obama avait commencé va retrouver du souffle alors que le président sortant essayait par tous les moyens de casser toute la dynamique qu’il avait mise en place. Les Etats-Unis vont davantage coopérer et s’ouvrir au monde. Je pense qu’ils vont faire les choses aux antipodes de Trump pour rétablir l’image des Etats-Unis d’un pays dans le monde et non pas d’un pays contre le monde.

Cela est essentiel. Le tournant, c’est de cesser de vivre les Etats-Unis comme un pays contre le monde, un pays qui se prend au-dessus de tous et contre tous pour réinventer les Etats-Unis dans le monde. C’est-à-dire un pays impliqué avec l’Europe et le reste du monde pour la défense du climat, la promotion des droits humains, d’une politique éthique qui respecte les droits de l’homme. Les Démocrates vont certainement jouer ce rôle, ne serait-ce que pour casser la machine diplomatique sélective qui était mise en place par Donald Trump. Parce qu’il faut réinventer la politique après ce cauchemar.

Maintenant il faut réapprendre à vivre autrement la politique, sous le mode d’une ouverture des Etats-Unis au monde et de leur implication dans les combats mondiaux que sont l’environnement et les droits de l’homme. Et les droits de l’homme impliquent la paix et là où a cessé la guerre. S’inspirant du malheur de ce qui s’est passé en Lybie sous l’ère d’Obama, je pense que les Démocrates vont certainement revenir en arrière et réinventer un autre rapport qualitatif, de meilleure facture avec le reste du monde.

Bien sûr à commencer avec les autres puissances, peut-être qu’il y aura un apaisement avec tous les pays qui étaient ostracisés et considérés comme pestiférés par Donald Trump. Il faut respecter les autres pays. Ce n’est pas parce qu’y a un terroriste de nationalité saoudienne ou soudanaise que le Soudan doit être mis au ban des nations. J’espère qu’ils vont réparer ces blessures inutiles qui ont été infligées à des nations entières, ces humiliations qui ont été imposées à des gens parce que simplement ils avaient telle ou telle origine ou religion.

Le respect de la différence commence et passe par là. Il faut rétablir des relations de confiance avec les autres. Donc une politique d’ouverture et une nouvelle diplomatie beaucoup plus respectueuse des droits de l’homme et bien sûr de l’affaire du climat qui ne peut pas attendre. Contrairement à ce que Tromp a fait, il est évident qu’il faut rejoindre Paris pour le combat pour l’environnement.

Propos recueillis par
Karim BADOLO

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